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Le bonheur de Bhoutan-bout ?

Pagodes surplombant la capitale bhoutanaise de Thimphu (Photo Micheline Canal)

Le 6 novembre 2008, Jigme Khesar Namgyal Wangchuk est couronné. Le 5ème roi du Bhoutan avait des « plans très ambitieux pour l’avenir de sa nation », notamment la poursuite du Bonheur national Brut. Coincé entre valeurs ancestrales et influence occidentale, le petit royaume est aujourd’hui considéré par la Communauté internationale comme la plus jeune démocratie du monde.

Jigme, calme et serein, attend patiemment sur la pelouse du tir royal. Le paysage est parfait. Les sommets himalayens se dessinent au loin. En premier plan, le souverain, grand, large d’épaules, une chevelure noire et brillante, vêtu de la robe grise traditionnelle, le gho, tient une Heineken dans une main et un grand javelot de métal dans l’autre. Cette scène représente le paradoxe tout entier du pays. Une bière, signe de la liberté naissante contre les lois liberticides de l’ancienne monarchie, et un javelot qui symbolise les traditions ancestrales. Malgré un lourd passé absolutiste et une démocratie encore hésitante, le Bhoutan se détache du reste du monde tant par ses spécificités économiques, culturelles que sociales.

Une spécificité bhoutanaise : le Bonheur National Brut

Jeune moine bouddhiste à Thimphu (Photo Yichine Puntso).

Jeune moine bouddhiste à Thimphu (Photo Yichine Puntso).

Le souverain a permis à son pays de passer d’un régime absolutiste à celui de la démocratie. Des études à l’international, notamment en Occident, ont influencé le futur roi dans la manière de gérer ce qui allait devenir une monarchie constitutionnelle. Jigme a commencé par des études aux Etats-Unis, où il a fréquenté le prestigieux Wheaton College. A Oxford, il obtient un master de philosophie politique, puis entre au National Defence College de New Delhi.

Lors de la campagne électorale de 2008, l’influence occidentale s’exprime à travers des « mesures extraordinaires prises par le gouvernement pour encourager les électeurs à aller voter », soutient le Courrier international du 7 novembre 2008. Des observateurs nationaux et étrangers, venus d’Europe et des Etats-Unis, ont été présent. Des indemnités ont aussi été versées aux électeurs vivant dans les villages éloignés pour qu’ils puissent faire le trajet aller-retour entre leur village et le bureau de vote. Le résultat a été au-delà des espérances puisque plus de 70% de la population est allée voter.

Fraîchement élu, le plus jeune chef d’Etat du monde a voulu mettre en œuvre « des plans très ambitieux pour l’avenir de sa nation » (Courrier international). La difficulté est pour Jigme de conserver la spécificité de la culture bhoutanaise tout en conduisant le pays vers une participation sans précédent à la vie politique et économique contemporaine. Le maître mot du pays est, depuis 1972 et le couronnement de Ki Jigme Singye Wangchuck,  « le Bonheur National Brut (B.N.B)». Suivant l’article de The New York Times du 5 octobre 2005, l’ancien monarque avait décidé de ne pas suivre la voie unique de la croissance économique qui préoccupe tant de pays en développement et de « donner la priorité non pas au PNB, mais au BNB, ou au bonheur national brut ». Le souverain suit aujourd’hui la tradition nouvelle en poursuivant cette recherche du bonheur dans la vie quotidienne de sa population.

En se mariant en mai 2011, le jeune roi montre à son peuple que l’épanouissement personnel est possible. Tout comme le Prince William, le souverain du « pays du Dragon-Tonnerre » s’unit à une roturière, Jetsun Prema. Malgré le fait que le mariage bhoutanais n’ait pas eu la même audience télévisée que celle de l’union anglo-saxonne, trois jours fériés ont été décrétés dans le royaume himalayen par le gouvernement. « Kencho Dorji, un vieil homme de 75 ans, a décidé de faire trois heures de marche pour se rendre à la ville voisine et voir la cérémonie à la télévision », souligne le Courrier international du 13 octobre 2011. Le roi est apprécié, et la démocratie n’en est que plus renforcée.

Le roi Jigme Khesar et la reine Jetsun Pema (Photo Egger Ph.).

Le roi Jigme Khesar et la reine Jetsun Pema (Photo Egger Ph.).

Ce mariage symbolise dans le même temps une rupture avec les traditions bouddhistes ancestrales puisqu’il met fin à la polygamie royale  en vigueur depuis des siècles au Bhoutan. Cette rupture vient de l’ouverture sur le monde et l’éducation à l’étranger de nombreux jeunes bhoutanais qui ont importé dans le pays, tout comme Jigme, les valeurs occidentales. Ces valeurs ne sont pas seulement sociales. Elles se concrétisent notamment par une harmonisation entre économie et écologie, par une intégration de la notion de « développement durable » à la politique.

Une école physiocratique bhoutanaise

Le petit îlot se distingue par le mode gestion de ses ressources naturelles. Le gouvernement les protège jalousement : 60% du territoire doit appartenir aux bhoutanais. Cette préservation passe par la mise en place d’un projet de gestion communautaire des forêts (le CFM) qui confie de larges parcelles boisées aux communautés rurales, afin de lutter contre la pauvreté. Le Ministère de l’Ecologie est persuadé que les villageois doivent être récompensés pour leurs actions en matière de protection des ressources en eau. Des systèmes de « paiement pour services écologiques rendus » ont été mis en place dans l’est du pays. Les citoyens sont proches de la terre, et l’agriculture est de subsistance puisqu’elle fait aujourd’hui vivre plus de la moitié de la population. Comme le soutenait le physiocrate François Quesnay, la classe productive est celle capable de générer un produit net. Ce produit ne peut être basé que sur le travail de la terre.

Un pays 100% bio ?

Le travail de la terre est primordial au royaume himalayen. Sur 700 000 habitants, deux tiers dépendent de l’agriculture. Selon le journal Le Monde du 18 octobre 2012, il est logique que l’approche économique du gouvernement centrée sur la protection de l’environnement et du bien-être conduise les dirigeants à vouloir que leur nation devienne « le premier pays au monde à vivre d’une agriculture 100% biologique ». Cette détermination à suivre une voie différente s’exprime dans son nouvel objectif de supprimer les produits chimiques agricoles. Plus récemment, les autorités ont imposé un jour piéton par semaine, le jeudi, afin d’interdire les voitures en ville.

L’agriculture intensive est contre la « croyance bouddhiste » qui demande au peule de vivre en harmonie avec la nature. Cette croyance permet à la plus jeune démocratie du monde de suivre inconsciemment les protocoles environnementaux mondiaux, et de remplir les critères écologiques exigés. Si le bouddhisme s’accorde parfaitement avec les nécessités écologiques internationales, la multiplication des écoles bouddhistes ne reste cependant pas sans poser de problème.

Une démocratie malgré tout haletante

Le seul bouddhisme autorisé dans le pays est la doctrine Mahayana de l’école Drukpa Kagyu, ce qui n’arrange en rien les conflits linguistiques. Ces conflits s’expriment entre la majorité des citoyens, les Drukpas, Bhoutanais bouddhistes d’origine tibétaine, et les bhoutanais de langue népalaise, les Lhotshampas. Pour ses raisons, plus de 110 000 Lhotshampas se sont réfugiés au Népal, et ceux qui sont restés sur le territoire du « Dragon-Tonnerre » subissent des discriminations. Bien que la mission d’observation électorale de l’Union européenne chargée de surveiller les élections bhoutanaises de 2008 ait estimé que le scrutin avait été « dans l’ensemble conforme aux normes internationales », pour les réfugiés bhoutanais en exil, les élections n’ont pas été démocratiques.

A ce propos, le Los Angeles Times remet en cause la démocratie naissante en soulignant « l’hypothèse de la peur de la contagion ». Depuis plus de deux ans, le royaume népalais voisin est gangréné par de violents troubles populaires visant à destituer la monarchie. Pour le journal californien, le « souverain du ‘pays du Dragon-Tonnerre’ a sans doute voulu faire l’économie d’une révolution et quitter librement son trône avant que la population ne l’en déloge par la force ».

Le minuscule Etat bhoutanais répond-t-il aux attentes démocratiques fixés par son propre dirigeant ? Suivant Abraham Lincoln, la démocratie est synonyme « du gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Mais si on suit la célèbre formule du 16ème président des Etats-Unis, le Bhoutan n’est pas le pays du bonheur. Environ un quart de sa population vit en dessous du seuil de pauvreté, ce qui, selon Jigme Thinley, le premier Premier ministre démocratiquement élu du pays, est la raison première qui explique le taux de suicide très élevé du pays. Bonheur et démocratie ne vont apparemment pas de pair. La démocratie bhoutanaise n’a pas encore atteint ses objectifs. Mais eu égard à son passé absolutiste et aux avancées tant socio-économiques que politiques, le Bhoutan semble avoir un bel avenir devant lui.

 

Par Marion Icard

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