Akhenaton a beaucoup de choses à dire. Une chance pour un rappeur. Avec une exposition à l’Institut du Monde Arabe, une tournée africaine en préparation avec IAM, la vive polémique concernant son partenariat avec Coca-Cola et les politiques qui continuent de déraper, le temps devient une denrée extrêmement précieuse pour lui. Avec cette vigueur et son accent qui le caractérise, Chill pour les intimes, se prête volontiers au jeu des questions/réponses avec le sourire.
Directeur Artistique d’une exposition, c’est une première, comment aborde t-on ce nouveau rôle ?
Je travaille sur cette expo depuis deux ans et demi. J’ai réussi à tenir le secret parce que je ne voulais pas en parler et cela aurait été stupide de ma part au vu du nombre de fois où le projet a failli capoter. Si ça n’avait pas marché, j’aurais vraiment eu l’air d’un con donc j’ai bien fais de tenir ma langue même si ça s’est réalisé finalement. Pendant deux ans on a travaillé, on a fait des réunions, on a choisi des directions, on a choisi des œuvres, on a construit nos rêves, on a abandonnés des rêves. On fait le deuil de trucs qu’on voulait faire et pour lesquels nous n’avons pas eu les moyens mais globalement je suis très fier. Souvent on me demande « Pourquoi tu as dit oui ? ». Tout d’abord je ne suis pas un expert de l’institutionnel, c’était une première justement. Par contre j’estime que l’on est à une époque où il faut rappeler certaines choses. Il faut rappeler pourquoi le Rap est apparu, rappeler pourquoi la culture Hip-Hop est apparue et qu’est-ce que cette culture est. L’objectif, c’est que le visiteur qui quitte cette exposition ait envie de se renseigner plus profondément sur ces artistes. C’est la culture qui a le plus influencé le monde ces trente dernières années. Il y a aussi une envie de lutter contre l’estrosisation des esprits qui consiste à dire que le rap est une musique de délinquants qui a réussi et le Hip-Hop une culture d’animateurs sociaux.
« Quelqu’un qui rappe depuis trois mois a autant de légitimité qu’un type qui rappe depuis trente ans. »
Faire rentrer un courant aussi sauvage et vaste que le Hip-Hop dans un musée n’a pas dû être simple, est-ce qu’on peut rationaliser voir codifier ce mouvement ?
Il ne fallait pas faire un musée où tout est figé, il fallait de l’interactivité. On a fait tourner de la musique de partout pour éviter que les gens soient fixés sous des casques, qu’ils puissent échanger entre eux. Lors de la première réunion avec l’Institut, je leur ai dit « Si on fait une expo historique, on est morts. On n’a pas la place, il faudrait quinze instituts pour tout caser. Venez on fait une expo sur la transmission des États-Unis à la France et de la France aux pays Arabes.» Donc on est sur cette ligne là mais aussi et surtout pourquoi elle se transmet ? Parce qu’elle est accessible et dès qu’une personne est contaminée, comme un virus, il ne peut plus s’en détacher. C’est une culture virale et ouverte à tout le monde. Un gamin qui rappe depuis trois mois est aussi légitime qu’un type qui rappe depuis trente ans, il est incorporé à cette culture, il n’y a pas de grade.
En tant que passionné de Hip-Hop, comment gère t-on le côté affectif, le côté passionnel sans trop déborder ? Y avait-il des sortes de garde-fous ?
C’est très dur de gérer ça, de gérer ses délires, souvent des délires qui coutent chers ! (Rires) Mon délire personnel que j’ai abandonné dans l’expo, c’était celui de reconstituer le magasin de vinyles B-Street Records à Brooklyn en intégralité. On devait le placer là où il y a actuellement le mur de vinyles avec les comptoirs, la vitrine, etc. Quand il y a eu des coupes budgétaires, c’est le premier truc qui a morflé. Mais oui il faut se calmer. On ne peut pas tout avoir, tout faire et on a fait une expo en rapport avec ce qu’on pouvait faire.
Tu sais qu’en France nous avons la critique facile, que peux-tu répondre aux visiteurs qui reprocheront à l’exposition de ne pas avoir parlé de ci ou pas assez de ça ?
Il faut que ces gens acceptent que le Hip-Hop qu’ils vivent, c’est leur Hip-Hop. Le Hip-Hop exposé est une vision du Hip-Hop que j’ai vécu avec des coupures budgétaires bien entendu. On ne peut pas tout mâcher. Je le dis souvent mais l’expo est une petite étincelle. Elle peut allumer un feu et Dieu seul sait où il ira. On peut découvrir un tas de groupes et surtout découvrir ce qu’il se fait de bien maintenant. Le Hip-Hop n’est pas mort, il y a beaucoup de groupes qui font des choses très bien et qui méritent d’être découverts.
« Ce qui me peine le plus dans cette histoire, c’est qu’une poignée de quatre mille mecs malveillants omniprésents sur internet et à l’esprit un peu ‘bras droit tendu’ arrivent à influencer un tas de jeunes. »
Revenons sur cette polémique avec Coca-Cola. La marque est un partenaire de l’exposition, est-ce que tu as accepté de faire une chanson pour eux en échange de leur participation financière à l’exposition ? Une sorte d’échange de bons procédés ?
D’abord, il faut resituer les choses. Quand Coca m’appelle, je ne suis pas au courant qu’ils participent à l’évènement sur le Hip-Hop. Je l’ai su une fois que j’ai accepté. Ce qui me peine le plus dans cette histoire, c’est qu’une poignée de quatre mille mec malveillants omniprésents sur internet et à l’esprit un peu ‘bras droit tendu’ arrivent à influencer un tas de jeunes. Le truc terrible avec Internet c’est qu’une affaire peut monter, avoir l’air énorme, mais être en fait engendrée par deux, trois mille personnes et basta. Et le problème c’est que les grands médias reprennent ça, ce qui constitue des victoires énormes pour eux. Les types sont dans des théories complotistes, millénaristes, ils voient des conspirations de partout et les grands médias leurs donnent des tribunes, parlent des polémiques qu’ils engendrent.
Globalement, je les emmerde. J’ai fais mon truc, j’ai pris les thunes, je les ai reversées à des associations. Je n’ai jamais dit que j’étais un altermondialiste communiste d’extrême gauche, que ceux qui ne savent pas lire reprennent ma bio, j’ai toujours dit que j’étais pour un capitalisme plus juste. Oui, je suis issu d’une famille communiste depuis cent ans. Non, je ne suis pas communiste. Je pense qu’il y a assez de fric sur la planète pour faire bouffer tout le monde et que tout le monde ait accès à l’eau potable mais il faut le vouloir. Et ce n’est pas en faisant son rebelle à deux balles sur internet qu’on va y arriver. Je pense qu’aujourd’hui on doit tous essayer des actions individuelles, de se corriger individuellement. Avec les choses bonnes et mauvaises que ça peut engendrer mais tant que tu le fais avec le cœur en adéquation avec ton état d’esprit c’est ce qui est le plus important. Alors au lieu de s’acharner sur Coca, ils devraient mieux s’acharner sur Christian Estrosi qui se trompe de noirs et d’arabes.