Avec cette quatrième saison, la série italienne Gomorra plonge ses héros dans un récit violent et plus complexe. Et personne n’en ressort indemne.
C’est quoi, Gomorra (saison 4) ? Au lendemain de la fin tragique de la saison précédente, Genny Savastano (Salvatore Esposito) doit choisir entre mener des représailles ou négocier une paix. Contre toute attente, il opte pour la seconde option et, suivant les conseils de son défunt ami Ciro (Marco d’Amore), il décide de se ranger et de passer dans la légalité. Tout en blanchissant l’argent de ses anciens trafics pour investir dans un projet d’aéroport local, il passe la main à Patrizia (Cristiana Dell’Anna ). Désormais boss de Secondigliano, la jeune femme se heurte à l’opposition de la famille Levante, tandis que Sangue Blu (Arturo Muselli) voit son autorité contestée à la tête du clan des Capaccio.
Inspirée du livre publié en 2006 par Roberto Saviano, Gomorra reste un véritable phénomène en Italie, et son succès a largement dépassé ses frontières. La quatrième saison qui vient de s’achever sur Sky Italia (diffusée en France sur Canal Plus en quasi-simultané) reprend le récit au lendemain de la mort de l’un des personnages principaux : Ciro Di Marzio, qui sera au passage le héros du film L’immortel, préquel annoncé en fin d’année. En attendant, les scénaristes font progresser l’intrigue de Gomorra de manière chronologique tout en continuant d’exploiter les éléments caractéristiques de leur série.
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On retrouve l’écriture sèche et nerveuse, les différentes intrigues parallèles qui convergent avec brio dans le final, ainsi que la réalisation toujours puissante et élégante (caméra qui suit les personnages de dos, gros plans sur les visages, scènes-chocs entrecoupées de séquences plus contemplatives et de longs trajets en voiture…) et ce mélange de rap et de musique électro atmosphérique. Dans le même temps, le propos s’élargit à d’autres aspects de la Camorra: blanchiment d’argent, criminalité internationale et montages financiers se superposent aux trafics et règlements de compte entre clans locaux. En outre, Gomorra introduit un élément négligé jusque-là, avec les interventions de la police et surtout l’apparition de l’opiniâtre juge d’instruction Walter Ruggieri (Gennaro Maresca).
Indéniablement, la mort de Ciro laisse un vide, auquel s’ajoute la mise en retrait de Genny dans les premiers épisodes. Si l’absence initiale d’une figure de proue est un peu déstabilisante, la qualité de l’écriture, de la mise en scène et de l’interprétation font qu’on se passionne pourtant pour des personnages peut-être moins charismatiques, mais tout aussi riches et complexes. L’histoire se construit patiemment et méthodiquement, dans des épisodes qui alternent peu ou prou entre Sangue Blu, Patrizia et Genny et dont certains (à l’instar du quatrième, par exemple) sont de véritables petits chefs-d’œuvre.
Incarné par un excellent Antonio Muselli, Sangue Blu perd le contrôle du territoire de Forcella. Lâché de toutes parts, au cœur d’une guerre des mafias et confronté à l’exécution de plusieurs de ses proches, il est obligé de prendre des décisions douloureuses et de choisir vers qui va sa loyauté.
De son côté, Patrizia (sublime Cristina Dell’Anna) fait figure d’héroïne de cette saison, car tout ou presque nous ramène à elle. Devenue boss de Secondigliano, elle sait se montrer implacable et cruelle, comme lorsqu’elle fait tuer de sang-froid deux enfants qui lui ont manqué de respect. Lourde est la tête qui porte la couronne : entre les responsabilités qui pèsent sur ses épaules, l’ombre de la trahison et un sentiment de culpabilité croissant, elle doit s’imposer dans un monde d’hommes, notamment face à la famille Levante dont le chef, Don Gerlando (Gianni Parisi – antagoniste qui manque toutefois de présence), reste attaché à la vieille tradition patriarcale et donc hostile à l’autorité d’une femme. Patrizia est dans une position d’autant plus inconfortable qu’elle noue une relation amoureuse avec le cadet des Levante, Michela (Luciano Giuliano), avec qui elle envisage de fonder une famille.
Et puis, il y a Genny Savastano. Sa métamorphose initiale, lorsqu’il tente de rendre ses affaires légales en suivant les conseils de Ciro pour devenir un homme d’affaires respectable, n’est volontairement jamais totalement convaincante. Au fil des épisodes, on le voit se parer d’un costume qui n’est pas le sien, s’imaginer en bon père de famille sans pour autant réussir à étouffer son ambiguïté morale (voir sa réaction, lorsque les parents des autres élèves refusent d’amener leurs enfants à la fête d’anniversaire de son fils). Superbement, Salvatore Esposito se glisse dans la peau de ce personnage froid et cruel, traduit tout le poids d’une violence intérieure et d’un destin qui l’écrase, et qui fait de lui l’alpha et l’oméga de Gomorra.
Car comme le dit un proverbe italien, le loup perd le poil mais pas le vice. Genny ne peut pas aller contre sa nature ; on le comprend avant lui, d’abord de manière diffuse et dérangeante, puis avec plus de force à mesure qu’avancent les douze épisodes. Jusqu’au final, terrible : dans l’avant-dernière scène, Genny commet l’un des meurtres les plus brutal et choquant de la série ; dans la dernière, il renie la promesse faite à Ciro et abandonne la vie de famille qu’il a si farouchement tenté de construire pour régner dans l’ombre, comme son père avant lui. Genny Savastano é tornato, mais c’est une vie de traque et de clandestinité qui commence.
Puissante dans son récit et implacable avec des personnages toutefois moins emblématiques que précédemment, cette quatrième saison de Gomorra est à la fois un nouveau départ et une manière de refermer un cercle. Avec le nouvel équilibre que suppose la fin de la saison précédente, la série évolue vers plus de réalisme et de complexité. Dans le même temps, elle finit par renvoyer Genny face aux vieux démons qu’il n’a pas su vaincre, comme un reboot du personnage. Désormais, reste à savoir quel sort lui réserve Gomorra, dans une cinquième saison qui devrait être la dernière. Depuis la mort de Ciro, on sait que dans Gomorra. même les immortels peuvent mourir.