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Christine Lagarde au FMI : «On entend le fracas des arbres qui tombent, mais pas le murmure de la forêt qui pousse.»

Assurer l’avenir économique d’une planète de 8 milliards d’individus dans une conjoncture mondiale incertaine, voilà le défi auquel est confronté chaque jour Christine Lagarde dans ses fonctions de Directrice générale du FMI. Dans chacun de ses déplacements, ses discours témoignent d’une véritable vision dans les trajectoires d’avenir de nos sociétés. La preuve lors de son déplacement en Afrique.

Voici le discours de Christine Lagarde prononcé devant l’Assemblée nationale du Niger, à Niamey, le 21 décembre 2011.

Mesdames et Messieurs, bonjour. Je me sens privilégiée d’être parmi vous aujourd’hui. Je remercie le Président Mahamadou Issoufou de m’avoir invitée à visiter votre vaste et magnifique pays. Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée, c’est pour moi un grand honneur de prendre la parole devant vous aujourd’hui.

Ce n’est certes pas la première fois que je viens en Afrique, ou même au Niger. Mais c’est la première fois en tant que Directrice générale du FMI. Je suis fermement déterminée à faire en sorte que le FMI réponde de la manière la plus efficace possible aux besoins de tous ses pays membres, grands et petits, riches et pauvres. Cette visite est donc pour moi une occasion importante d’écouter vos points de vue et de renforcer notre partenariat pour les années à venir.

Malheureusement, ce voyage n’a pas lieu dans les meilleures circonstances. Nous vivons en effet une période difficile pour l’économie mondiale.

«On entend le fracas des arbres qui tombent, mais pas le murmure de la forêt qui pousse.» [proverbe touareg]

Le Niger et d’autres pays de la région doivent surveiller attentivement les nuages lourds de menaces qui s’amoncellent à l’horizon.

Je voudrais donc aborder quatre thèmes aujourd’hui :

  • Premièrement, l’état de l’économie mondiale.
  • Deuxièmement, ce qui en découle pour l’Afrique.
  • Troisièmement, quelques réflexions sur la voie que pourrait emprunter le Niger pour se prémunir contre ces risques mondiaux et mettre à profit les nouvelles possibilités qui s’offrent.
  • Enfin, quatrièmement, la contribution que peut apporter le FMI.

1.   Perspectives mondiales et politiques économiques

Je l’ai dit bien souvent, l’économie mondiale traverse actuellement une phase dangereuse. Les perspectives de croissance se sont considérablement dégradées ces derniers mois. Et, pire encore, il existe de graves risques baissiers.

La menace immédiate est celle d’un engrenage pernicieux — marqué par une détérioration de la confiance, une aggravation de l’instabilité des marchés financiers et l’accumulation de dettes publiques insoutenables —, autant de facteurs qui concourent à un affaiblissement inexorable de la croissance. De plus, le chômage reste à des niveaux inacceptables dans un trop grand nombre de pays.

Les pays avancés de la zone euro sont au centre de la crise; ils doivent donc être au centre de sa solution.

Il est bon de prendre du recul et de ne pas perdre de vue la nécessité de rétablir la stabilité et la croissance, une croissance génératrice d’emplois.

Les pays avancés doivent trouver un juste équilibre en menant des politiques budgétaires et monétaires de nature à promouvoir la croissance et la stabilité. Ils doivent mettre résolument en œuvre des politiques structurelles fermement centrées sur l’amélioration de la compétitivité, la croissance et l’emploi. Ils doivent enfin renforcer la réglementation du secteur financier pour que celui-ci soit plus sûr et plus stable et mieux à même de soutenir la croissance.

Comme l’a dit Jean-Paul Sartre, «notre responsabilité est beaucoup plus grande que nous ne pourrions le supposer, car elle engage l’humanité entière».

Si rien n’est fait, la crise de confiance va s’aggraver et tous les pays, toutes les régions sans exception, vont en ressentir les conséquences.

2.   Ce qui en découle pour la région

Cela m’amène à mon deuxième thème : les conséquences de cette aggravation des risques mondiaux pour la région.

Je voudrais tout d’abord saluer les progrès accomplis par l’Afrique subsaharienne au cours de la décennie écoulée. Sans vouloir bien sûr minimiser les défis qui subsistent, force est de constater que la région aborde cette nouvelle période dans des conditions inédites, et bien meilleures.

Grâce à de bonnes politiques économiques, elle a su créer les conditions d’une croissance vigoureuse. Dans toute la région, la croissance a été en moyenne de l’ordre de 5 à 6 %, voire plus, au cours de ces dix dernières années et elle a permis à des millions d’Africains de sortir de l’extrême pauvreté.

Malheureusement, la flambée des prix des produits alimentaires et de l’énergie en 2008, puis la crise financière mondiale qui a suivi, ont durement éprouvé les pays de la région. La croissance économique a reculé en Afrique, avec de graves conséquences sociales — la Banque mondiale estime que d’ici à 2015 le taux de pauvreté en Afrique subsaharienne sera supérieur de 2 points à ce qu’il aurait été sans la crise.

Pourtant, cela aurait pu être bien pire. Lorsque la crise a éclaté, de nombreux dirigeants africains ont pu réagir avec efficacité. La plupart des pays ont été en mesure de préserver leurs dépenses essentielles de santé, d’éducation et d’infrastructure. En outre, beaucoup de pays de la région se sont vite redressés et sont maintenant en passe de renouer avec les taux de croissance qu’ils affichaient au milieu de la décennie 2000.

Cela témoigne de la ferme détermination des responsables africains et de leurs efforts inlassables. Ils ont réduit les déficits budgétaires et la dette publique pendant les années qui ont précédé la crise. Ils ont fait diminuer l’inflation et accumulé des réserves de change. Bref, ils ont constitué des marges de manœuvre macroéconomiques et consolidé l’assise de leur économie. C’est ainsi que la plupart des pays de la région ont été en mesure de préserver leurs dépenses sociales et d’infrastructure essentielles lorsque la crise a éclaté.

Mais les difficultés récentes des pays avancés ont des retombées qui mettent une fois de plus à l’épreuve la capacité de résistance de l’Afrique.

Les liens commerciaux et financiers qui, en période faste, jouent un rôle si décisif dans le développement de nos économies, sont devenus paradoxalement les liens par lesquels se propagent aujourd’hui les risques économiques.

Un ralentissement prolongé de la croissance dans les pays avancés, conjugué au regain d’instabilité des marchés financiers, pèsera sur la demande d’exportations africaines. Il pourrait aussi freiner les flux de financements privés, les envois de fonds des travailleurs expatriés et, peut-être, l’aide au développement. Perspective inquiétante pour le Niger — les flux d’aide sont importants et les envois de fonds ont déjà été perturbés par les troubles en Libye.

Le risque de plus grande instabilité des marchés de matières premières pourrait causer de nouvelles turbulences. Dans la région, certains y gagneront, mais d’autres y perdront. Ce sera aussi un domaine à surveiller de près pour le Niger, compte tenu de l’importance croissante des ressources naturelles.

Ce qui me préoccupe le plus pour de nombreux pays de la région, c’est que leur capacité à absorber de nouveaux chocs n’est plus ce qu’elle était il y a trois ans. Cela serait d’autant plus inquiétant si le ralentissement mondial actuel devait s’accentuer.

Il s’ensuit que la voie est étroite — il s’agit de contrer les risques immédiats induits par le ralentissement mondial tout en préservant les ressources budgétaires nécessaires pour investir dans des infrastructures propres à promouvoir l’emploi et la croissance.

Mais, pour la plupart, les décideurs doivent s’attacher avant tout à reconstituer les marges de manœuvre budgétaires qui leur ont été si utiles lors du dernier retournement de conjoncture.

3. La voie que pourrait emprunter le Niger

J’en viens au troisième point : les réformes qui peuvent aider le Niger à se prémunir contre ces risques et à mettre à profit les nouvelles possibilités qui s’offrent à lui. Avant d’aller plus loin, permettez-moi de dire combien je suis impressionnée par l’ambitieux plan de développement des autorités.

Les investissements dans les secteurs pétrolier et minier ouvrent les perspectives d’un avenir économique meilleur, mais il ne sera pas facile de réaliser pleinement le potentiel économique du Niger.

Il y a d’abord les risques grandissants qui pèsent sur l’économie mondiale. Il faut ensuite se rendre à la dure évidence que relativement peu de pays ont réussi à bien gérer leurs richesses naturelles. Le Niger a toutefois un avantage : il peut profiter de l’expérience des autres.

Au plan intérieur, le pays a de redoutables défis à relever sur le front du développement. La pauvreté est le problème le plus urgent à résoudre : plus de 40 % de la population vit avec moins de 1,25 dollar par jour.

Les graves pénuries alimentaires de ces derniers mois nous rappellent, hélas, que le Niger est vulnérable aux chocs climatiques — les sécheresses notamment — et à l’insécurité alimentaire. Or, le manque d’infrastructures et le coût élevé de la pratique des affaires nuisent au développement de l’agriculture et des autres secteurs.

Pour imposants que soient ces besoins, l’augmentation des recettes pétrolières et minières, si elle est judicieusement mise à profit, pourrait aider à promouvoir une croissance plus généralisée et mieux partagée. Une croissance dont tous les Nigériens pourraient recueillir les fruits.

Pour atteindre cet objectif, il y a, à mon sens, trois grandes priorités.

Premièrement, gérer de manière efficace et transparente les recettes provenant des ressources naturelles.

L’adhésion du Niger, cette année, à l’Initiative pour la transparence des industries extractives représente un jalon fondamental.

L’un des principaux objectifs devrait être d’atténuer, dans la mesure du possible, la vulnérabilité du Niger aux fluctuations des cours des produits de base compte tenu de leur importance croissante comme source de recettes budgétaires.

Pour l’atteindre, il faut inscrire la politique budgétaire dans un cadre à moyen terme, de manière à lisser les dépenses et utiliser judicieusement les gains générés par la montée des cours.

«Il faut creuser les puits aujourd’hui pour étancher les soifs de demain.» [proverbe touareg]

Il importe de se préparer; on ne saurait trop insister sur ce point. Aussi modeste qu’elle soit, toute épargne sera d’un grand secours face aux chocs.

Deuxièmement, tirer le meilleur parti des ressources naturelles.

Cela signifie mobiliser les recettes issues des ressources naturelles au profit d’investissements publics efficients dans les infrastructures, l’agriculture, la santé et l’éducation. Des investissements à rendement élevé, nécessaires pour nourrir la croissance et créer des emplois.

Il importe de dégager la marge de manœuvre budgétaire pour d’autres dépenses publiques primordiales. Je pense notamment au renforcement des dispositifs de protection sociale. C’est ce qui permettra d’aider les populations les plus vulnérables en temps de crise. Le Dispositif national de prévention et de gestion des crises alimentaires que vous avez mis en place est un excellent exemple.

Je vous engage toutefois à ne pas perdre de vue la viabilité de la dette publique, en maîtrisant le volume global d’emprunts et l’endettement tout en cherchant à obtenir les meilleures modalités de crédit.

Troisièmement, mener une stratégie de développement généralisé.

La stratégie de croissance et de développement du Niger ne doit pas se limiter à la mise en valeur des ressources naturelles ni aux investissements publics. L’amélioration du climat des affaires contribuera à attirer davantage d’investissements privés générateurs d’emploi dans un plus large éventail de secteurs.

En encourageant la diversification de son économie, le Niger sera mieux en mesure de résister aux chocs et mieux à même de parvenir à une croissance mieux partagée, porteuse de débouchés et d’emplois pour l’ensemble de la population. Ce matin, en visitant le marché de Boubon, j’ai pu apprécier directement la chaleur, l’hospitalité et le dynamisme des populations.

Le peuple nigérien est une richesse formidable et j’encourage les autorités à suivre une démarche encore plus solidairedans l’élaboration du nouveau Plan de développement économique et social pour 2012–2015.

4. Le rôle du FMI

J’en arrive à mon quatrième et dernier point : la tâche est aussi vaste que redoutable et le FMI est là pour vous accompagner. Grâce à un dialogue plus intense — qui permettra au FMI d’être encore plus attentif à vos besoins et à ceux de l’Afrique — nous serons en mesure de vous servir encore plus efficacement. Nous serons d’autant mieux équipés pour faire entendre la voix de la région au sein des instances mondiales.

Je suis déterminée à promouvoir un dialogue plus intense et plus fructueux.

Ces dernières années, le FMI a tiré d’importants enseignements; nous savons notamment que, pour fournir un appui financier efficace, nous devons réagir rapidement aux demandes des pays membres et préserver une marge de manœuvre suffisante pour les dépenses hautement prioritaires, afin d’accompagner la croissance et de protéger les plus vulnérables.

C’est la raison pour laquelle nous avons renforcé notre capacité d’octroyer des prêts concessionnels et assoupli nos instruments de prêt.

Par ailleurs, nous redoublons d’efforts pour aider la région avec nos conseils de politique économique et notre assistance technique. Le FMI a un savoir-faire à partager, un savoir-faire qui peut aider les pays africains à atteindre leurs objectifs économiques et sociaux. Par exemple, nous allons continuer de travailler en étroite collaboration avec le Niger pour fournir des conseils techniques dans les domaines cruciaux que sont l’exécution et la gestion du budget, la politique fiscale et l’analyse des projets de mise en valeur des ressources naturelles. En outre, par le biais de nos centres régionaux d’assistance technique, nous pouvons jouer un rôle important d’échange de savoir-faire entre pays.

Conclusion

Le Niger se trouve à un moment décisif, et la voie à suivre n’est pas facile. Les enjeux sont considérables, à la mesure des risques qui pèsent sur l’économie mondiale. Le pays a la chance énorme de pouvoir changer de cap et d’offrir un nouvel avenir à tous les Nigériens.

«Le présent n’est pas un passé en puissance, il est le moment du choix et de l’action.» (Simone de Beauvoir)

Le Niger n’est pas seul. Nous avons tous un rôle à jouer.

Le FMI — et les autres acteurs de la communauté internationale — doivent être prêts à faire plus. Vous avez en nous un ami et un partenaire. Nous sommes là pour vous écouter et vous aider à tracer votre chemin vers un avenir de plus grande prospérité et d’un bien-être durable pour tous les Nigériens.

Merci de votre attention.

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