Vincent Gérard et Cédric Laty signent avec « L’homme-fumée, une aventure démocratique », un film inhabituel loin des blockbusters, qui nous rappelle nos provinces abandonnées.
Aujourd’hui en France, 85% de la population vit en zone urbaine et 60% vit au sein même d’une grande agglomération de plus de 820 habitants/km², contre seulement 45% au début du XXe siècle. A travers ce film, nos aînés nous racontent l’évolution de nos villages et de notre terroir. Cependant, ce film apporte également une originalité en intégrant des personnages fictifs à la partie documentaire.
Au-delà d’être le titre du film, « L’homme-fumée » est un personnage fictif, insaisissable, un curieux examinateur qui se rend dans un village viticole français de Bourgogne, Pernand Vergeless, pour y mener une enquête ethnologique et produire un documentaire composé d’interviews-portraits des habitants. Ce personnage savant est projeté dans le village qu’il dissèque et analyse par des plans rapprochés sur les visages et par l’écoute des moindres bruits, accentués pour le spectateur. Il débarque dans cette campagne avec ses théories à soumettre aux villageois, principalement des personnes âgées ainsi que quelques viticulteurs, à la vie simple qui n’ont pas l’habitude de telles visites.
Tom Joad semble être à la fois l’acteur, le personnage et le réalisateur, puisqu’on le voit tantôt comme le « docteur », qui pose ses questions sans jugement ni empathie, mettant une certaine distance avec ses interlocuteurs du réel, tantôt diffusant sa production documentaire à un habitant sur son poste de télévision; habile mise en abîme. Le personnage, caricature amusante du professeur, s’enregistre à l’aide de son dictaphone dans tous les recoins du village. En dehors des interrogatoires avec les habitants, Tom Joad arpente le village à travers forêt et ruelles étroites, souvent solitaire et laissant planer un certain mystère. Ces scènes qui lui sont consacrées nous permettent de l’observer à notre tour dans son intimité, depuis son réveil jusqu’à son repas pris dans un restaurant de cuisine moléculaire. Avec son crâne chauve, il apparaît dans les plans comme un point blanc facilement repérable qui se déplace dans l’image en noir et blanc.
Les problématiques visées par les réalisateurs sont isolées et soulignées grâce au temps de réflexion donné par les questions ouvertes de l’ethnologue, qui ne trouvent pas toujours de réponses auprès des habitants, ainsi qu’à l’aide de passages musicaux bien choisis. L’Homme-fumée permet de rapprocher le monde rural de la ville en les juxtaposant via le personnage principal et le public savant. L’ouverture du dialogue entre ces deux mondes pourra permettre d’engager une réflexion commune dont certaines pistes conceptuelles sont esquissées par les personnages fictifs du film. Une femme « fée », rencontrée par l’Homme-fumée dans la forêt, propose ainsi l’ouverture de la cellule familiale pour accueillir les repreneurs de vignes. Au cours des interviews, les habitants s’expriment en effet sur leur solitude, la disparition du lien social dans les villages et le regroupement des terres viticoles menaçant la diversité des production. Avec le vieillissement de la population cependant, les habitations restent occupées et les terrains constructibles se font rares et chers. Ces entretiens précieux constitueront les derniers témoignages d’une certaine culture de nos villages et nos terroirs.
Le film défend ainsi plusieurs niveau de lecture grâce à une prise de position sur le dispositif du film, une partie fictive qui se confronte au réel et un message engagé pour mener une réflexion sur le rapport entre nos villes et nos campagnes.
Sortie du film pour le public le 4 mai 2016.