Les 17 avril, seize pays exportateurs de pétrole se réunissaient à Doha au Qatar, pour un sommet exceptionnel. Le but : trouver un accord qui permettrait de faire remonter les prix du baril, en chute libre depuis le printemps 2014. Mais l’échec de ces négociations risque de déstabiliser davantage encore des régimes déjà mis en difficulté.
C’est un accord historique que ces Etats auraient pu trouver. Mais les négociations ont achoppé sur les tensions géopolitiques persistantes entre certains pays, qui ont eu raison de leur intérêt mutuel à s’accorder.
Un accord préliminaire conclu en février entre la Russie, l’Arabie Saoudite, le Venezuela et le Qatar avait pourtant permis de faire repartir les prix à la hausse et laissait entrevoir des perspectives encourageantes à long terme, sur la volonté des pays à coopérer.
Chute vertigineuse des prix
Le 17 avril, siégeaient donc autour de la table les membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) : l’Arabie Saoudite, l’Irak, l’Iran, le Koweit, le Venezuela, et bien d’autres. Mais ce sommet a aussi associé des pays non-membres de l’Organisation.
Etaient présents la Russie, l’un des deux principaux producteurs de la planète, Oman, l’Azerbaidjan et la Colombie. Tous regardaient vers un même objectif : stabiliser la production de pétrole afin de ramener les prix à la hausse.
Car sur fond de ralentissement de la demande mondiale, et de surproduction, le prix du baril de pétrole a chuté de manière brutale, passant de 115 dollars au printemps 2014 à moins de 30 dollars en janvier dernier.
Des conséquences politiques en cascade
Un cataclysme pour ces économies qui, pour la plupart, tirent l’essentiel de leurs recettes de leurs exportations. Telle est ce qu’on a coutume d’appeler « la malédiction de l’or noir » : ces géants aux pieds d’argile que sont les producteurs de pétrole se trouvent dans des situation de dépendance vis-vis de l’or noir.
Et ces économies de rente ne sont que trop peu tournées vers le développement d’activités alternatives. Si bien que, lorsque les cours dévissent comme c’est le cas aujourd’hui, ces pays affrontent des crises majeures, économiques et politiques. Affaiblis, les Etats qui ont bâti leur puissance autour de l’or noir font désormais face à des crises sociales qui déstabilisent les pouvoirs en place. Et cela induit des conséquences politiques et géopolitiques en cascade.
Colère sociale
L’argent engendré par les recettes de pétrole garantit la prospérité économique et permet ainsi aux régimes de maintenir la paix sociale. Aujourd’hui, avec un prix du baril trois à quatre fois mois élevé qu’il y a deux ans, les choses ne sont plus les mêmes.
Ainsi, au Venezuela, cas emblématique, les conséquences politiques ne se sont pas fait attendre. Le successeur du président Chavez, Nicolas Maduro ne peut, avec des ressources largement réduites, perpétrer l’héritage de son prédécesseur. Ce dernier, décédé en 2013, avait su sortir des milliers de personnes de la misère, à coup d’ambitieux programmes sociaux – grâce à la rente pétrolière. La colère sociale au Venezuela monte, et, aux élections législatives de décembre 2015, le peuple a asséné une défaite cuisante au pouvoir en place, donnant la droite victorieuse.
En Algérie, ou encore en Azerbaidjan, des révoltes pourraient éclater, tant le mécontentement populaire est palpable, tandis qu’au Koweit, les employés du secteur pétrolier sont en grève depuis ce week-end, afin de protester contre les réductions de salaire.
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En Russie, si Vladimir Poutine tient sa population il n’en reste pas mois que l’économie est en récession, et que le rouble ne cesse de perdre de sa valeur. Nul ne sait alors quel tour les événements pourraient prendre.
Fléau terroriste
De plus, dans des pays en proie au fléau terroriste, la baisse des recettes de l’Etat peut s’avérer dramatique, en affaiblissant les régimes en place. Or le terrorisme prospère lorsque l’Etat est trop faible pour le contrer.
En l’Irak, un des principaux pays producteurs de pétrole, la lutte contre l’Organisation Etat islamique est inextricablement liée à la bonne santé économique du pays. Car les Irakiens, en difficultés économiques, risquent de se défier du pouvoir en place. Or celui-ci doit être tout entier engagé dans la lutte contre le terrorisme, et une confiance érodée ne peut que servir les intérêts des terroristes. Idem pour le Nigeria dont l’Etat, affaibli économiquement, doit pourtant continuer d’affronter la secte islamique Boko Haram.
Face à ce bilan – non-exhaustif – les différents Etats présents à Goha avaient donc tout intérêt à s’entendre. Mais les négociations ont buté sur la détestation que se vouent deux importants pays producteurs de pétrole : l’Arabie Saoudite et l’Iran.
Contexte tendu entre l’Iran et l’Arabie Saoudite
Et le nœud de blocage n’a pu être surmonté. En effet, Téhéran continue de produire du pétrole à un rythme effréné, entendant retrouver le rang qu’elle occupait sur le marché mondial avant les sanctions internationales – levées en janvier. L’Arabie Saoudite avait alors affirmé ne pas vouloir geler ses productions tant que l’Iran ne consentirait pas à faire de même. Les négociations étaient mal engagées. Et l’Iran avait annoncé boycotter le sommet.
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La crise pétrolière intervient donc dans un contexte géopolitique tendu, qui oppose les l’Iran et l’Arabie Saoudite. En effet, au Proche-Orient, les deux pays revendiquent pour eux-mêmes le leadership régional, en se livrant la guerre par territoire interposé en Syrie et au Yemen. Et les tensions entre les deux ennemis avaient culminé au mois de janvier, lorsque l’ambassade saoudienne avait été saccagée par de Iraniens, ulcérés par l’exécution d’un haut dignitaire chiite. Les relations diplomatiques avaient été rompues.
Dans ce contexte, les observateurs, trop conscients de l’hostilité persistante entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, plaçaient peu d’espoir en ce sommet de Doha. A l’annonce de l’échec d’un accord, les cours du pétrole ont, dès le lendemain, immédiatement baissé, et les places boursières ont également subi un violent contrecoup.
La situation économique, désastreuse dans certains pays, ne risque pas de s’améliorer. La coopération est rendue impossible par les tensions géopolitiques qui sous-tendent cette situation. Et c’est le monde entier qui s’en trouve déstabilisé.