Dick Tomasovic est chercheur à l’Université de Liège, il a effectué sa thèse sous la direction de Philippe Dubois. Sa pensée du cinéma d’animation travaille sur la figure animée mais aussi sur l’animateur.
Dick Tomasovic cite dans son article “Les aventures de la figurine” [1] David Bordwell dans son classique Film Art [2] qui définit que “l’illusion des mouvements est produite par de légers changements de position des figures enregistrées photogramme par photogramme”. Ce qui nous rappelle que la stop motion est aujourd’hui pensée comme un procédé d’animation particulier. Rappelons tout d’abord que l’“image par image” a longtemps représenté l’ensemble du cinéma d’animation.
Réfléchir l’animation et ses animateurs
L’ouvrage de Tomasovic à l’écriture extraordinaire et plastique, Le corps en Abîme [3], donne beaucoup de pistes de réflexion sur la stop motion. Il commence par rappeler qu’André Martin nomme les animateurs: “ceux qui animent l’immobile” [4] et, par la référence à l’immobile, il appuie son hypothèse principale: animer n’est pas donner la vie, mais faire bouger la mort.
Le rôle de l’animateur pour Tomasovic n’est plus celui d’un dieu démiurgique qui donne le souffle et l’autonomie de la vie, mais un manipulateur qui prête du mouvement à une figure. D’où Tomasovic différencie le mouvement et le mouvant:
-”Le vivant s’inscrit dans l’ordre du mouvement” (possibilité de bouger ou non)
-”Les figurines, elles, relèvent du mouvant: elles sont condamnées à êtres mues continuellement” [5]
Mise en abîme du Corps en Abîme avec Adam
Les figurines sont passives comme des corps sans vie, soumis à la manipulation de la main de l’animateur et le film Adam [6] des studios Aardman permet de réfléchir cette relation main-figurine, puisqu’il met en scène la plasticité même de l’animation.
Le court-métrage met en scène une petite planète de pâte à modeler où une main géante sortant du monde extraordinaire du hors-champs y a créé un homme (d’où la référence biblique du nom du film). Tout le court-métrage est formé d’interactions entre cette main et l’homme de pâte à modeler (on a envie de dire de glaise); Tomasovic y voit le vrai sujet du film: “la relation conflictuelle entre l’animateur et l’anime” [7]. Et ce conflit passe par la main de l’animateur. Pour la décrire, il utilise les verbes: “conçoit, caresse, ordonne, formate” et fait référence au “doigt magique” et à la figure de la création dans le dieu de Michel-Ange (# le plafond de la chapelle sixtine).
Mais je vous avais promis de parler de macabre dans le titre, et justement, Tomasovic voit Adam comme un “laboratoire” conçu pour révéler une part du phénomène de mort qui passe par la monstration du travail de l’animateur (travail qu’il nomme: “harassant, une quête laborieuse, un sacerdoce, une obsession…”[8])
La vie, la mort, la main
Il conclut que:
“Ce que dit Adam, c’est qu’animer une figurine, c’est faire parler un cadavre; qu’être animateur c’est jouer avec la mort. La vérité du cinéma d’animation, c’est qu’il est une expérience interdite.” [9]
D’où Tomasovic pense l’animation dans son rapport ontologique avec l’animateur qui est, de ne pas donner la vie, mais faire bouger la mort. La stop motion présente un “entre les photogramme” où est concentrée l’activité animiste de l’animateur sur la figurine inerte, et dont les multiples coupes à l’écran sont les stigmates apparents.
[toggler title= »Références » ]1. TOMASOVIC Dick, “Les aventures de la figurine, Le corps, la matière, l’énergie: hybridations dans le film d’animation” in Homo Orthopedicus. Le corps et ses prothèses à l’époque (post)moderniste, sous la direction de ROELENS Nathalie et STRAUVEN Wanda, L’Harmattan, Paris, 2001, pp 483-500
2. BORDWELL David, and THOMPSON Kristin, Film Art: An Introduction, McGraw-Hill, 2004 [1979], 539p
3. TOMASOVIC Dick, Le Corps en abîme, sur la figurine et le cinéma d’animation, Pertuis, Rouge profond, 2006, 142p
4. Ibid, p 14
5. Ibid, p 30
6. LORD Peter, SPROXTON David, Adam, Aardman Studios, 1991, 6’
7. TOMASOVIC Dick, Op Cit p 44
8. Ibid, p44[/toggler]