Avec l’interdiction d’apporter ses propres boissons dans l’enceinte des festivals, le public se rue vers les bars aux tarifs démesurés. Si vous avez eu l’impression d’être pris pour une vache à lait, attendez de lire ce qu’on réserve aux serveurs.
Avec trois jours de rush derrière les bars à boisson montés dans le parc de Saint-Cloud pour Rock en Seine, François* râle après les festivaliers. Et pour cause, 40 000 nouvelles têtes par jour et pas une goutte d’alcool autorisée à l’intérieur du festival. Un flot incessant s’amasse devant le bar en toile brinquebalant. «S’il vous plaît monsieur une pinte bien fraiche. Deux minutes monsieur» répond-t-il poliment «Ça fait vingt minutes que j’attends» vocifère un hurluberlu déjà imbibé jusqu’à la moelle, alors que dix autres tapent sur le bar en chahutant.
Intolérant le serveur ? Oui, sans doute le fait qu’il passe une partie de son week-end à ne pas être trop impoli avec des ivrognes crasseux d’une grossièreté abyssale mais qui n’en finissent pas de se travestir pour ne pas apparaitre trop clairement pour ce qu’ils sont. Standbuy, la société qui embauche pêle-mêle une centaine de serveurs pour Kronenbourg ne se pose pas de questions.
Payés au smic horaire, dix heures de boulot par jour, une pause de vingt minutes pour avaler quelque chose et un flicage permanent par les vigiles de la boîte. Il est fréquent qu’une fouille au corps improvisée s’effectue en toute impunité, au cas où les serveurs auraient glissé quelques billets dans leurs poches. Alors ce sont les flics qui prennent le relais. Normal. Ce qui l’est moins, ce sont les conditions de travail dans lesquelles bossent les employés et le fait que ce ne sont pas les flics qui fouillent la première fois, mais d’autres employés et parfois même les patrons de la société…
«Les clients attendent et il n’y a pas assez de débit pour satisfaire tout le monde avec des tireuses à bière qui surchauffent» explique François. Les techniciens arrivent et rafistolent le matos qui, bon an mal an finira par fonctionner. Si une panne d’électricité n’arrive pas entre-temps. «Heureusement on a presque pas de fausses pièces ou de faux billets à Rock en Seine, c’est cool. Aux Solidays, mon responsable m’a forcé à aller trouver dans la foule un type qui avait payé avec un faux billet de cinquante euros. Il y en avait tellement qu’on nous a imprimé une page où figuraient les trois derniers numéros présents sur les faux billets, avec pour consigne de vérifier chaque billet !»
Pour Jean*, les trois jours du festival s’apparentent à un marathon, «avec deux heures de Noctilien pour rentrer chez moi vers trois heures du matin et revenir le lendemain à 13h». Il sera payé entre deux cents et trois cents euros pour les trois jours et avec la garantie d’une «embauche simple où il suffit de postuler sur le site de Standbuy», eux s’occupent du reste. Surtout lorsqu’il faut du renfort et qu’on dépêche dans l’heure des serveurs de dernière minute quand certains manquent à l’appel.
Manifestement, aucun des serveurs n’est pro ici, et n’a, dans la plupart des cas, aucune expérience dans les métiers de la restauration ou de l’hôtellerie. Après tout, ce sont des centaines de milliers d’euros de recette en une seule journée alors pourquoi s’embêter avec des serveurs rompus au métier ? Dès le premier jour et en vingt minutes d’activité, l’entreprise a déjà payé tous ses serveurs. Il faut des jeunes, des étudiants, des travailleurs saisonniers souvent en situation précaire.
« C’est cool, et on plaisante bien au bar avec les festivaliers» confie François. Ce qui l’est moins, c’est l’état d’épuisement dans lequel ils ressortent. Mais qu’importe ? Ça fait six années que François revient travailler pour Standbuy en faisant du camping sauvage à proximité du site. «Je reviens chaque été avec des potes qui bossent dans le même festival. Je crois bien rebosser pour Standbuy les prochaines années, si je ne suis pas diplômé» lance-t-il avec une petite pointe d’ironie. On n’aime pas ce qu’on ne possède pas tout entier. Quoique…
Co-auteur : Lorenzo Djellouli