À l’approche des fêtes de fin d’année, certaines mairies françaises voient leurs décorations de Noël, notamment les crèches, soumises à la justice. Entre traditions locales, neutralité de l’État et jurisprudence, le débat reste vif…
À l’hiver 2024-2025, la commune de Beaucaire a connu un nouveau rebondissement judiciaire. La Ligue des droits de l’Homme (LDH) a saisi le tribunal pour faire retirer la crèche de Noël installée dans le hall de l’hôtel de ville, estimant qu’elle violait le principe de laïcité. Le tribunal administratif de Nîmes a suivi, ordonnant le retrait sous 48 h sous peine d’astreinte. Mais la mairie a résisté et a finalement été condamnée à verser plus de 100 000 € d’astreintes pour non-respect de la décision.
En parallèle, pour la période de Noël 2023, les magistrats ont annulé les installations de crèches dans les mairies de Béziers et Perpignan, estimant que celles-ci ne respectaient pas les exigences de neutralité imposées par la loi. Cette année 2025, les débats font encore rage. Entre vandalisme à Amiens, et manifestation à Béziers.
Le cadre juridique
Le principe fondamental est posé par la Loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État. Elle garantit la liberté de conscience, interdit à l’État de reconnaître ou financer un culte. Elle exige aussi la neutralité des bâtiments publics vis-à-vis de toute religion.
« Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception […] des musées ou expositions »
La loi de 1905
Ainsi, en principe, toute « manifestation religieuse » explicitement confessionnelle ou de culte est interdite dans les lieux publics gérés par l’État ou les collectivités. Mais la loi n’interdit pas explicitement les crèches. Ce sont les juges administratifs qui, au cas par cas, définissent si elles violent ou non la laïcité.
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Les critères dégagés par le juge
Selon le Conseil d’État, une crèche de Noël installée par une collectivité publique n’est légale que si elle remplit plusieurs conditions. D’abord, elle doit revêtir un caractère manifestement culturel. Mais aussi artistique ou festif, et non exprimer la reconnaissance d’un culte ou marquer une préférence religieuse.
Ensuite, le contexte et les conditions d’installation, usage local, tradition ou décorations de fête, doivent être examinés, tout comme le lieu. Une crèche dans un bâtiment public (mairie, service public, etc.) est en principe interdite. Sauf si des “circonstances particulières” permettent de la justifier. En revanche, sur un espace public extérieur, rue, place, marché de Noël, l’installation temporaire peut être autorisée, dès lors qu’elle n’a pas un objet cultuel ou prosélyte.
Tristesse, colère et incompréhension 😔
— Aurélien CARON (@AurelienCARON) November 28, 2025
Notre crèche de Noël à #Amiens a été vandalisée.
Nous appelons le maire à la remettre en état au plus vite et refusons que les voyous aient le dernier mot.
Amiens mérite qu’on protège ce qui nous rassemble. pic.twitter.com/c63WGJ3FXK
Entre neutralité et contexte culturel
Le Conseil d’État a estimé en 2016 que l’installation d’une crèche de Noël dans une mairie pouvait être acceptée. Les arrêtés n° 395223 et n° 395122. Mais à condition qu’elle ne soit ni prosélyte, ni manifestement religieuse, mais qu’elle relève d’une démarche culturelle, artistique ou festive. Décision qui peut interroger, notamment quant à la nature même d’une crèche qui se veut éminemment religieuse.
En pratique, cela signifie que la crèche doit s’inscrire dans un usage festif ou traditionnel, sans appuyer une religion particulière, ni discours, ni culte. Par exemple, le tribunal administratif a jugé illégales les crèches installées en 2023 à Béziers et Perpignan. Il a considéré qu’elles ne répondaient pas aux exigences de neutralité. Le tribunal a jugé que ces crèches, installées dans des bâtiments publics, ne présentaient ni un caractère culturel, festif ou artistique suffisant, ni une tradition locale justifiant son maintien. Ce qui fait qu’elles violent le principe de neutralité imposé par la loi sur la laïcité.
Quand la justice rappelle la loi
À Beaucaire, la crèche de Noël a été maintes fois attaquée. En décembre 2024, le tribunal a ordonné son retrait. La commune n’a pas obtempéré. Le juge des référés l’a condamnée à payer une astreinte de 1 000 € par jour. Face à l’inertie de la mairie, cette astreinte a été portée à 5 000 € par jour, jusqu’au retrait effectif. Soit plus de 100 000 € au total. Cette condamnation illustre que la justice est aujourd’hui prête à sanctionner lourdement les communes qui enfreignent le principe de neutralité.
Et le sapin de Noël ? Un symbole sans laïcité litigieuse
Contrairement aux crèches, les sapins de Noël ne sont pas considérés comme des symboles confessionnels. Il s’agit d’un élément festif, largement assimilé à la tradition culturelle et non à un culte.
À ce titre, l’installation d’un sapin dans une mairie, un bâtiment public ou une école ne pose généralement aucun problème juridique. Pour peu qu’il ne soit accompagné d’aucune symbolique religieuse.