Les discussions entre l’Union européenne et les Etats-Unis en vue d’un accord de libre-échange ont été entamées ce lundi 8 juillet, à Washington. Mais les dossiers étudiés sont complexes, et le climat s’est assombri après les révélations d’Edward Snowden sur les méthodes d’espionnage américaines.
Lundi, vers 15h GMT, les négociations Europe-Etats-Unis se sont officiellement ouvertes, en l’absence des médias. Dirigées par Michael Forman, représentant au Commerce extérieur américain, et le négociateur en chef européen Ignacio Garcia Bercero, elles prendront cette semaine la forme d’une première revue générale, puis donneront lieu à une conférence de presse vendredi. L’objectif est clair : signer un accord de libre-échange avant octobre 2014 et l’expiration du mandat de l’actuelle Commission européenne. Mais il est pour l’instant impossible de l’imaginer, tant la plupart des sujets évoqués sont sensibles. Et ce premier contact aurait même pu ne pas avoir lieu. Après le tollé provoqué par les révélations sur l’espionnage de bureaux de l’UE par l’agence américaine NSA, Paris menaçait de tout suspendre. Avant finalement de se ranger derrière la solution allemande d’accepter le début des débats, tout en exigeant des explications américaines en parallèle.
Attention, sujets glissants
Dans ce contexte polémique, les discussions ont donc malgré tout débuté. L’accord, s’il aboutit un jour, portera le nom de « partenariat transatlantique de commerce et d’investissement » (Tipp). Il réduira alors les restrictions freinant les échanges entre les deux zones. Premier point abordé, les tarifs douaniers. Rarement au delà des 3%, sauf quelques exceptions, ceux-ci pourraient être encore abaissés. Un dossier sans véritable obstacle et à enjeu mineur. Mais vient ensuite le sujet global des règlementations. Europe, Etats-Unis, chaque partie a ses méthodes, et l’idée est de les faire converger. Une idée pour le moment utopique, comme le résume André Sapir, économiste à l’université de Bruxelles : « Ce qui est faisable n’est pas intéressant, et ce qui est intéressant n’est pas faisable. ». En fait, pour de nombreux chapitres, il est difficile de trouver un terrain d’entente.
Premier exemple, le domaine de la vie privée en ligne. Plusieurs géants américains, comme Google ou Facebook, prônent un allègement des règles européennes. Une concession inenvisageable pour l’UE, surtout après la découverte d’une collaboration entre grands de la high-tech et services de sécurité américains. Autre dossier important, celui des marchés publics américains. Washington donne la priorité à ses PME sur certains d’entre eux. L’Europe aimerait modifier cette législation, et les Etats-Unis s’en méfient. « Nous sommes très inquiets de la volonté de l’UE d’ouvrir à la concurrence les marchés publics passés au niveau des États fédérés et des municipalités », affirme l’Alliance manufacturière américaine. Le domaine agricole est aussi concerné, et certaines normes alimentaires sont débattues. L’administration Obama veut exporter produits OGM et bœuf aux hormones plus facilement, mais l’UE refuse. Une négociation qui « n’aboutira que si l’accord est vraiment gagnant-gagnant », précise le Premier ministre français Jean-Marc Ayrault. En juin, les deux parties étaient pourtant parvenues à un accord prometteur concernant l’audiovisuel. Au nom de l’exception culturelle, l’Europe avait obtenu l’exclusion du secteur audiovisuel des négociations. Mais, à l’heure des grandes manœuvres, cette décision occasionnera peut être une demande américaine d’exclusion d’un autre secteur en retour… Face donc à tant de difficultés, le risque qu’un accord ne soit pas signé avant la date fatidique d’octobre 2014 grandit, selon l’agence Reuters.
Un accord historique ?
Si cet accord de libre-échange est très complexe, il pourrait être, en cas d’aboutissement des négociations, historique et révolutionnaire. Le Tipp serait en effet le plus important accord de ce type jamais conclu. Il représenterait près de 50% de la production économique mondiale et 30% du commerce international. Mais surtout, il isolerait les économies chinoise et indienne, et accentuerait la domination de l’axe Europe-Etats-Unis sur le commerce mondial. « Nous rencontrerons bien sûr beaucoup de problèmes et des obstacles, mais si nous parvenons à un accord, il sera historique », se réjouit Karel De Gucht, commissaire européen au commerce. Une telle entente aurait aussi bien sûr un fort impact économique. Pour le Centre for Economic Policy Research de Londres, l’accord génèrerait plus de 100 milliards de dollars par an. Ce serait aussi une augmentation de croissance d’environ 0,5% par an pour l’UE, selon la Commission européenne. Enfin, l’Institut de conjoncture allemand annonce qu’environ 800 000 emplois verraient le jour. De belles promesses donc, mais le Tipp n’est pas encore né, bien au contraire…
En marge de ces négociations commerciales, Européens et Américains se sont réunis lundi pour évoquer l’affaire d’espionnage révélée par Edward Snowden il y a quelques semaines. Une réunion où chaque pays concerné était représenté, et qui constituait « le lancement d’un processus de clarification demandé par la France et qui est nécessaire pour rétablir la confiance entre les alliés, notamment au vu du lancement des négociations commerciales. », rapporte une source française anonyme. Une première étape qui en appelle d’autres, tant les discussions seront âpres et longues.