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Gouverner est-ce inévitablement mécontenter ?

En décembre 2011, les Français sont en moyenne 35% à avoir une opinion positive de Nicolas Sarkozy. Il semble que cela soit le lot commun de tous nos dirigeants. Une fois arrivés au pouvoir,
leur cote de popularité, exprimée à travers les sondages, se met à chuter vertigineusement. Je vais donc me demander avec vous si cela ne serait pas une fatalité. Alors, gouverner, est-ce
inévitablement mécontenter ? Il semblerait que oui, mécontenter est intrinsèquement lié au fait de gouverner.

Gouverner suscite la critique. En effet, à partir du moment où l’on gouverne, on détient le
pouvoir exécutif (nous ne nous pencherons que sur un régime politique légitime). C’est-à-dire que
l’on agit, puisque « exécutif » vient du latin « exercere », « mettre en œuvre ». Il faut donc arbitrer
en faveur d’un groupe selon des normes forcément subjectives, étant donnée la variété des intérêts.
Comme disait Hobbes au XVII° siècle dans Le Citoyen « On ne peut concevoir que la multitude n’ait de
la nature qu’une seule volonté, car chacun de ceux qui la composent a la sienne propre. […] De sorte
que la multitude n’est pas une personne nationale ». Faire des choix suppose des renoncements,
c’est-à-dire des sacrifices, et donc des mécontents.

En outre, l’exercice du pouvoir suscite la jalousie des ambitieux vis-à-vis de celui qui le détient,
indépendamment de ses idées politiques ou de sa personnalité. Certes cela est bien mesquin, mais
c’est tout simplement parce qu’il détient le pouvoir, que d’autres veulent à sa place. Par exemple,
Iznogoud veut devenir, selon l’expression consacrée, « calife à la place du calife ». Haroun El Poussah
en l’occurrence.

De plus, selon le politologue Philip Converse, seuls 10% des citoyens possèdent ce que l’on peut
appeler un véritable système de convictions politiques. Non pas que le reste s’inscrit dans notre
chère tradition française du « jamais content », fierté de notre patrimoine national, mais enfin
presque. Même parmi ces 10% d’électeurs éclairés, y en a-t-il un purement objectif ? En effet, qu’est-
ce qu’un électeur, sinon un possédant ? Or un possédant est rarement un démocrate capable de
faire primer l’intérêt général. Il envisage souvent les enjeux du vote seulement en fonction de ses
intérêts particuliers.

Gouverner engendre donc inéluctablement l’insatisfaction, pour les raisons plus ou moins
rationnelles exposées. On peut donc dire que dans un système démocratique, les gouvernants ont de
toutes les façons peu de chances d’être réélus. Car soit ils ont réformé, et donc mécontenté, soit ils
n’ont rien fait et on le leur reproche. Alors comment se fait-il que certains hommes politiques soient
au Panthéon et méritent donc la reconnaissance de la patrie ainsi que le titre de grands hommes,
puisque Malraux disait que « entrer dans l’Histoire, c’est entrer dans la haine » ?

Avis aux ambitieux : deux clés pour entrer au Panthéon, c’est-à-dire acquérir la
reconnaissance sur le temps long. Une condition de forme tout d’abord, la cohérence avec ses
engagements, c’est-à-dire le courage politique d’imposer ses idées malgré les oppositions. On l’a
bien vu, la réforme des retraites a été maintenue coûte que coûte. Ensuite, une condition de fond : la
nécessité d’être visionnaire, sans toutefois verser dans l’idéologie. C’est la justesse de la perception
des intérêts de la nation. C’est une cohérence de fond par rapport à la réalité du peuple gouverné.
Etre à la tête d’un pays n’est, en principe, pas le paroxysme d’une carrière dans un métier, dans le
sen où l’entend Rousseau, c’est-à-dire comme « un art purement mécanique, où les mains travaillent

plus que la tête. »

On pourrait objecter que les démagogues (le principal risque de la démocratie si l’on en croit
Platon dans La République) ne s’embarrassent pas de ces broutilles. Ils veulent seulement gagner
et exploiter la faveur des masses en les flattant. Mais au fond, est-ce quechercher à contenter
tout le monde, n’est pas finir par mécontenter tout le monde ? Cela peut sembler paradoxal, mais
prenons l’exemple de l’actuel président démocrate des Etats-Unis, Barack Obama. Après les élections
républicaines d’octobre 2010, pour satisfaire la nouvelle majorité républicaine, il a confirmé les
avantages fiscaux accordés par son prédécesseur républicain George Bush aux entreprises et aux
particuliers. Ce faisant, évidemment, il mécontentait son propre parti. Cela a même été assez loin :
certains ont évoqué l’idée de primaires en 2012 au sein du parti démocrate. Par ailleurs, on peut
penser que les républicains n’iront jamais voter pour un démocrate. Donc en cherchant à contenter
tout le monde, il n’a convaincu personne. Ce qui signifie que c’est la cohérence sur le moyen terme
qui est nécessaire pour obtenir la reconnaissance sur le temps long. Alors que ne se préoccuper
que de sa cote de popularité, c’est-à-dire le soutien populaire qui s’exprime à travers les sondages,
n’occasionne qu’un succès ténu, et encore, sur un temps extrêmement court. Nous sommes tous
d’accord avec le général de Gaulle qui disait dans Le fil de l’épée « il est doux de monter, mais il est
meilleur de marquer ».

Alors la minorité, soit l’opposition, n’aurait qu’à composer avec la politique menée par le
gouvernement selon des valeurs consensuelles. Mais comment aujourd’hui définir des idéaux
moraux à l’échelle nationale ? Une politique dans laquelle les citoyens ne se reconnaissent pas n’est
en rien démocratique. Et une démocratie parfaitement participative est matériellement impossible.

Laissons Machiavel répondre dans Le Prince : « En toute cité, deux humeurs s’opposent : celle des
Grands de dominer, et celle du peuple de ne pas être dominé. » Comment alors ne pas contrarier ?

 

Isabelle Archambault

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