Bernard Accoyer, député UMP, a déposé vendredi dernier une proposition de loi afin de durcir les sanctions contre les gens du voyage. Il souhaite annuler une partie de la loi du 5 juillet 2000, qui énonce que « la mise en demeure ne peut intervenir que si le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publique ». Et donner aux représentants de l’Etat des moyens supplémentaires pour mettre fin à ces occupations. Les contrevenants seront désormais passibles de douze mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende. En parallèle, Christian Estrosi, député-maire de Nice, et Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, n’en finissent pas de débattre sur la question, avec une certaine virulence.
Mathilde Cambour : Les esprits s’échauffent ces derniers jours au sujet des gens du voyage, comment réagissez-vous à ces « sorties » médiatiques ?
Louis de Gouyon Matignon : Bernard Accoyer ne reprend là que des propositions déjà faites par d’autres, il y a quelques années. Il ne fait que les remettre à l’ordre du jour et se sert du récent battage médiatique pour donner plus de poids à ces propositions. Je pense que tout cela a peu de chance d’aboutir, une fois de plus. Au travers de cette loi, de ce subterfuge législatif, je pense que les élus de droite cherchent à flatter leur électorat à l’approche des élections municipales de 2014. Ainsi ils jettent l’anathème sur les gens du voyage, qui, je le rappelle, sont des citoyens français – environ 450 000 – à la différence qu’ils sont itinérants. Dernièrement, même si tous les partis ont leur avis sur la question, ce sont les personnalités de droite ou affiliées à droite qui ont fait grand bruit. Nous pensons notamment à monsieur le député-maire de Cholet, Gilles Bourdouleix, qui a été membre de l’UMP avant d’être encarté à l’UDI. Ses propos (« Hitler n’en a peut-être pas tué assez ») sont inqualifiables. Ils ont dépassé le cadre du débat traditionnel et font tout simplement mal à la France, par conséquent je les condamne avec la plus grande fermeté. Ces propos deviennent malheureusement récurrents. On peut également parler de ceux de Christian Estrosi, maire de Nice, qui a tout de même appelé à « mater » les gens du voyage. Une fois de plus, des propos stigmatisants et xénophobes.
Aujourd’hui, les gens du voyage sont trop souvent refoulés par des maires, qui comme messieurs Estrosi et Bourdouleix, n’ont pas beaucoup d’estime à leur endroit. Ces derniers ne proposent pas assez d’aires de voyage malgré la législation. A ce titre-là, une partie de la classe politique ce sert des tensions pour pouvoir par la suite mettre en danger ce mode de vie.
Vous sollicitez un débat avec Christian Estrosi suite à ses propos, son agacement face aux installations récurrentes de gens du voyage sur des sites qui ne leurs sont pas dédiés. Or, nous nous sommes renseignés au près de la préfecture des Alpes-Maritime, et la ville de Nice répond bien aux exigences légales en matière d’aires d’accueil. Malgré la disponibilité, les installations illicites persistent, notamment en banlieue nord. Quelle est votre réaction par rapport à ces gens qui sont dans l’illégalité ?
La commune de Nice s’est en effet conformée à loi. Pas les Alpes-Maritime. Il n’est pas pourvu d’aires de grand passage. A ce titre, lorsqu’il y a des « convois », il leur est très difficile de se déplacer dans les meilleures conditions. Je rappelle que ce sont des citoyens français qui ont le droit de circulation comme les autres. Pour ce qui est de l’aire d’accueil de Nice – aire d’accueil donc, pas aire de grand passage – elle ne vise pas les mouvements actuels mais les regroupements d’un faible nombre de caravanes pendant l’hiver. J’ajoute que l’aire est bitumée. A Nice, l’été, les températures atteignent facilement les 30 à 35 degrés rendant le quotidien infernal pour les personnes stationnées. Le bitume donne tout simplement en ces périodes estivales un effet four. Pourtant, la loi du 5 juillet 2000 prévoit que les aires d’accueil soient construites dans le but de faciliter le mode de vie des gens du voyage. La ville a donc en effet construit un espace mais s’est arrangée pour que celle-ci ne soit pas occupée… Christian Estrosi est très malin, puisqu’au bout de cinq ans d’inutilisation, le conseil municipal a le droit de reprendre le terrain et peut le reconvertir en un parking ou un centre commercial, le tout sans être inquiété par la loi.
Vous qui êtes proche des gens du voyage, que pensent-t-ils de cela ?
Déjà, une chose importante, globalement – et contre l’avis de la plupart je pense – les gens du voyage ont une sensibilité politique plutôt de droite. Malgré les animosités que les élus peuvent avoir à leur égard, leurs valeurs se rapprochent du courant de droite. Pour ce qui est de la politique menée, je crois que la gauche ne s’est pas encore prononcée sur le sujet. Elle s’est prononcée de façon plus forte sur les Roms. Je rappelle que les gens du voyage sont des citoyens français. D’après la loi de 1969, toute personne n’ayant pas de résidence fixe depuis plus de six mois fait partie de la communauté des gens du voyage. Les Roms quant à eux sont de citoyens roumains et bulgares, dans une grande majorité. Ce sont des réfugiés économiques. Manuel Valls ne fait donc que respecter la loi vis-à-vis des Roms. Attention à l’amalgame, Roms et gens du voyage. D’ailleurs les gens du voyage ont une vision dure à l’encontre des Roms. Ils ne veulent pas être confondus. Ce qu’ils me demandent le plus, c’est d’expliquer aux autres que Roms et gens du voyage sont deux communautés différentes.
Pour l’instant, par rapport à la politique du gouvernement, les gens du voyage ne se prononcent pas. De plus, il est trop facile de jeter l’anathème sur le parti socialiste et Manuel Valls puisque si quelque chose eût été fait, s’eût été de la faute de la droite, au pouvoir depuis dix ans.
Nous parlons beaucoup de leurs droits, qu’en est-il de leurs devoirs, notamment sur la question des impôts ?
La première chose sur laquelle je voudrais revenir, c’est que ces gens travaillent. Ils sont souvent micro-entrepreneur, et plutôt dans des métiers manuels, dans l’artisanat. Ils paient un impôt comme tout le monde via la TVA. Ce sont des citoyens comme les autres, certains ne travaillent pas en effet et touchent le RSA. Mais dans toutes les catégories sociales, il y a des gens qui touchent le RSA. Il est bien évident que ceux qui profitent du système, et ce parmi toutes les franges de la population, je les condamne. En revanche, je vois que des élus se révèlent être des brigands puisque si certains gens du voyage sont amenés à enfreindre la loi en s’installant sur des terrains privé, c’est que les maires ne remplissent pas leur part du contrat.
Comment expliquez-vous que cette population fasse finalement un peu « peur » aux autres citoyens, sédentaires ? Ne serait-ce pas eux qui auraient un problème d’adaptation par rapport à notre mode de vie ?
Tout d’abord, je tiens à signaler que la France est le seul pays en Europe à reconnaître sur le plan juridique le mode de vie des nomades. En Allemagne, en Hollande, en Autriche, il existe des manouches – équivalent des gens du voyage en France – mais qui eux, n’ont pas le droit de voyager.
Pour répondre clairement à votre question, les gens du voyage ont peur de perdre une partie de leur culture, déjà en danger. Il y a de réels risques d’assimilation s’ils laissent leurs valeurs de côté. Ils ont aussi et surtout une histoire difficile, ils ont été discriminés pendant plus d’un millénaire donc leurs relations avec les sédentaires sont évidemment complexes. S’ils s’adaptent au mode de vie sédentaire, ils perdent leur culture. D’une part il y a la langue. C’est pourquoi j’ai moi-même réalisé un dictionnaire tsigane. Cette langue est riche et mérite d’être connue et reconnue. D’autre part il y a la traditionnelle vie de famille sur un même terrain. Cela dit, les gens du voyage ont leur propre culture, de la même façon que les Bretons et les Corses ont la leur tout étant intégrés dans la grande famille culturelle de la France. Encore une fois, c’est ce mélange de culture dans notre pays qui fait sa richesse. Je ne laisserais pas un député, en l’occurrence Bernard Accoyer, mettre en péril cette force culturelle en empêchant les gens du voyage, par divers stratagèmes, de vivre leur culture pleinement.