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Ars twitteria, ou la littérature qui gazouille

Focus sur un phénomène littéraire qui fait son nid depuis un petit moment… sur Twitter. Car au-delà des « bieber jtm t tro bo #justinenslipdebain », se trouve confiné le renouvellement d’un genre court qui en dit long, qu’on découvre avec surprise et plaisir sur la plate-forme de micro-bloguage…

Pour la faire courte, le bref en littérature est une bien longue histoire. Au commencement, il y avait les très austères Spartiates, un peu avares en mots, prônant sans trop en dire une littérature pour le moins laconique. Puis, dans le Japon du début du XIe siècle, Sei Shonagon compilait des fragments poétiques dans son si beau livre Makura no sōshi. Six siècles plus tard, Bashō inventait le haïku. Au début du XXe siècle,  Félix Fénéon, journaliste et critique d’art écrivait ses « nouvelles en trois lignes », reprenant avec humour –noir – des faits divers un peu sanglants. On citera par exemple le sympathique  « Rattrapé par un tramway qui venait de le lancer à dix mètres, l’herboriste Jean Désille, de Vannes, a été coupé en deux ».  De son côté, Hemingway développait lui aussi des micro-genre flash fiction (en frenchie « fiction instantanée »), dont la trouvaille la plus connue, la plus dramatique et la plus percutante reste : « A vendre: chaussures de bébé, jamais portées ». Renaissance du court, de l’efficacité explosive. Enfin en 1960, Raymond Queneau, Italo Calvino, Georges Perec et leurs potes créent l’Oulipo. Ils mettent en avant la force de la contrainte dans l’écriture, comme c’était déjà le cas en poésie, mais supposent qu’il existe une quasi infinité de contraintes fécondes. Est-il si étonnant que Twitter apparaisse comme une nouvelle contrainte réglementaire? «Cent quarante caractères, c’est une contrainte prosodique respectable», déclarait Michel Butor. Twitter rejoint ainsi les expériences littéraires de l’Oulipo, si bien qu’un groupe twitter baptisé « Outwipo » a vu le jour.

A présent, Twitter is in da place dans la création littéraire d’aujourd’hui. Depuis le début du réseau social, les utilisateurs se sont amusés à publier proverbes et autres extraits poétiques qu’ils voulaient faire partager au plus grand nombre. Les réseaux sociaux, et plus précisément Twitter, offrent à l’expression individuelle une liberté énorme, qui prend des formes diverses. Cette concision du style semble « parfaite pour le lecteur en ligne et en phase avec son époque ». A l’heure où les nouveaux lecteurs lisent sur leur smartphone (hélas !), cette littérature du minuscule prend tout son sens. Le mot est donc lancé : la Twittérature, nouvelle forme de littérature qui prend à revers l’aspect social et utilitaire de Twitter pour proposer du neuf en matière de création artistique. Elle trouve ses influences dans les haïkus japonais, les romans feuilletons du XIXème, mais aussi dans les cadavres exquis des surréalistes. Ce genre littéraire nouvelle génération ne constitue pas une nouveauté en manière de littérature, mais plutôt un renouveau dans l’esthétique du bref, susceptible de toucher le plus grand nombre ; et c’est là l’originalité d’une évolution géopoétique hors du commun.

Twitter permet d’exploiter toutes les possibilités rhétoriques que peut offrir un genre aussi concis. Le twittérateur travaillera ainsi le rythme et la prosodie afin de faire de son tweet une véritable virtuosité stylistique condensée, à la poésie étrange. «La somme de récits, aphorismes et autres apophtegmes. Une cacophonie de gazouillis», peut-on lire sur le site internet de l’Institut de Twittérature Comparé Bordeaux-Québec (ITC) (car oui, il y en a un). Il y a même un manifeste, dont la première déclaration, charmante : « la twittérature est à la rature, ce que le gazouillis est au chant du coq. Les uns vantent l’alexandrin, d’autres jouent du marteau-piqueur ». Le président de cette institution peu ordinaire, Jean-Michel Le Blanc, explique plus naturellement cette connexion entre le réseau social et l’écriture: « La twittérature, c’est se servir de l’outil Twitter, non pas pour s’informer, mais pour écrire, au sens littéraire du terme ». Rassurez-vous, chaque personne postant un tweet quelque peu poétique ne devient pas immédiatement twittérateur (sinon, on serait mal).

Ce genre appartient à la nano-littérature, classé dans la sous-catégorie “fragment”. Est-il en phase de devenir un courant littéraire à part entière ? Le débat est lancé sur le statut formel et esthétique du tweet. Mais l’usage que l’on peut faire de Twitter dans l’innovation artistique est lui désormais certain. Une maison d’édition du tweet, Twitteroman, a en tout cas déjà vu le jour. Son usage pédagogique n’est également plus à démontrer : de nombreuses classes ont participé à des concours de twittérature, ou ont créé des ateliers littéraires sur le réseau (même l’Education nationale s’y met).

Quelques exemples de twittérature, pour le plaisir des yeux :

@FibreTigre > Je viens de m’apercevoir que les amis imaginaires que j’avais étant enfant ont grandi avec moi. Ils ont mieux réussi dans leur vie, aussi.

@marysehache > Tous mes perdus me font farandole au gré de petits riens qui les invitent; heureuse qu’ils fassent visite, et dans les rêves aussi

La lecture de cet article vous a émoustillé et vous vous sentez twittérateur dans l’âme ? L’association Les Livreurs organise un concours pour vous, jusqu’au 26 avril : http://festivallivresentete.blogspot.fr/2013/03/concours-le-tweet-oulipien.html

A vos portables !

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