L’acteur Eugene Levy est Le voyageur malgré lui de cette série documentaire aussi passionnante que chaleureuse et décalée.
C’est quoi, The reluctant traveler ? Eugene Levy est l’exact opposé du globe-trotter enthousiaste : il se définit lui-même comme anxieux, casanier, peu enclin à l’inconnu. Pourtant, il va sortir de sa zone de confort et partir découvrir le monde. Du Kenya au Japon en passant par le Portugal, la Suède, l’Inde, l’Irlande, la France, l’Italie ou le Costa Rica, logé dans des hôtels luxueux, il découvre la culture locale et les traditions grâce aux habitants, dans des paysages sublimes. Et au fil des saisons, Levy évolue : du voyageur réticent, il devient un voyageur curieux puis presque volontaire. Sans jamais se départir de ce qui fait son charme : son humour discret, sa sincérité, son regard humble et son sens de l’autodérision.
Le voyageur malgré lui
Quand Apple TV+ lui propose une série de voyage, l’acteur Eugene Levy (Schitt’s creek, American Pie) refuse. Il n’aime pas voyager, il n’aime pas l’inconnu, il n’aime pas qu’on bouleverse ses habitudes. Il est stressé, casanier, routinier et préfère rester dans le confort de son salon plutôt qu’aller se fourrer dans des lieux qui ne lui sont pas familiers, fussent-ils de toute beauté. Or, loin de décourager Apple TV, ce refus leur donne une idée brillante : et si cette réticence devenait le point de départ de la série ? Et si le narrateur du voyage était justement celui qui n’a pas envie d’y aller ?
Ce renversement est fondamental. The Reluctant Traveler n’est pas un guide touristique filmé en cartes postales, ni une quête de sensations fortes. C’est une série sur le décalage : un homme de plus de 70 ans anxieux et routinier face à un monde vaste, bruyant et changeant. Ce décalage crée de l’humour, mais surtout de l’émotion.
Un voyage à la découverte du monde et des autres
Le génie de la série est dans ce point de vue. Eugene Levy n’est ni expert, ni aventurier, ni influenceur — il est juste humain. Il a froid quand il fait froid. Il a chaud quand il fait chaud. Il est stressé quand il ne comprend pas les codes. Et il le dit, avec une autodérision irrésistible : « I’m more of a Great Indoors kind of guy », « Hearty and resilient have never been used to describe me». Cela crée une proximité rare : le spectateur est invité à accompagner quelqu’un qui apprend, qui découvre, qui écoute. Et dans un genre souvent saturé de performances, de vitesse et d’exotisme forcé, cette lenteur curieuse est précieuse.

Ce qui distingue aussi The Reluctant Traveler, ce sont les rencontres. Que ce soit avec des artisans, des habitants, des danseurs, Joan Collins ou même le Prince William himself au château de Windsor, les échanges sont filmés avec douceur, sans sensationnalisme. On se souvient par exemple de l’émotion de Eugene en Écosse lorsqu’il découvre l’histoire de ses ancêtres ; de son hésitation touchante avant d’entrer dans la danse K-pop à Séoul ; de son émerveillement face au Día de los Muertos au Mexique ; de son angoisse face à la menace d’un volcan au Costa Rica, de sa maladresse élégante lorsqu’il arbitre un combat de sumo au Japon. Ces moments donnent à la série une profondeur inattendue. Ce n’est pas seulement “voir le monde”, c’est apprendre à se situer dedans – comme invité, pas comme conquérant.
Une évolution discrète dans des lieux paradisiaques
Avec Eugene, on découvre des lieux sublimes. Le lido vénitien, les grandes salles de bal viennoises, la jungle d’Amérique centrale, les atolls de rêve, le quartier Juif de Lisbonne, la Corée entre pop culture et traditions, l’Irlande de la Saint Patrick, les immensités glacées scandinaves… Le tout dans des hôtels tous plus superbes les uns que les autres, avec une part de rêve étant donné leur coût inaccessible au commun des mortels. Intéressante et même passionnante, la série raconte ces lieux à travers ses habitants, sa culture, sa gastronomie, son histoire ; comme dans les meilleurs documentaires, on apprend énormément de choses.
Mais la plus belle réussite de la série est son arc narratif invisible : l’évolution d’Eugene lui-même. De saison en saison, il change. Il l’admet : il est devenu un voyageur presque volontaire. Presque enthousiaste. Jusqu’à choisir lui-même ses destinations dans la troisième saison, lorsqu’il dresse sa « bucket list ». On assiste à une transformation subtile : Levy reste fidèle à lui-même, mais s’ouvre. Un petit peu. Il accepte davantage l’inconnu, il se met en danger doucement (conduire un camping car en Louisiane, diriger un orchestre à Vienne, parler de ses ancêtres en Écosse). La série devient alors autant un carnet de voyage qu’un journal intime déguisé.

Ce glissement est d’autant plus fort qu’il est modeste. Pas de grand discours, pas de transformation spectaculaire — juste un homme de plus de 70 ans qui s’autorise à être un peu moins inquiet, un peu plus curieux, un peu plus vivant. C’est une série de voyages et un récit sur la résilience. Sur le courage doux : celui de sortir de ses habitudes, pas pour se dépasser héroïquement, mais pour rester en mouvement. Et c’est peut-être pour cela qu’elle touche autant : elle parle moins du monde que du rapport que nous entretenons avec lui.
The Reluctant Traveler est une série de voyages qui ne cherche pas à impressionner, mais à relier. Elle ne vend pas des destinations, elle raconte des expériences. Elle ne met pas en scène un héros, mais un homme ordinaire face à l’extraordinaire du monde. Portée par le charme, l’humour et la désinvolture d’un Eugene Levy irrésistible, c’est une série documentaire belle, drôle, apaisante, souvent émouvante. Le sourire aux lèvres, on a envie de voyager nous aussi. Non pas pour cocher des cases, mais pour rencontrer, comprendre, ressentir. Un voyage à faire avec les yeux et avec le cœur.