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On débriefe pour vous… Preacher, un prédicateur pas très catholique

Aussi provocatrice et violente que drôle et décalée, Preacher a construit un road trip parfois indigeste mais toujours spectaculaire. 

C’est quoi, Preacher ? Jesse Custer (Dominic Cooper) est prédicateur dans une petite ville du Texas où, entre deux sermons, il boit comme un trou, fume comme un pompier, jure comme un charretier et se bat dans les bars. Lorsque des météorites s’abattent sur Terre et détruisent la plupart des lieux de culte et ceux qui y officient, Jesse est mystérieusement épargné. Il se retrouve même doté d’une sorte de super-pouvoir, Genesis, grâce auquel il peut obliger quiconque à exécuter ses ordres. Traqué par des anges chargés de récupérer Genesis et par un tueur à gages venu de l’Enfer, notre bon pasteur va se lancer dans une mission aussi particulière que délicate : avec l’aide de son ex-petite amie Tulip (Ruth Negga) et d’un vampire nommé Cassidy (Joseph Gilgun), il part à la recherche de Dieu (Mark Harelik), qui a disparu des écrans radars.

Adapter un comic ou toute œuvre littéraire a tout d’une gageure, puisqu’il s’agit de satisfaire les attentes des lecteurs tout en séduisant un public qui n’en a pas lu la moindre page.  Créée par le scénariste Garth Ennis et l’illustrateur Steve Dillon en 1995, rapidement devenue culte, Preacher s’appuie sur des images d’une extrême violence graphique, une histoire subversive et une vision irrévérencieuse et critique des pratiques et croyances religieuses. Autant dire que l’idée d’une adaptation en film ou en série, souvent envisagée puis abandonnée, s’est avérée difficile à financer en raison des réticences des investisseurs potentiels. Le projet a finalement abouti grâce aux deux grands fans que sont Seth Rogen et Evan Goldberg, qui ont embarqué le scénariste Sam Catlin (Breaking Bad) dans l’aventure et convaincu AMC de commander une première saison, diffusée à partir du printemps 2016. 

Si Preacher n’a pas forcément convaincu les fans du roman graphique, la série a globalement su rester fidèle à son esprit, tout en étant suffisamment indépendante pour qu’on puisse l’apprécier en laissant de côté toute référence au comic. Quelques semaines après la diffusion de la quatrième et dernière saison (en France sur OCS), nous revenons sur Preacher, série provocante, violente mais aussi drôle et décalée, qui a alterné idées brillantes, personnages charismatiques et nombreuses facilités et maladresses. 

Preacher a quelque chose d’insolite dans sa construction : on peut presque la diviser en deux parties, avec  trois dernières saisons bien différentes en terme de dynamique, de cadre, d’enjeux. La première saison se centre naturellement sur l’introduction du contexte, de l’histoire et de son trio de personnages principaux en se déroulant exclusivement dans la petite ville paumée du Texas où se trouve la paroisse de Jesse Custer. 

Tulip, Jesse et Cassidy en croisade pour retrouver Dieu

Jesse est un prédicateur paumé, en pleine crise de foi, qui voit sa vie bouleversée suite à l’obtention mystérieuse de Genesis. Dominic Cooper est fantastique dans la peau de ce personnage à qui il donne un détachement et un ton sarcastique parfaits, en contre-point à la gravité d’un destin qui le dépasse. Son chemin croise celui de Cassidy, un vampire centenaire, alcoolique, toxicomane et accessoirement irlandais. Son interprète, l’excellent Joseph Gilgun (vu dans This is England, Misfits), est coutumier des personnages marginaux excentriques et le rôle lui va comme un gant. La géniale Ruth Negga complète le trio, prend à bras le corps le personnage hyper charismatique de Tulip, et ex-petite amie du brave pasteur bad ass adepte des explosifs, des armes à feu et de la castagne. 

Notre pasteur, alcoolique et hanté par un lourd passé familial, tente d’attirer dans son Église les membres de sa pittoresque congrégation (dont Eugene – joué par Ian Colletti – surnommé Arseface car atrocement défiguré après une tentative de suicide ratée) en prononçant des sermons auxquels il ne croit pas. Lorsque Genesis lui tombe (littéralement) dessus, Jesse se découvre la capacité surnaturelle de contraindre ses interlocuteurs à exécuter ses ordres. Malheureusement pour lui, Genesis fait aussi de lui la cible d’agents venus du ciel et de l’enfer contre lesquels il va devoir lutter. Jusqu’au final de la saison où l’on découvre que Dieu… s’est barré. Il a disparu, personne ne sait où il est (on découvrira plus tard qu’il sillonne les États-Unis à moto, déguisé en dalmatien, en compagnie d’une jolie jeune femme peu vêtue…) – et c’est le point de départ du reste de la série. 

Jesse face à l’impitoyable Saint of Killers.

Dès lors, l’histoire devient une sorte de road-movie, nos trois héros parcourant le pays puis le monde à la recherche de Dieu tandis que les puissances du ciel et de l’enfer se déchaînent en lançant à leurs trousses leurs meilleurs hommes et que l’apocalypse approche (il ne manquait plus que ça !). 

D’autres personnages apparaissent ou prennent davantage d’importance : l’impressionnant Saint of Killers (stupéfiant Graham McTavish); Herr Starr (glaçant Pip Torrens) le chef d’une organisation religieuse apocalyptique nommée The Holy Grail ; l’inénarrable Humperdoo, descendant débile du Christ (Tyson Ritter joue les deux personnages) et masturbateur compulsif sensé détruire le monde en… faisant des claquettes ; ou même à Adolf Hitler (Noah Taylor), logiquement expédié en Enfer… jusqu’à ce qu’il en sorte. (On précise que ces lignes ont été écrites sans qu’aucune substance illicite n’ait été consommée – du moins,  pas par l’autrice de l’article.)

Entre recherche de Dieu, apocalypse imminente, bataille pour conserver ou s’approprier Genesis, on suit ainsi le voyage de Jesse et de ses acolytes tandis que des histoires parallèles, plus ou moins pertinentes, mettent l’accent sur d’autres intrigues : le passé familial de Jesse avec sa grand-mère adepte du vaudou, les mésaventures vampiriques de Cassidy en Louisiane , le chemin de croix de Herr Starr, les tentatives de clonage de Humperdoo, la damnation « accidentelle » du pauvre Eugene. Jusqu’à une ultime saison qui se recentre sur l’intrigue principale et nous emmène jusqu’à cette fameuse apocalypse annoncée tandis que Jesse retrouve Dieu – à ses risques et périls.

On l’a dit, le comic est volontairement provocateur et sulfureux. Sa transposition à l’écran l’est également, elle est tour à tour violente, irrévérencieuse, surréaliste, dérangeante, débile, inspirée… et presque toujours drôle. Elle enchaîne situation délirantes et extrêmes, humour gras et au-dessous de la ceinture, bagarres graphiques très réussie avec musique pop (voir la scène qui suit), raillerie des croyances et institutions religieuses tournées en ridicule parfois jusqu’à l’humiliation totale. 

Preacher va très loin dans tous les domaines, quitte à se condamner à la surenchère en voulant toujours en faire plus – plus violent, plus scato (évitez de regarder certaines scènes de la saison 3 en mangeant…), plus déjanté, plus blasphématoire. Parfois, ça fonctionne (au hasard : l’inénarrable baston entre Jésus et Hitler !) et parfois non (une bonne partie de la saison 3). Ce qui n’empêche pas la série de distiller de petites conversations ou d’induire une réflexion relative à la religion, au milieu de séquences improbables et de gags lourdingues. On pense ainsi à la discussion finale entre Dieu et Jesse, la damnation injuste de Eugene, la rédemption vengeresse du Saint of killers, le personnage de Herr Starr… ou simplement Dieu, qu’on peut sans sourciller qualifier (dans la série, hein) de connard égoïste, cruel et manipulateur.

Bien que les audiences de Preacher aient rapidement chuté,  AMC a laissé l’opportunité aux showrunners de conclure l’histoire. Sam Catlin a  alors laissé de côté les digressions pour sceller dignement le sort des trois protagonistes et du Monde menacé d’apocalypse, avec un dernier épisode extrêmement dynamique et efficace. Avec en particulier une ultime scène étonnamment sobre et émouvante, sous forme de flash-forward nous emmenant plusieurs décennies après la fin de l’histoire de Jesse Custer.

Si vous êtes prêt à vous investir dans une histoire non conventionnelle et subversive, si vous n’êtes pas facilement choqué en matière de religion, si vous êtes fan de The Boys (série créée par les mêmes Rogen / Goldberg d’après un comic du même Ennis), Preacher est certainement pour vous. Violente, drôle, blasphématoire, choquante et déjantée, voilà une série certes inégale mais souvent  réjouissante, qu’elle soit stupidement provocatrice ou intelligemment dérangeante. Preacher, c’est en quelque sorte un mélange de plusieurs alcools avec une rasade d’anti-gel par-dessus : un cocktail indigeste mais qui arrache et qui vous laisse groggy. Le genre de trucs que Cassidy boirait d’une traite…

Preacher (AMC)
4 saisons – 43 épisodes de 45′ environ.
Diffusée en France sur OCS et disponible sur Amazon Prime.
En DVD et BR. 

About author

Traductrice et chroniqueuse, fille spirituelle de Tony Soprano et de Gemma Teller, Fanny Lombard Allegra a développé une addiction quasi-pathologique aux séries. Maîtrisant le maniement du glaive (grâce à Rome), capable de diagnostiquer un lupus (merci Dr House) et de combattre toutes les créatures surnaturelles (vive les frères Winchester), elle n'a toujours rien compris à la fin de Lost et souffre d'un syndrome de stress post-Breaking Bad
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