Afin de trouver une solution à la crise des migrants, un accord entre Ankara et Bruxelles est en passe d’être conclu. Une coopération qui suscite le malaise chez les défenseurs des valeurs Européennes.
Le 6 mars dernier, à la veille d’un sommet qui réunissait les partenaires européens et le premier ministre Turc Ahmet Davutoglu, c’est en comité réduit que fut esquissé un pré-accord destiné à solutionner la crise des migrants. Ainsi, en marge des tractations officielles, Angela Merkel, le néerlandais Mark Rutte et Davutoglu ont établi une feuille de route qui, une fois dévoilée, en a déstabilisé plus d’un.
1 Syrien renvoyé, 1 Syrien admis
Il est prévu, en effet, de renvoyer tous les migrants arrivés en Grèce vers la Turquie, en échange de quoi l’Europe acheminera des réfugiés Syriens directement vers ses terres, sur la base d' »1 Syrien renvoyé, un Syrien admis ». C’est d’abord sur le terrain de la légalité que ce pré-accord pose difficulté. En renvoyant vers la Turquie des réfugiés Syriens – et non uniquement des migrants économiques, Bruxelles contreviendrait au droit international et notamment à la convention de Genève qui régit le droit d’asile. En effet, les dossiers des réfugiés politiques ne seront pas examinés individuellement, en étant « déportés » collectivement vers la Turquie. Une décision qui choque, car il était initialement prévu que ces mesures ne s’appliquent qu’aux migrants économiques.
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Demandes de la Turquie
Les contreparties accordées à la Turquie sont en outre vécues comme une compromission par beaucoup de pays membres de l’union : la Turquie demande en effet, aux termes de cet accord, le versement sur deux ans de 6 milliards d’euros, ainsi que la libéralisation des visas pour les ressortissants Turcs au sein de l’Union européenne et la relance des négociations sur l’adhésion de la Turquie à l’Union. Certains dirigeants s’offusquent alors des demandes de la Turquie, vécue comme un « chantage » selon les mots du premier ministre Belge.
Violations des droits de l’Homme
Mais au-delà de cet accord, un parfum de malaise règne parmi les Vingt Huits, concernant le choix de l’interlocuteur. L’Union européenne est en effet en train de négocier avec un pays qui connaît une dérive autoritaire inquiétante. Une dérive que les autorités Européennes prennent soin de passer sous silence.
Liberté des journalistes
Ainsi le 7 mars, au jour des négociations avec Bruxelles, le président Turc a jugé bon de mettre sous tutelle le principal journal d’opposition Zamam : embarrassés, les dirigeants européens n’ont pas eu d’autre choix que de taire cette atteinte flagrante à la liberté d’expression.
En Turquie, de nombreux journalistes sont en effet empêchés d’exercer leur métier : ce fut le cas du journaliste Can Dundar, directeur du journal Cumhuriyet, emprisonné pour avoir diffusé une vidéo insinuant que le gouvernement Turc livrait des armes aux terroristes islamiques.
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La cause Kurde
En outre, menant une lutte acharnée contre les Kurdes, le gouvernement Turc rafle à tout va quiconque serait suspecté de connivence avec la cause Kurde. Erdogan prévoit en ce sens un élargissement de la définition de terroriste, afin de garder un oeil toujours plus vigilant sur les sympathisants du combat Kurde. Autant de dérives qui, en des temps moins troublés, auraient suscité l’indignation des Européens.
Europe prise au piège
L’Europe se retrouve donc les mains nouées face à la Turquie, obligée de taire les violations des droits de l’homme qui se multiplient dans le pays. Un accord qui n’en reste pas moins absolument nécessaire : l’arrivée massive de migrants met en effet l’Europe en péril, faute de moyens nécessaires pour faire face à cette crise sans précédent.
L’accord n’est pas encore officialisé. Reste que la Turquie est devenu l’interlocuteur principal d’une Europe en quête de solution. Une Europe qui, pour assurer son salut, brade ses propres valeurs…