Dès l’entrée dans l’exposition Araki au Musée Guimet, on tombe sur la série « Flowers », qui mêle la vie, le sexe et la mort. En effet, ses premières fleurs ont été des Higan Bana en 1973, des fleurs de cimetières en train de flétrir, la vie qui s’éteint petit à petit tout en révélant la bribe de vitalité qui y réside encore, d’une noirceur contrastant avec le fond blanc immaculé. L’autre partie des fleurs qu’il a capturées n’a rien de ce manichéisme entre noir et blanc, vie et mort puisque ce sont des gros plans de fleurs, extrêmement colorées, dont beaucoup rappellent le vagin, sous toutes ses textures.
Sa vie est son œuvre
« Ils sont tous bons. N’oubliez pas que je suis un génie. Le musée Guimet va présenter de très bonnes photos, mais reconnaissez que c’était facile. » : voici ce que Nobuyoshi Araki, né en 1940, a déclaré aux journalistes de Télérama lorsqu’ils se sont rendus chez lui à Tokyo et lui ont demandé comment sélectionner ses meilleurs photographies.
Avec plusieurs dizaines de milliers de clichés, il est sûrement impossible de réaliser une liste exhaustive de sa production artistique. Plus de 500 livres de photos, dont parfois plus de 20 parus en une seule année. Maintenant plus de 50 ans de pratique de la photographie et des modèles indénombrables. « Prendre des photos pour moi est aussi naturel que la respiration » : Araki vit littéralement l’oeil dans l’objectif. Il photographie tout, sur différents supports avec un attrait particulier pour le polaroid. Et à travers les leitmotiv qui rythment ses photos on peut voir des phases de sa personnalité autant que de son vécu.
Des scènes de Tokyo à foison, sa ville natale où il réside encore, beaucoup de fleurs, de chats (dont son chat, Chiro, qui dans apparaît beaucoup et à qui il a même consacré une série éponyme), le ciel (qu’il considère comme une conversation jamais interrompue avec sa défunte épouse) et bien sur ce pourquoi il est sûrement le plus connu, ayant été au centre de multiples controverses: des corps nus, dans toutes les positions (étendus, fixés au plafond ou à un arbre par des cordes …). Et tout cela se mélange avec la culture japonaise, puisqu’il met en scène les intérieurs traditionnels, honore les compositions florales de même que les arts martiaux puisque la technique du bondage qu’il utilise, le kinbaku, vient d’un art martial ancestral qui consistait à savamment attacher les mains des victimes avec de la corde.
L’amour des femmes
Voyage sentimental (1971) et Voyage d’hiver (1990) sont les fondements de son oeuvre : ils tournent autour d’une femme, sa femme, Yoko.
Le premier narre leur mariage et voyage de noce, avec des très belles prises comme une fugace où l’on voit le visage de la jeune mariée en pleine jouissance sur leur lit de noce. Le deuxième, le récit de sa mort. Yoko est morte d’un cancer de l’utérus à 42 ans, et Araki a saisi ses derniers instants, allant même jusqu’à la capturer jusque son lit de mort, belle, visage de marbre entouré d’orchidées et d’un livre portant une image de chat. Si cette rencontre puis cette disparition ont marqué de manière indélébile la vie et l’oeuvre d’Araki, Yoko elle est loin d’être la seule femme qu’il a capturé dans l’intimité. Depuis toujours il fréquente le monde des prostituées, et rend immortels leurs corps, de même que leux des mannequins de mode, ou de sombres inconnues qui ont croisé son chemin.
De plus en plus proche de la mort
Comme le dit Georges Bataille, « L’érotisme est l’approbation de la vie jusqu’à la mort » : peut-être que la sexualité et sa représentation personnelle sont la transition entre la vie et la mort, qu’Araki réalise depuis ses débuts. Ses débuts mystiques dans la photographie semblent le dire puisqu’il raconte qu’en sortant de l’utérus de sa mère il s’est retourné et l’a pris en photo. Comme un souffle vital, qui l’emmènera jusqu’à sa tombe.
L’exposition au musée Guimet permet de le réaliser puisqu’on y découvre la série Tokyo Tombeau, réalisée cette année pour l’occasion. « J’ai déjà un pied dans la tombe. J’essaye d’imaginer à quoi pourraient ressembler les photos que je prendrai après ma mort« . Puisqu’il ne peut pas encore savoir quels seront ses clichés post-mortem, c’est son chemin de vie qu’il a tracé, à la manière d’un maki photographique. C’est donc encore avec beaucoup de poésie aux airs tragiques, de tradition japonaise et de regard aventureux porté vers l’avenir qu’Araki continue de photographie son existence (malgré sa santé déclinante, ayant révélé au grand public son cancer il y a 6 ans).
Exposition « Araki » au Musée Guimet, jusqu’au 5 septembre 2016.