Il n’a échappé à personne que l’un des enjeux majeurs de l’élection présidentielle américaine de novembre prochain est la gestion de la crise sanitaire du Covid 19. D’un côté, Donald Trump et son camp se targuent d’avoir évité le pire au pays tout en maintenant son économie à flot, et de l’autre, le candidat démocrate Joe Biden reproche une prise en charge calamiteuse et inégalitaire. Cette opposition idéologique est représentative de la fracture présente dans le paysage politique américain depuis le milieu du XXème siècle, et ce pour de nombreuses raisons.
Preuve en est, le pays ne comportant pas de couverture sociale comparable à celle de nombreux pays européens comporte des dépenses de santé représentant 17% de son PIB (contre 8,7% en France). Comment est-il possible de disposer d’un système aussi frugal entraînant des pertes aussi conséquentes?
La mise en place d’une sécurité sociale aux Etats-Unis date de 1935. Date à laquelle le président Franklin D. Roosevelt a entériné le Social Security Act, instaurant entre autres un financement des retraites et d’une assurance chômage. Ce document législatif s’inscrit dans le cadre du New Deal, visant à relancer l’économie américaine via un choc de demande à l’issue de la crise de 1929. Plusieurs tentatives ont été effectuées dans les années suivantes pour inclure au programme une assurance santé généralisée. Ce fut chose faite en 1965 sous la présidence de Lyndon B. Johnson. S’ensuit une période politique dominée par l’idéologie néoconservatrice dont le paroxysme est atteint sous la présidence de Ronald Reagan, qui diminua les subventions allouées aux programmes de santé ainsi que le nombre de personnes pouvant en bénéficier.
Aujourd’hui s’opposent encore deux écoles de pensée : ceux souhaitant l’établissement d’un système universel de santé public (entre autres dans le cadre du Green New Deal), menés par des personnalités comme Elizabeth Warren et Alexandra Occasio-Cortez, et de l’autre, ceux qui souhaitent maintenir un système libéral et non interventionniste, dont le président Trump est l’un des porte-étendards. Sa politique de santé publique a ainsi été caractérisée par la volonté de démanteler l’Obamacare, un élargissement de la sécurité sociale proposé par l’ancien président des États-Unis.
Ce bref historique permet de voir à quel point la santé est révélatrice du clivage de plus en plus prononcé entre néoconservateurs et sociaux-réformistes, dans un contexte de tension sanitaire importante.
En effet, la situation sanitaire aux États-Unis se couple avec de fortes inégalités d’accès aux soins. Une grande proportion des personnes touchées aussi bien par le Covid que par l’addiction aux opioïdes est composée de minorités ethniques, souvent pauvres et incapables d’accéder à une prise en charge médicale. On a ainsi vu moult vidéos de citoyens américains se relevant comme si de rien n’était immédiatement après une overdose, car des soins médicaux leur auraient été financièrement meurtriers. La conséquence de cette situation est une diminution de l’espérance de vie aux États-Unis depuis 2016, fait inédit au 21ème siècle.
Si on s’y intéresse, on peut déceler dans ce système les limites de l’ultra libéralisme appliqué au niveau d’un État. Pour s’en convaincre, il suffit de se pencher sur l’état de la restauration scolaire aux États-Unis : les normes de qualité y sont tellement basses, de même que l’omniprésence du lobby de l’agro-alimentaire qu’on en vient à proposer des menus disproportionnés et saturés aux élèves qui en bénéficient, ce qui laisse à réfléchir quand on sait que l’obésité est l’une des premières causes de mortalité dans le pays, et particulièrement chez les populations les plus fragiles.
Par conséquent, s’attaquer au sujet de la santé revient à reconsidérer le modèle socio-économique américain dans son entièreté. S’il semble qu’un mouvement vers une universalisation de la couverture sociale ne semble pas possible dans l’immédiat (cf. les propositions de Joe Biden n’incluant pas une telle mesure), le choix qui s’offre aux électeurs américains en novembre prochain va décider de la trajectoire idéologique du pays pour les années qui viennent. Le modèle politique qui sortira vainqueur des urnes fera probablement référence pendant les années suivantes, y compris sur le sujet de la santé, et donc littéralement sur les vies de chacun.