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Interview- Poldark : Debbie Horsflield, créatrice et scénariste

Afin de mieux vous préparer à l’arrivée de la saison 2 de Poldark, début septembre sur BBC One (Netflix en France), voici la première partie de notre dossier réalisé à l’occasion du 56ème Festival de Télévision de Monte-Carlo.

Première invitée de notre série d’interviews consacrée à l’enivrante série britannique Poldark mettant en vedette Aidan Turner, la scénariste et créatrice Debbie Horsfield collabore avec la BBC depuis ses débuts. Femme de théâtre, elle signe d’ailleurs elle-même l’adaptation de sa propre pièce Out On The Floor pour BBC2 en 1982. Depuis, on lui doit notamment des séries telles que The Riff Raff Element (1993-1994), Born To Run (1996), Cutting It (2002-2005), ou encore The Small Things (2009)…

Poldark (2)

Comment êtes-vous arrivée sur cette nouvelle adaptation des œuvres de Winston Graham ?

Debbie Horsfield : Ça a vraiment été une aventure… car je n’avais jamais signé d’adaptation auparavant. Tout ce que j’avais pu faire par le passé relevait de la série contemporaine et totalement originale. Si bien que je ne pensais pas qu’on me demanderait un jour de travailler sur une adaptation ; et particulièrement celle d’un roman à caractère historique. Je suis originaire du nord de l’Angleterre, de Manchester, et j’ai donc pour habitude d’écrire sur cette région… et au temps présent. J’étais très loin d’imaginer que l’on puisse faire appel à moi pour une intrigue située au 18ème siècle. C’est Karen Thrussell, une des productrices exécutives, qui m’a envoyé les deux premiers romans de cette série de 12 et mon agent était tellement persuadé que cela ne m’intéresserait pas qu’il m’a même proposé de la remercier et de décliner son offre directement. Mais je lui ai demandé d’attendre un peu car je m’apprêtais à partir en vacances et que je me suis dit que je pourrais lire les livres à cette occasion. Les trois premières pages à peine dévorées, j’étais déjà prise. Trois pages de plus et j’adorais ce roman. A la fin du premier tome, il était absolument évident que je devais faire cette adaptation. J’ai fini les deux livres, je suis rentrée de vacances, et j’ai rencontré l’équipe de production qui s’était déjà préparée à me vendre leur projet en me précisant pourquoi ils me voyaient bien à la tête de cette série. Mais ce n’était pas nécessaire ! J’avais vraiment très envie de le faire (rires). Voilà toute l’histoire… Pour être honnête, je crois que s’ils sont venus vers moi, c’est parce que j’ai tout de même pour habitude d’écrire à propos de grandes sagas familiales. Tout ce qui traite de rivalité, d’ambition… avec toujours une grande histoire d’amour milieu. Et Poldark se nourrit de tous ces éléments.

Connaissiez-vous la première version de 1975 ?

Je ne l’avais pas vu, non. Mais, de toute évidence, si vous étiez dans les parages à cette période, vous ne pouviez pas passer à côté. Au moins en entendre parler… Pourtant, je n’avais pas regardé. Et lorsque l’on m’a proposé d’écrire cette nouvelle version, j’étais encore plus fermement attachée à ne pas la visionner. J’ai préféré revenir aux livres eux-mêmes… et tenté ma propre chance. En revanche, après avoir bouclé mon scénario, je m’y suis finalement penché et j’ai alors pu réaliser à quel point mon approche avait été différente. A l’époque, ils avaient pris un grand nombre des libertés et changé l’histoire ; énormément. Mais j’ai tout de suite pu voir pourquoi les gens y été autant attachés. Non seulement l’interprétation y était remarquable mais, en plus, la série comportait déjà absolument tous les éléments que l’on aime encore à retrouver aujourd’hui. Les triangles amoureux et les rivalités en tous genres ne seront jamais passés de mode. Tout le monde aime ce genre d’histoires.

Poldark (1)

Selon vous, qu’est-ce qui constitue réellement le cœur de l’intrigue ?

C’est une question intéressante car c’est exactement celle que je me suis posée lorsque j’ai dû décider de ce que j’allais prendre et laisser des romans dans la mesure où ils présentent énormément de personnages différents ; de même qu’un grand nombre d’intrigues parallèles. Ce qui se prête bien un roman dans la mesure où le lecteur est prêt à suivre l’auteur dans à peu près toutes les directions… mais une série télévisée exige que les téléspectateurs sachent presque immédiatement envers qui ils doivent s’engager précisément. Quels sont les points forts et déterminants de l’histoire, de même que les principaux affrontements. Si bien que, pour moi, il était évident que Ross Poldark était non seulement le personnage principal mais aussi le cœur même de l’histoire. De fait, chacune des intrigues secondaires doivent avoir une résonance sur lui… son histoire d’amour déclenche son histoire professionnelle qui déclenche elle-même son histoire politique puis ses rivalités… il est au cœur d’absolument tout. Bien entendu, tout part de la grande histoire d’amour qu’il pense vivre avec Elizabeth en revenant de la guerre pour mieux construire la véritable histoire qu’il va connaître avec sa servante Demelza par la suite. Même la plus infime intrigue secondaire doit avoir des répercussions sur son personnage. A partir du moment où vous avez pris cette décision, tout devient finalement très naturel. C’est ainsi que nous avons malheureusement dû écarter de grandes parties du livre ; tout simplement parce qu’elles n’avaient rien à voir avec lui.

Avez-vous une méthode de travail spécifique ?

Absolument. Même si n’ayant jamais fait d’adaptation par le passé, j’y suis allé un peu au fur et à mesure… tout commence bien sûr par une lecture complète du livre, en simple lectrice. Il faut alors oublier que l’on va devoir en signer une adaptation et se concentrer uniquement sur ce qui vous séduit ou pas. Puis je le reprends depuis le début en essayant de le construire en différentes sections de ce qui pourrait correspondre à chaque heure d’épisodes. A l’origine, j’ai été engagé pour écrire seulement six épisodes mais j’ai très vite réalisé que le matériau de base été tellement immense et j’ai demandé à ce qu’on puisse rallonger la saison à un total de huit. Fort heureusement, cela était possible. Pour faire simple, j’ai donc décomposé les deux premiers romans en huit sections puis j’ai déterminé quelles parties de l’histoire allaient dans différentes sections. Ne restait plus ensuite qu’à les découper en séquences. Mais, à ce stade, sans en écrire les dialogues. Il fallait repérer les temps de pause, les moments où l’action était la plus soutenue… après quoi, seulement, vous pouvez vous attaquer aux ajustements. Au final, les dialogues sont vraiment votre récompense… c’est ce qu’il y a de plus agréable à faire.

Poldark (3)

Lorsque vous en arrivez à ce stade, avez-vous déjà un ou plusieurs comédiens en tête ?

Pas au tout début, non. D’ordinaire, lorsque j’écris, je ne pense absolument pas à qui la production va recruter. Tout simplement parce qu’il y a tellement de variables au processus de casting qu’il serait dangereux d’avoir une idée trop préconçue et de rester bloquée sur une personne en particulier. Et, de toute ma carrière, Poldark a été ma seule exception à cette règle. Et je parle bien entendu de Ross Poldark. Après avoir achevé les quatre premiers épisodes, j’étais totalement consciente du fait que ce rôle était particulièrement complexe… d’habitude, nous commençons à recruter les comédiens trois à quatre mois avant le début du tournage mais j’ai réalisé que dans le cas présent nous aurions besoin de beaucoup plus de temps pour trouver la personne idéale. C’est donc à ce moment-là que je me suis demandé quelle serait mon casting de rêve… Ross doit être très charismatique, avoir une très forte présence à l’image tout en étant également vulnérable, sensible, rebelle, intrépide… Et, de plus, il nous fallait quelqu’un qui, dans l’idéal, serait prêt à signer pour cinq saisons. Ce qui est assez rare. Je me demandais bien qui pourrait rassembler l’ensemble de ses qualités et j’ai écrit un nom… et un seul… à l’intérieur de mon exemplaire du livre… je n’en ai parlé à personne et il s’avère que Damian Timmer (autre producteur exécutif) avait pensé exactement à la même personne que moi. Nous avons gardé le secret. Nous n’en avions d’ailleurs absolument pas parlé entre nous. Un jour, il m’a murmuré à qui il pensait et, bien entendu, il s’agissait d’Aidan Turner. Ce même nom qui figurait sur mon livre. Il nous paraissait tout simplement parfait. Alors, nous avons contacté ses agents, lui avons envoyé le script… nous l’avons rencontré. Au final, il voulait vraiment le faire et nous voulions vraiment qu’il le fasse. Tout s’est parfaitement mis en place, en total synchronisme. Ce qui prouve, à mon sens, que nous avons fait le bon choix (rires) !

Lequel de ses anciens rôles vous a fait penser à lui ?

Je l’avais vu dans la série Desperate Romantics (où il incarnait Dante Gabriel Rosseti, en 2009) et bien sûr dans Being Human. Et même si les deux personnages étaient très différents, ils partageaient tous deux ce côté outsider et rebelle, intérieurement torturé et écorché, à la fois tendre et charismatique… de plus, il me semble qu’il arrive un stade très intéressant de sa carrière. Il a joué beaucoup de très beaux rôles mais pas encore en tant que véritable tête d’affiche. J’ai pensé qu’il était totalement prêt.

Poldark (4)

Ross Poldark s’impose en parfait héros. Pour toutes les qualités que vous venez de citer. Mais il est également extrêmement humaniste. Est-ce là une qualité que l’on retrouve également dans les romans ?

Oui, et le défi avec lui… qui est le même que dans les livres… est justement de ne pas le rendre trop noble, trop bon. Il doit avoir quelques failles. Alors, oui, il possède un sens aigu de la justice morale, de ce qui est bien et de ce qui est mal, mais il ne faut pas en faire un saint pour autant. Il lui arrive parfois d’être extrêmement déplaisant envers Demelza… il n’est pas toujours très raisonnable avec elle. Après tout, il reste humain. Et c’est d’ailleurs un trait de caractère que l’on va retrouver dans la saison 2. Il va continuer de repousser les limites. Il y a plein de choses que l’on peut se permettre de faire lorsque l’on est célibataire et que personne ne compte sur vous mais à la minute où il devient un homme de famille et un mari… continuer de vivre sa vie comme si de rien était n’est pas la bonne chose à faire. Malgré les responsabilités, il continue de faire comme bon lui semble. Alors, bien sûr, c’est toujours pour défendre les plus nécessiteux et faire appliquer sa vision de la justice… c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il déteste autant le personnage de George (Jack Farthing) qui ne pense qu’à s’enrichir sans mesurer les conséquences que cela peut avoir sur les autres… il est l’exact opposé de Ross qui, malgré tout, cherche lui aussi à gagner sa vie. Il ne tient pas à rester pauvre. Mais jamais au prix de la souffrance humaine. George, lui, s’en moque totalement. C’est la clef de tout. Ce que j’ai essayé d’intégrer à l’histoire, et qui est beaucoup moins présent dans le livre, c’est justement d’explorer pourquoi ces deux-là se détestent autant. Ils ont une vision de la vie diamétralement opposée. George aimerait être l’ami de Ross… et pourrait même bien se tourner vers le bon côté mais Ross ne veut même pas essayer de le comprendre.

Pour conclure, un mot sur Demelza (parfaite Eleanor Tomlinson)… Peut-on dire que la demande en mariage de Ross n’est, en fait, qu’un énième pied de nez à la noblesse ? Le rejet ultime de sa propre condition et des valeurs qu’elle implique…

C’est en effet un élément très fort. Nous avons essayé de montrer qu’elle a progressivement fait partie de sa vie… elle lui est devenue indispensable car elle sait tout simplement lui donner tout ce dont il a besoin. C’est une servante parfaite, à bien des niveaux. Puis tout devient plus compliqué… je pense qu’il y a plusieurs choses qui rentrent en ligne de compte. Tout d’abord, oui, il se sent responsable d’elle. Ensuite, il ne veut absolument pas se marier à l’une de ces filles de familles riches. Il a  besoin de quelqu’un qui puisse travailler à ses côtés, qui n’ai pas peur de se salir les mains, retrousser ses manches et abattre un travail difficile. En cela, il reconnait en Demelza non seulement une âme-sœur mais également une aide-sœur. Il n’empêche que vous avez absolument raison : en la demandant en mariage, il commet une nouvelle insulte à la Société et il y prend, au passage, un immense plaisir.

Propos recueillis et traduits par Vivien Lejeune lors du 56è Festival de Télévision de Monte-Carlo

Crédits : BBC One

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Journaliste spécialiste des musiques de films et de séries sur VL
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