Avant sa sortie officielle le 28 Octobre 2013, le quatrième album du groupe Canadien a été publié sur YouTube en entier. Opus massif et immense ou marketing forcé ?
Paradoxalement, Arcade Fire semble associer la voie traditionnelle à la pratique du buzz pour faire briller Reflektor de mille feux : en effet, la réputation de ce groupe dans la sphère rock alternatif et sur la scène musicale internationale n’est plus à faire. Arcade Fire est aujourd’hui un groupe à la fois connu et underground, avec seulement trois albums (Funeral, Neon Bible et The Suburbs). Jean-Marie Pottier (Slate) a même parlé à leur égard de «blockbuster indie», n’hésitant pas à les comparer à R.E.M. ou Radiohead.
La sortie d’un quatrième album dans ces conditions ne serait donc rien d’autre qu’un coup de publicité assez forcé. Pour faire grand, il faut commencer par un public avisé, celui qui en connaît un rayon. Ceci a donné la couverture des Inrocks. Ensuite, ne pas ménager la sphère Internet : ces derniers mois ont vu un teaser, puis une vidéo du single Reflektor, réalisé par Anton Corbijn (le réalisateur de Control en 2007), puis une vraie fausse vidéo live de trois titres réalisée par Roman Coppola (et quelques guest-stars), avant le single After Life et l’album entier montés sur le même matériau : un montage d’Orfeu Negro de Marcel Camus (1959).
Aujourd’hui, avec le stream intégral sur sa propre chaîne YouTube, Arcade Fire va au-devant des internautes très fouilleurs. Cet acte peut à la fois être considéré comme généreux sur la Toile, tout comme il peut être un moyen d’éviter de chambouler des plans commerciaux. Ce fut le cas de Lady Gaga, qui avait avancé la sortie de son single Applause après des fuites. Du moins, ce fut ce qu’elle annonça officiellement sur son profil Twitter.
Tous les moyens sont bons, puisque l’industrie musicale est face à un problème quasiment insoluble : Internet va trop vite. Les comportements de leaks (ou fuites) sont devenues aussi courants que le téléchargement illégal. Et les solutions sont, malheureusement pour les maisons de disques, inexistantes. Pourquoi donc, ne pas utiliser Internet pour sa force de propagation, au lieu de freiner inutilement ses déboires ?
Ce fut le cas de Radiohead, qui avait proposé son album In Rainbows en téléchargement légal sur son propre site, et à prix variable (l’internaute pouvait choisir le montant qu’il souhaitait reverser, y compris 0€). Dans un autre style, London Grammar diffusait son album If You Wait en streaming intégral et sur son site, mais pour une période limitée, et seulement après échange des informations de son compte Facebook ou Twitter. À un extrême, le retour de Daft Punk a également été propulsé par la stratégie de communication, qui a transformé le single Get Lucky en tube et en meme avant d’être diffusé en intégralité, comme l’a résumé Vincent Glad (Slate).
Mais revenons à notre souci premier : qu’en est-il de cet album ? Pour une part, le son Arcade Fire est toujours présent. Le mélange de sonorités, de voix, de langues de ce groupe de sept personnes parvient à faire régner une certaine hétérogénéité, au contraire d’I Am From Barcelona. La recherche d’un morceau à l’autre est présente : aux tubes dansants et entêtants (Here Comes The Night Time) répondent des morceaux plus complexes et sombres (Joan of Arc). Pourtant, on ne peut s’empêcher de se dandiner sur sa chaise en écoutant cet opus tout le long.
Danser sur du Arcade Fire ? Pas si étrange que cela selon Win Butler, le leader du groupe, lors de son entrevue avec les Inrockuptibles (n°933, p.44) : «Tout au long de l’écriture ou de l’enregistrement de Reflektor, je ne pensais qu’à un seul truc : la façon dont les gens allaient bouger sur nos chansons.» L’heure pour la musique élitiste serait donc au décloisonnement, et au partage. Quoi de mieux pour une musique alternative que de l’entendre résonner entre deux machines à danser à une soirée ? Pourquoi s’offusquer d’entendre Stromae à la fois sur Radio Nova et Skyrock ?
Le danger du succès se tient dans le côté social de ce qui était appelé ‘musique indépendante’, et qu’Internet démocratise à chaque fois. Dans la série parodique Les Bobos, Marc Labrèche écorche ces concepts de In et Out avec son personnage de chasseur de tendances pour finir par déclarer : «La tendance est à la confusion en ce moment.» En effet, le manque de limites finit par desservir ce qui fait également le succès d’un groupe, son exhumation face aux tubes mainstream.
Arcade Fire ne se cache plus derrière son image de groupe très peu connu mais qui a beaucoup de succès. Il garde cependant un œil avisé sur ces vagues de buzz qui font et défont les réputations très rapidement sur la Toile, ne serait-ce qu’avec le choix d’Orfeu Negro, le film utilisé comme illustration de la vidéo. Certes, il reprend le thème d’Orphée inhérent à cet album et à son visuel, tout en utilisant les images du carnaval de Rio pour concorder avec son ambiance festive. Mais Orfeu Negro, c’est également le film qui a remporté la palme d’or à Cannes en 1959. Cette même année, d’autres films avaient été présentés : Les 400 Coups de François Truffaut, À Bout de Souffle de Jean-Pierre Godard, et Certains l’aiment chaud de Billy Wilder… Le succès serait-il alors dans l’immédiateté ou dans la maturation ? Une seule des deux solutions ou un peu des deux ? Le choix reste bien difficile.
Mais pour vous, il ne reste plus qu’à choisir entre vous forger votre propre opinion sur cet album, choisir de parier dessus comme l’emblème des années 2010 d’ici vingt ans, cracher sur les mécaniques du succès et la manipulation, danser comme les jeunes de cette décennie le font : par sursauts et déhanchements répétitifs. Car le maître du succès ou de l’échec, celui qui déplace les montagnes comme Orphée, c’est vous, et votre lyre, c’est le clic que vous venez de faire sur la vidéo proposée ci-dessous.
http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=CBjqUEMlHTY
Crédits photos : image du groupe : Tanakamusic.com ; visuel de Reflektor : Universal Music ; affiche d’Orfeu Negro : Potemkine ; capture d’écran du clip Reflektor.