Alors que l’ensemble de la presse salue le parcours sans faute de François Hollande durant la semaine qui a suivi les événements meurtriers de la semaine dernière, un bémol reste tout de même très gênant. Lors de la mythique Marche Républicaine parisienne de dimanche dernier, qui a réuni près de 2 millions de personnes et une quarantaine de chef d’Etats, la présence de certains d’entre eux est tout à fait déconcertante.
La photo est d’ores et déjà vouée au livre d’Histoire. Dimanche 11 janvier, une quarantaine de chefs d’Etats ont manifesté leur soutien à l’égard de la France après les attentats contre Charlie Hebdo et un magasin casher. Bras dessus bras dessous et emmenés par François Hollande, ils ont marché symboliquement quelques centaines de mètres dans Paris. Une bien belle image de communion internationale contre le terrorisme et pour la démocratie. De la chancelière allemande Angela Merkel au Premier ministre britannique David Cameron, du Premier ministre danois Helle Thorning-Schmidt au croate Zoran Milanovic, une grande partie de l’Europe était représentée. D’autres dirigeants du monde entier s’offusquaient eux aussi qu’on s’attaque de telle sorte aux valeurs républicaines. Mais ceux-là sont des hypocrites. On vous explique pourquoi leur présence était hautement illégitime et aurait sans doute bien fait marrer l’équipe de Charlie Hebdo.
Les hypocrites ont aussi marché avec les Charlie
En effet, un nombre conséquent de dirigeants ayant marché lors de la Marche Républicaine bâillonnent tout bonnement la sacro-sainte liberté d’expression si chère à la démocratie. Dans le cortège on retrouvait ainsi Amhet Davutoglu, le Premier ministre turc. La Turquie retient en prison près de 70 journalistes et intellectuels soupçonnés de collusion avec des rebelles kurdes. En 2013, 60 limogeages de journalistes avaient été prononcés à leur encontre après la couverture médiatique des manifestations anti-gouvernementales de Gezi. Le pays se trouve à la 154ème place sur 180 dans le classement mondial de liberté de la presse 2014 de Reporters sans frontières (RSF).
Le roi et la reine de Jordanie défilaient dimanche. Une grossière ironie quand on sait qu’ils ont ordonné la fermeture de 291 sites d’information. Décision prise quelques jours après la déclaration du Premier ministre qui affirmait alors que le gouvernement ne porterait pas atteintes à la liberté de la presse. En 2012, vingt militants avaient été arrêtés lors de manifestations pacifistes réclamant des réformes juridiques et économiques, de plus grandes libertés politique et la fin de la corruption. Jugés par la cours de sûreté de l’Etat (qui ne respecte pas les normes internationales d’équité), ils risquent la perpétuité sous prétexte notamment d' »insulte au roi ». La Jordanie se place à la 141ème place du classement de RSF.
159ème au classement RSF, l’Egypte était représenté par son ministre des affaires étrangère tandis que trois journaliste de la chaîne Al-Jazira ont été condamnés de sept à dix ans de prison le 23 juin dernier. Ils couvraient une manifestation pro-Morsi, ex-président destitué en 2013 par le pouvoir actuel. Le président Abdel Fattah Al-Sissi, élu (ou auto-proclamé, au choix) à 96,9% des voix en juin dernier a ordonné à ses soldats et ses policiers une répression sanglante qui a tué plus de 1 400 manifestants pro-Morsi. Plus de 15 000 personnes ont été interpellées et une bonne partie d’entre eux ont été condamnés à mort ou à la prison à perpétuité.
La présence du Premier ministre hongrois Viktor Orbán fait sourire alors qu’il avait fait condamner à des amendes d’une centaine d’euros des parlementaires opposés à des projets de loi. Nationaliste et populiste, il parlait d' »animaux » pour faire référence à la communauté rom et n’a pas bronché quand des auteurs ou membres de parti nazi ont été inscrits dans les programmes scolaires. Il est aussi décrié pour changer régulièrement la Constitution grâce à la majorité des deux-tiers dont il dispose.
Autre soutien aux victimes, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov. Rappelons qu’en 2006, la journaliste Anna Politkovskaia avait été assassinée après avoir enquêté pendant sept ans contre la corruption et sur le système Poutine. Elle recevait régulièrement des menaces et faisait l’objet d’intimidations. Même triste sort pour le journaliste Stanislav Markelov, abattu à Moscou en 2009 avec une étudiante en journalisme. Il était notamment président d’un organisme de défense des droits de l’Homme. Quatre mois plus tard, une journaliste est tuée alors qu’elle travaillait sur les atteintes aux droits de l’Homme lors du conflit tchétchène. Depuis 2000, 23 journalistes sont morts aux noms de la transparence et de la liberté.
Enfin le coup de grâce est venu de l’Arabie Saoudite qui a envoyé son ministre des affaires étrangères Nizar al-Madani rencontrer François Hollande avant la marche. Pendant ce temps, Raif Badawi, un blogueur, se fait fouetter pour avoir critiqué l’islam et le régime saoudien. Il est condamné à 1000 coups de fouets et dix ans de prison.
Récupération
Cette situation, où récupération honteuse et hypocrisie affichée sont de mise, désolent à coup sûr les dessinateurs disparus de la fusillade du 7 janvier. Tout ce qu’ils dénonçaient assidûment grâce à leurs coups de crayon acérés était concentré dans ce bal des hypocrites version international. Pas sur que nos caricaturistes qui avaient pour letmotiv la défense de la liberté d’expression puissent reposer en paix quand ils verront de là-haut la perpétuelle danse des faux-culs d’ici-bas.
Florian Rocher