Le premier rapport indépendant sur l’accident de Brétigny-sur-Orge vient de paraître. Rédigé par l’expert judiciaire Robert Hazan, il rend donc ses conclusions sur le déraillement du train Corail Intercités qui effectuait la liaison Paris-Limoges, le 12 juillet 2013. Et autant dire que le constat n’est pas en faveur de la SNCF.
Ce drame avait fait 7 victimes et 32 blessés. Et, selon le rapport du Bureau d’enquêtes sur les accidents de transport terrestre (BEA-TT), paru le 10 janvier dernier, il avait été causé par le basculement d’une éclisse –la pièce reliant deux rails sur une zone d’aiguillage– autour de son boulon. Faisant se coucher sur les voies cinq wagons alors que le train entrait en gare de Brétigny-sur-Orge, dans l’Essonne.
En somme, le premier rapport pointait du doigt la qualité des tournées visuelles de surveillance et « la moindre attention accordée aux anomalies affectant la boulonnerie par rapport à d’autres défauts des appareils de voie qui sont considérés comme plus critiques ». Ce que confirme le nouveau rapport, mais en allant beaucoup plus loin. En effet, il révèle surtout que cette négligence des agents SNCF chargés de s’assurer de l’état des pièces n’était pas unique, bien au contraire. Ainsi, sur les 154 boulons contrôlés sur le secteur de Brétigny par l’accidentologue à l’origine du récent rapport, 59 (soit plus d’un tiers) étaient desserrés, cassés, ou carrément absents. Les attaches de rail, censées maintenir la voie au sol, n’ont pas été épargnées non plus par le manque flagrant d’application des agents SNCF : sur les 92 attaches présentes, une était absente. Et sur la partie métallique centrale en « X » du système d’aiguillage, deux boulons étaient cassés, « antérieurement à l’accident », précise l’expert.
La SNCF sur la mauvaise voie
Fort de ces éléments à charge, le jugement de Robert Hazan est sévère et sans appel à l’égard de la SNCF, clairement peu scrupuleuse sur la maintenance de ses voies : « Nous rappelons que compte tenu des fréquents passages des trains sur les rails, le système boulon-écrou doit être présent et régulièrement resserré ». Une évidence ! Et pourtant, compte tenu de l’état de celles-ci « lors du passage de l’Intercités 3657, l’accident était inévitable », conclut l’expert.
Mais, et c’est peut-être cela le pire, les rapports d’inspection réalisés par les techniciens de la SNCF sur cette jonction dans les mois précédant l’accident, et dont l’expert a pu se procurer copie, n’ont, eux, souligné aucune défaillance majeure.
« On sait que cette voie est en mauvais état », commente un cheminot de l’entreprise publique spécialisé dans la maintenance, interrogé par Le Parisien. « Et si l’expert était allé sur le site de la gare du Nord ou celui de Saint-Lazare, il aurait constaté la même chose […] Ce n’est pas pour ça que la voie est dangereuse. Un boulon manquant ne fait pas dérailler un train. […] Après, il ne faut pas se voiler la face. On sait que les moyens donnés à la maintenance ont diminué ces dernières années. », ajoute-il. Rassurant…
Contactée, la SNCF affirme que, « n’ayant pas accès à ce document, [l’entreprise] n’est pas en mesure de le commenter ». Mais explique avoir créé une « commission d’experts sur le boulonnage » en mars dernier. Composée de six spécialistes extérieurs à la SNCF, cette commission est en charge d’« analyser le niveau de maîtrise des assemblages boulonnés sur les voies » et de remettre une première série de recommandations d’ici à l’été. Toutefois, pour l’entreprise publique au 7 milliards d’euros de subventions étatiques (chiffres IREF), « l’enquête ne peut se faire sur la foi d’un seul rapport sorti de toutes autres considérations ».
En attendant, les syndicats CGT-cheminots et SUD-rail ont aujourd’hui déposé un préavis de grève en réaction à la réforme ferroviaire prévue. Ils craignent notamment la fin de leur hégémonie ferroviaire avec l’ouverture à la concurrence. Pourtant, un bon coup de pied dans la fourmilière SNCF ne fera pas de mal à ce réseau pour le moins incompétent, comme le prouve ce récent rapport.