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Du bagne aux podiums

En passant par le High-life et la navy d’Angleterre…
Non, il ne s’agit pas de l’ascension romanesque d’une nouvelle égérie de la mode au sombre passé. Même si ça aurait fait une bonne histoire. Nous allons plutôt en conter une autre, celle d’un concept, d’un art : Le tatouage.

Aujourd’hui aussi démocratisé que le lait en poudre (enfin peut-être pas autant, même si on parle de la même époque, le lait a, lui, été adopté beaucoup plus vite…) il n’en a pas toujours été ainsi. En tout cas pas partout.
Passons l’épisode long, ennuyeux et scolaire de l’histoire du tatouage « qui remonte au néolithique, alors que quelques braves utilisaient des silex et de la graisse animale » pour arborer bobonne sur leurs poitrails velus. Le point qui nous intéresse tout particulièrement est la ré-introduction, dans une société puritaine qui se modernise, d’un acte à première vue tribal.
La paternité de ce coup de génie, lucratif autant qu’il est amusant, est à peu près aussi disputée que celle du cinéma. Les français vous diront Marey ou Lumière, les américains Edison (et les autres se démerdent).

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L’une des premières machines à tatouer.

On est encore étrangement à la même époque. L’homme qui nous intéresse, Sutherland Macdonald reçoit un brevet pour sa machine à tatouer électrique en 1894, soit un an avant le brevet des frères lumières et trois ans après la machine de l’américain Samuel O’Reilly (inspirée elle même du « stylo électrique » d’Edison, décidément…).
Même si d’autres tatoueur anglais et américains sévissaient avant Macdonald, ils le faisaient pour la plupart auprès de l’armée et des simples soldats.
Macdonald est lui considéré comme un « Michel Angelo du tatouage » et comme étant le premier à porter cette pratique au rang d’art.
Avec ses manières et sa tenue soignée, se faisant appeler « tattooist » et non  « tattooer », il obtient un franc succès, aussi bien auprès des gradés de l’armée (dont il était issu) que de la royauté et de la bourgeoisie.

 

Le tatouage se fait ainsi une place de premier ordre, au milieu des hauts de forme et autres inséparables moustache-monocle. Dernière attraction à la mode, dont l’Angleterre est le berceau, mais qui ne fait pas l’unanimité. Les anglo-saxons, eux, sont incités à se faire tatouer.
Le Prince de Galles et futur roi Edouard VII lui-même se fait tatouer dès 1862, le premier d’une longue série. Ses deux fils (dont le futur roi George V) se font tatouer à plusieurs reprises également. L’aristocratie et la bourgeoisie, aspirant à ressembler à leurs modèles, se précipitent chez les tatoueurs, et notamment les japonais qui excellent dans cet art. Il fait bon manier l’aiguille à cette époque et les cabinets sont aussi mondains que les salons.
Du côté de l’armée, le tatouage est une tradition depuis déjà plusieurs décennies. Seulement voilà, maintenant les grandes pontes s’y mettent, et c’est dans cet esprit que le Field Marshal (plus haut grade de l’armée de terre britannique) Frederick Roberts déclare à cette époque que chaque officier devrait être tatoué. Le ton est donné.
Mais, pour le moment, le tatouage empeste la testostérone. Et ces dames ? Les ladys ne sont pas en reste, pourtant, bien que le tatouage ne connaisse pas de frontières sociales dans sa pratique, selon la naissance du corps qu’il arbore, il est soit une attraction de cirque, soit une frivolité.
Des hauts noms tel que Lady Winston Churchill, nulle autre que la mère de ce bon vieux Winston et maîtresse d’Edouard VII, s’adonnent à la gravure épidermique. Si pour ces femmes de haut rang, la chose est aisée et vue comme une coquine coquetterie, pour d’autres c’est une véritable révolution, un bouleversement des valeurs victoriennes, mais aussi un risque d’exclusion.
Des marginales qui ont fait un pied de nez à la reine (qui, selon la rumeur, aurait elle aussi succombé au plaisir du dard) et aux valeurs masculines populaires. Le livre Bodies of Subversion: A Secret History of Women and Tattoo, de Margot Mifflin se penche avec intérêt sur le sujet.

Si la France est si peu évoquée, ce n’est pas par manque de ferveur nationale patente, mais plutôt à cause de la pensée conservatrice et du chauvinisme bien arriéré qui sied, aujourd’hui encore, à notre pays. A l’époque, la chose est vue, dans l’armée, comme dans le civil ou dans les hautes sphères comme une pratique de truands, de taulards ou de troubadours étrangers.

Illustration d'une rixe entre apaches et forces de l'ordre du "Petit Journal"

Illustration d’une rixe entre apaches et forces de l’ordre du « Petit Journal »

Ainsi nombreux sont les articles de l’époque moquant la haute société anglaise, américaine et toute personne tatouée. L’un des journaux (répondant au doux nom : « Le Gaulois », tiens dont…) titre même en 1894 « On nous croira si l’on veut, mais nous ne souhaitons pas que cette mode passe le détroit.
Les parisiens ne se feront pas de si tôt à la perspective de voir les parisiennes faire concurrence aux pensionnaires du colonel Cody ». Ceci en référence au show de Buffalo Bill et ses « apaches », qui faisait alors fureur dans le monde entier. Les femmes n’avaient qu’à bien se tenir donc. Surun autre ton là, moins funky que les british. Comble de l’ironie, les voyous tatoués qu’ils craignaient tant ont pris le nom d’Apaches et ont fait régner la terreur dans paris jusqu’à ce que la Première Guerre Mondiale assassine la jeunesse.

Tonton Nono

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