L’indépendance de la presse constitue une préoccupation bien partagée chez les journalistes français. Demandez à n’importe quel homme de presse de quel aspect de sa fonction il tire le plus de satisfaction, et il vous répondra avec une conviction inébranlable, qu’il n’aspire qu’à servir l’idéologie professionnelle de l’indépendance et de l’autonomie des journalistes. Informer, en s’efforçant de demeurer neutre et objectif, contribuer à la formation d’esprits critiques, en somme incarner le contre-pouvoir sans qui la démocratie ne serait pas. On arriverait presque à y croire.
« La presse française est globalement d’une politesse lamentable »
Car en réalité, il est une tradition spécifiquement française – du moins au sein de la famille des démocraties occidentales – une tradition qui induit la complaisance de la presse envers les hommes de pouvoirs. Dominique Strauss – Kahn, qui a longtemps entretenu des relations très étroites avec les journalistes, illustre à merveille cette exception française. Jean Quatremer – écrivain et rédacteur pour libération, révélait il y a quelques mois que le milieu journalistique français n’ignorait pas les tendances luxurieuses de l’ancien directeur du FMI, et ce bien avant son inculpation pour agression sexuelle. Pourquoi la presse française est –elle restée silencieuse sur les travers de l’ancien ministre de l’économie quand les médias américains en 1998 dénonçaient les adultères récurrents de Bill Clinton ? La complaisance des journalistes français choque en Europe, à un tel point que Juan Pedro Quinonero, rédacteur pour le quotidien ABC, affirme que la « Presse française est globalement d’une politesse lamentable ». Aussi, certains analystes politiques se sont montrés dubitatifs quand le nom de Claire Chazal avait été dévoilé pour mener la confrontation télévisée face à Dominique Strauss Kahn le soir du 18 Septembre 2011. Arnaud Mercier, expert en communication politique affirmait dans ce sens que Claire Chazal n’était pas considérée comme la plus « punchy » des journalistes et qu’à ce titre l’ancien directeur du FMI ne sera pas poussé dans les cordes. Lynché médiatiquement aux États – Unis, et protégé dès son retour en France, DSK a malgré tout profité de l’indulgence de la presse française, et de son respect pour le principe de présomption d’innocence.
La pratique du « off » : De la déontologie journalistique
Dans la famille des atteintes à l’idéologie professionnelle d’indépendance du journalisme, je demande le « off ». « Le « off », c’est la seule façon d’apprendre à connaître les politiques » a déclaré Nicolas Sarkozy devant une quinzaine de journalistes, en janvier, lors de son dernier voyage en Guyane. A l’origine, le “off” (« off the record » en anglais) désigne toutes les informations non enregistrées, autrement dit, les informations qui ne doivent pas être répétées par les journalistes. Les hommes politiques l’utilisent afin de renseigner les journalistes ou de leur apporter des précisions sur leurs propos. Il s’agit en fait d’un échange de bons procédés : en l’échange d’informations exclusives délivrées par les politiques, ces derniers peuvent obtenir les faveurs d’une partie de la presse. On savait, par exemple, Nicolas Sarkozy et Dominique Strauss- Kahn très friands de ce genre de pratiques. En somme, il existe un espace de discussion inconnu du plus grand nombre, un espace de dialogue souterrain, où les protagonistes relèvent uniquement du champs politique ou journalistique. La population française, qui n’a pas le droit de savoir ce qui se chuchote en « off », est ainsi sujette à une manipulation permanente.
A l’heure où la France change de présidence et d’orientation, il serait bon de repenser la nature des relations entre presse et politiques. Mais il se murmure déjà que l’élection de François Hollande aura des répercussions sur l’organigramme des grands médias.
Un système démocratique vérolé, des principes républicains bafoués : la France des connivences.
Tristan Molineri