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Drogue dure : The Knick, la série de Soderbergh

The Knick, la série de Steven Soderbergh déjà diffusée sur OCS, arrive sur France Ô. Attention, fort risque d’addiction.

C’est quoi, The Knick ? Au début du XXème siècle à New York, le Dr John Thackery (Clive Owen) prend la tête de l’hôpital Knickerbocker à la mort de son mentor. Génie inspiré et ambitieux aux méthodes peu conventionnelles, il est handicapé par son addiction à la drogue.  Malgré ses protestations, la direction lui impose d’engager le Dr Algernon Edwards (Andre Holland), diplômé de Harvard et ayant pratiqué en Europe. Mais le nouveau venu est noir, et il va devoir lutter contre les préjugés et le racisme. A une époque où la méconnaissance des règles d’hygiène de base, l’absence d’antibiotiques et la misère sociale engendrent un taux de mortalité élevé, les deux hommes vont devoir s’allier pour repousser les limites de la médecine, avec des méthodes toujours plus innovantes et hasardeuses… 

Signalons en préambule que The Knick repose sur des faits historiques : le personnage interprété par Clive Owen est par exemple largement inspiré du Dr William Halsted, fondateur du John Hopkins Hospital qui a révolutionné la chirurgie à la fin du XIXème siècle, malgré sa dépendance à la cocaïne. La plupart des procédures médicales, des expérimentations  sont fidèles à la réalité – ou du moins, s’en approchent énormément.   En s’appuyant sur cette base, la série développe des personnages romancés ou entièrement fictifs, plongés dans un univers d’autant plus réaliste que la reconstitution de l’époque – tant dans les décors que les costumes – est absolument bluffante. On en oublie le travail de documentation et de recherche qu’elle suppose, et que l’on devine méticuleux. Le New York de l’époque, c’est celui du Gangs of New York de Scorsese, des luxueux intérieurs victoriens de la haute bourgeoisie aux quartiers ouvriers imprégnés de crasse et de misère, en passant par l’hôpital du Knick, où règne une froideur clinique et austère.

Des atmosphères mises en valeur par une photographie remarquable, mais qui sont toujours oppressantes à cause du gris déprimant des ghettos ouvriers ou de l’accumulation étouffante des salons chics. Le cadre tranche avec la réalisation moderne et élégante de Soderbergh : peu de plans fixes, une caméra dynamique et immersive au plus près de l’action et des personnages, une mise en scène sophistiquée autant dans les scènes oniriques que lors des interventions chirurgicales, déconseillées aux âmes sensibles : les séquences sont brutales, crues, et d’un réalisme choquant où rien n’est édulcoré. Il faut aussi évoquer la musique électro et saccadée : on pourrait croire que le décalage a quelque chose d’incongru quand, tout au contraire, la bande-son se révèle en parfaite adéquation avec l’ambiance de la série.

The Knick, une série qui vous prend aux tripes

The Knick, une série qui vous prend aux tripes

Dans ce remarquable environnement, The Knick centre son intrigue principale sur Thackery – magnifique Clive Owen, qui interprète un personnage à la limite de la maniaco-dépression sans jamais tomber dans l’excès. Imbu de lui-même, ambitieux et raciste, Thackery est d’abord profondément antipathique, mais ses moments de génie, ses remises en question et sa longue descente aux enfers finissent par humaniser le personnage et le rendre, sinon plus sympathique, du moins  plus accessible.

Si Thackery en est indubitablement la figure centrale, The Knick ne néglige pas pour autant ses autres personnages : complexes, bien écrits et bien interprétés, ils sont tous les protagonistes d’intrigues  secondaires abouties et intenses, qui se développent en arrière-plan.  L’infirmière Elkins (Eve Hewson), amoureuse de Thackery qui l’utilise pour se procurer les substances illicites dont il est dépendant ; Bertie (Michael Angarano), le jeune médecin idéaliste qui suit les traces de son père ; Cornelia (Juliet Rylance), jeune femme intelligente qui cherche à se libérer du carcan dans lequel l’enferment son sexe et sa classe sociale ; Barrow (Jeremy Bobb), l’administrateur véreux de l’hôpital ; sœur Harriet (Cara Seymour), qui pratique des avortements en toute illégalité ;   bien sûr Edwards (génial Andre Holland) lui-même, brillant médecin confronté au racisme et déterminé à s’imposer malgré tout, tout en permettant aux Noirs d’avoir accès aux mêmes soins que les Blancs…  Et encore, ce ne sont que quelques exemples parmi bien d’autres, l’ensemble des différentes trames s’entremêlant avec fluidité, en dépit de leur abondance et de leur diversité.

Thackery et Edwards, 50 nuances de gris

Thackery et Edwards, 50 nuances de gris

C’est justement cette richesse qui permet à The Knick d’aborder une multitude de thèmes, et de poser un regard pertinent et complet sur les grandes questions sociales : le racisme, l’avortement, la prostitution, la toxicomanie, la corruption, l’immigration, la psychiatrie, évidemment les avancées de la médecine et les problèmes déontologiques qu’elle soulève, la fracture sociale engendrée par le développement industriel, la place des femmes… Au-delà de ces sujets, caractéristiques d’une époque mais qui font écho à des problématiques plus actuelles,  The Knick parvient aussi à toucher à quelque chose de plus universel grâce à ses personnages, tous en proie à des difficultés personnelles qui bouleversent leurs certitudes et les obligent à se remettre en question.

Sur la forme comme sur le fond, The Knick frôle le chef d’œuvre. Maîtrisée, subtile et intelligente, elle n’est pas forcément facile d’accès. Son austérité, la violence de certaines scènes, sa richesse narrative complexe et les thèmes sombres qu’elle aborde peuvent rebuter au premier abord ; ils en font pourtant tout le sel. Une saison 3 est envisagée, sans date précise pour le moment : on l’espère aussi réussie que les deux premières, dont la conclusion induit des changements inévitables. En attendant, The Knick forme un diptyque époustouflant, qui pourrait même se suffire à lui-même.

The Knick – à partir du 2 Décembre sur France Ô.

Saison 1 – 10 épisodes de 50’ environ.

Disponible en DVD.

Crédit photos : Cinemax.

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