La série Orange is the new black est sur Netflix ; l’occasion de revenir sur le livre à l’origine de la série et comment on est passé de l’un à l’autre.
C’est quoi, Orange is the new black ? Sur le point d’épouser son fiancé Larry (Jason Biggs) et alors qu’elle vient de lancer une petite affaire avec sa meilleure amie, Piper Chapman (Taylor Schilling) est rattrapée par son passé : plusieurs années auparavant, elle a transporté de la drogue pour sa petite amie de l’époque, Alex (Laura Prepon). Ayant épuisé tous les recours légaux et alors que rien ne l’y préparait, la jeune femme est condamnée à de la prison ferme : incarcérée dans la prison de Litchfield, elle va devoir s’adapter à la vie carcérale, au milieu d’autres détenues aux histoires personnelles toutes différentes, entre rivalités, tensions, mais aussi amitié et solidarité.
Lancée en 2013 par Netflix, Orange is the new black n’a pas tardé à séduire le public et son succès ne s’est pas démenti depuis. Largement fictionnel, le récit s’appuie sur un livre retraçant des faits réels. Publié en 2010 (disponible en France chez Pocket) Orange is the new black est le récit autobiographique de Piper Kerman. Jeune productrice de télévision, aussi blonde et angélique que son alter ego à l’écran, elle est accusée en 1998 d’avoir transporté une valise d’argent issu du trafic de drogues, pour le compte d’une ex-petite amie. Entre 2004 et 2005, elle est incarcérée dans une prison fédérale où elle purge une peine de 15 mois.
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Le point de départ est extrêmement similaire et la série ne s’en écarte guère dans un premier épisode qui explique les raisons de la condamnation de Piper et ses premiers pas en prison. Première différence, toutefois : la série passe rapidement sur la période s’étendant de 1998 à 2005, soit 7 ans durant lesquels Piper a attendu avec anxiété son incarcération après sa condamnation. Sur les évènements proprement dits, le récit prend également d’autres libertés. Par exemple, les rapports entre Piper et le personnage de Red (Pop, dans le texte) étaient moins tendus, et les deux femmes sont vite devenues amies ; Kerman raconte qu’elle a plutôt été bien accueillie par ses codétenues – alors que Chapman a du mal à s’intégrer ; le traitement réservé au fiancé de Piper s’éloigne de la réalité puisque le couple se délite peu à peu et que Larry disparaît complètement dans la saison 2, alors que les vrais Piper et Larry sont toujours mariés.
L’autre relation centrale, c’est celle de Piper et de son ex, Catherine Cleary Wolters – alias Nora dans le livre et Alex (interprétée par Laura Prepon) dans la série. Piper et Alex purgent quasiment la totalité de leur peine ensemble et renouent des liens amoureux ; dans les faits, les deux femmes n’ont passé que 5 semaines dans la même prison, sans reprendre leur liaison. Interrogée par les médias, Catherine remet également en cause d’autres aspects du récit : elle tempère la candeur de Piper, présentée comme une jeune femme naïve, entraînée dans le crime par Nora / Alex, qui l’initie au trafic de drogue mais aussi aux amours saphiques. A en croire son ex-amante, Piper avait déjà eu des expériences homosexuelles, leur relation n’a jamais été qu’une passade, et l’auteure était moins innocente qu’elle ne le prétend… A noter que Wolters a raconté sa version des faits dans son propre livre, Out of Orange.
Ces écarts par rapport au livre ou à la réalité sont toutefois anecdotiques et se justifient par la nécessaire amplification de la dramaturgie, tandis que des divergences fondamentales apparaissent dans la structure du récit. Le livre est écrit à la première personne : la narratrice, Piper Kerman, est une jeune femme blanche diplômée du prestigieux Smith College et issue d’une classe sociale aisée, et c’est sa voix qui se fait entendre au fil des pages. Le plus simple aurait sans doute été de raconter l’histoire du point de vue de l’auteure, en ayant recours à la voix off pour traduire ses pensées et réflexions – comme le fait par exemple Call The Midwife, également adaptée d’une autobiographie. La scénariste Jenji Kohan choisit une approche différente : elle donne une importance égale aux autres protagonistes, faisant de Orange is the new black un récit choral composé des voix de toutes les détenues, issues d’ethnies et de milieux sociaux différents. Première conséquence, l’ensemble ne se focalise plus uniquement sur le ressenti et la pensée de Piper, mais embrasse au contraire une large palette de perspectives et de vécus propre à créer plusieurs lignes narratives et une complexité absente d’un livre beaucoup moins nuancé. La diversité des histoires et la multiplicité des points de vue s’intensifient de plus en plus, notamment à partir de la saison 2. Au départ, l’histoire de Piper est la clé de voûte qui sous-tend tout le scénario ; elle perd progressivement en importance, jusqu’à la saison 4 où l’héroïne n’est plus qu’un personnage parmi les autres, et où elle intervient peu voire pas du tout dans certaines trames.
Une autre différence importante réside dans les relations entre la prison et le monde extérieur. La vraie Piper a toujours gardé des liens avec ses proches : son fiancé et ses amis ont lancé un site internet ( http://thepipebomb.com/) racontant son quotidien en prison tout en nourrissant une réflexion sur le système pénal . Par le biais de ce site, Kerman est devenue une petite célébrité et a reçu d’innombrables lettres – y compris de la part de parfaits étrangers. Dans la série, Piper reçoit la visite de certains membres de sa famille mais l’impact sur le public est totalement supprimé. Par contre, le monde extérieur resurgit à travers de multiples flashbacks, chaque épisode se centrant sur une détenue pour expliquer les circonstances qui ont abouti à son incarcération. La plupart de ses histoires ont été écrites pour la série, et il est à noter que le parcours des autres protagonistes est nettement moins développé dans le livre.
Pour autant, au début, Piper est un repère nécessaire pour permettre au spectateur d’entrer dans l’univers carcéral – d’autant que rien ne laissait supposer que cette jeune femme lambda finirait en prison. On commence donc par s’identifier à elle, et on découvre Lichfield à travers ses yeux. Mais au fur et à mesure que la série change d’approche et diversifie les points de vue en se focalisant sur les autres détenues, la vision du spectateur évolue : on ne voit plus Piper comme elle se voit elle-même, mais comme la perçoivent ses codétenues ; de gentille fille victime des circonstances, elle devient progressivement une snob privilégiée et agaçante… Dans le livre, toute l’empathie repose sur Piper, seule intermédiaire entre le lecteur et la prison ; dans la série en revanche, le personnage est présenté de manière beaucoup moins positive et on s’en détache rapidement pour lui préférer d’autres personnages – au point qu’un cadre supérieur caucasien se sent finalement plus d’affinités avec une détenue noire venue du Bronx…
Si elle prend quelques libertés avec le livre éponyme, Orange is the new black a surtout l’intelligence de changer d’approche narrative. S’éloignant du récit autobiographique dans lequel l’auteure a tendance à se donner le beau rôle (mais va-t-on le lui reprocher ?), et qui repose sur sa seule version, la série étend son propos à d’autres protagonistes, diversifiant les points de vue et les perspectives. Beaucoup plus riche et complexe, elle transcende ainsi son matériau de départ, l’insérant dans des intrigues bien menées et passionnantes. Au point que la série n’a désormais plus grand-chose à voir avec le livre, dont elle semble s’être définitivement affranchie, sans en renier les bases.
Orange is the new black – Netflix