L’ONU a qualifié lundi dernier d’« exemple classique de nettoyage ethnique » les violences envers le « peuple le plus persécuté au monde ». Pourquoi cette minorité musulmane est-elle devenue la cible numéro un des nationalistes birmans ? Retour sur le massacre en cours.
Persécution massive
Depuis le 26 août, plus de 400 000 Rohingya ont fui la Birmanie pour trouver refuge au Bangladesh selon l’ONU. Un exode massif dû à une terreur inégalée. Exécutions, pillages, viols, destructions systématiques de villages … Partir ou mourir, l’ultimatum est tombé. L’élément déclencheur ? Le 25 août dernier, l’armée de ce groupe ethnique a pris les armes. Elle a lancé une attaque simultanée contre une vingtaine de postes-frontières birmans. En réaction à cet acte qualifié de terroriste, le gouvernement a déclenché une vaste opération de répression contre la minorité musulmane. Quatre-cent morts selon l’armée, plus de mille pour l’ONU.
Pour les autorités, les Rohingya n’existent pas
Le sort des Rohingya peut sembler surprenant dans un pays multiculturel. En Birmanie, 135 ethnies reconnues coexistent. Dans un pays bouddhiste à 90 %, les Rohingya représentent moins de 5 % de la population. Le problème : leur existence n’est pas reconnue. Depuis une loi de 1982, 1,3 millions de personnes ont été déchues de leur citoyenneté birmane. Le gouvernement estime que les Rohingya ont émigré illégalement du Bengale au moment de la colonisation britannique. Certains historiens remettent en question cette affirmation. Ils considèrent qu’ils descendent de commerçants et soldats arabes, turcs, mongols, ou bengalis convertis à l’islam au XVe siècle. Leur condition d’apatride établie par la dictature militaire les empêche de disposer de droits fondamentaux : accès à l’hôpital, école, marché du travail ou droit de vote.
Triomphe pour un nationalisme teinté d’islamophobie…
Ce climat de haine ne date pas d’hier. Tensions communautaires, repli sur soi et nationalisme sont l’héritage de la période coloniale. Surnommée la « première Amérique » au début du XXe siècle, la Birmanie prospère économiquement et attire de nombreux immigrés. Une société hiérarchisée se met en place avec à sa tête, Européens, Indiens et Chinois. Des émeutes éclatent envers les étrangers lors de la Grande Dépression des années 1930. Dès lors, on assiste à l’émergence de leaders politiques souhaitant restaurer la fierté raciale.
Certains estiment que le bouddhisme est menacé. Les extrémistes sont frustrés de voir se former des enclaves musulmanes comme dans l’Etat d’Arakan où vivent les Rohingya. Dans les années 1960, la xénophobie devient politique officielle. Tous fuient face à l’extrémisme bouddhiste. En 1982, les chefs militaires dressent une liste de 135 nationalités autochtones. Ils s’inspirent de la classification par ethnies datant de l’ère coloniale. Dès lors, l’appartenance ethnique définit le droit de vivre. Sont exclus les descendants des immigrés indiens et chinois et la population musulmane de l’Etat d’Arakan. Alors que le pays s’ouvre à la modernité, l’identité birmane reste elle, figée le temps.
… propice à l’instrumentalisation de la communauté
Trente ans après leur déchéance de nationalité, les Rohingya sont aujourd’hui les victimes d’une instrumentalisation de la part de groupes djihadistes. Depuis 2012, les flambées de violence s’amplifient. La propagande de Daesh condamne un « génocide ». Sur son blog, le spécialiste de l’Islam contemporain Jean Pierre Filiu évalue la possibilité d’une « nouvelle terre de jihad ». Terreau de violences antimusulmanes, camps de réfugiés et manque de réaction internationale, la recette est complète. La Birmanie offre une opportunité aux groupes islamistes de s’enraciner en Asie du Sud-Est, région qui compte le plus de Musulmans au monde.
Silence assourdissant de la cheffe du gouvernement
Aung San Suu Kyi, Prix Nobel de la Paix en 1991 pour sa lutte non violente pour la démocratie et la paix en Birmanie, a tardé à s’exprimer sur le sujet. Une autre Prix Nobel de la Paix l’a invité à rompre le silence. « Je n’ai cessé de condamner le traitement honteux dont les Rohingya font l’objet. J’attends toujours que ma collègue Prix Nobel en fasse de même » l’interpelle la jeune pakistanaise Malala. La cheffe du gouvernement a dénoncé un « iceberg de désinformation » en faveur des Rohingya. Pourtant, elle avait promis de soutenir les droits de cette minorité à la tribune de l’ONU l’an dernier.
Quelle mouche a piqué cette ancienne militante de la paix ? Elle se retrouve impuissante face aux militaires jouissant d’une autonomie importante dans cette zone de conflit. Ce phénomène est amplifié par la montée de bouddhistes extrémistes. Enfin, la dirigeante craint de perdre en popularité pour des apatrides qui ne sont pas sous sa responsabilité. Nier l’existence d’un « nettoyage ethnique » et qualifier les Rohingya de terroristes apparaît comme plus « pragmatique ».