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DOSSIER. L’Arabie Saoudite rentre en « guerre froide » avec l’Iran

Une ambassade et un consulat saoudiens ont été attaqués suite à l’exécution de Nimr Baqr Al Nimr. L’Arabie Saoudite a donné 48h à tous les représentants diplomatiques iraniens pour quitter le pays, ne manquant pas d’exacerber le conflit et la rivalité historique qui existe entre les deux Etats.

 

L'ambassade saoudienne incendiée samedi soir

L’ambassade saoudienne incendiée samedi soir

Le cheikh Nimr Baqr Al Nimr, prédicateur chiite a été exécuté par l’Arabie-Saoudite le samedi 2 janvier, en même temps que 46 autres personnes, dont 43 étaient des membres d’Al Qaïda.

En réponse à cette exécution, l’ambassade saoudienne de Téhéran a été incendiée lors de violentes manifestations. Le consulat saoudien de Machhad a aussi été attaqué. Les manifestations se sont étendues à Bahreïn, au Pakistan ainsi qu’à Londres. Suite à cela, l’Arabie Saoudite a annoncé la rupture de ses relations diplomatiques avec l’Iran.

Le président iranien, Hassan Rohani, a pourtant fermement condamné les actes de violences à l’encontre des représentations saoudiennes« L’action menée par un groupe d’extrémistes hier soir à Téhéran et à Machhad (…) contre l’ambassade et le consulat de l’Arabie Saoudite, qui doivent être légalement et religieusement sous la protection de la République islamique, est totalement injustifiable ». Il a aussi dénoncé l’exécution jugée abusive du cheikh Al Nimr. Le vice-ministre des Affaires étrangères a déclaré qu’ « en décidant de rompre ses relations (diplomatiques), l’Arabie Saoudite ne peut pas faire oublier sa grande erreur d’avoir exécuté un dignitaire religieux ».

La photo roi saoudien brûlée. Crédit: slate

La photo du roi saoudien brûlée. Crédit: slate

La réaction de l’ayatollah Khamenei s’est voulue bien plus virulente:  » le sang de ce martyr versé injustement portera ses fruits et la main divine le vengera des dirigeants saoudiens. Ce savant opprimé n’a ni encouragé les gens à prendre les armes ni comploté de manière secrète, il a seulement porté ouvertement des critiques. Dieu ne pardonnera pas le sang versé de cet innocent. »

Mansour Al-Qufari, porte-parole du ministre de la Justice saoudien, a défendu la décision du royaume en déclarant que  « l’autorité judiciaire est objective (…). Nous jugeons des faits et des intentions criminelles ».


Nimr Baqr Al-Nimr

Nimr Baqr Al-Nimr

Qui était Nimr Baqr Al Nimr ?



Al Nimr était un cheikh et ayatollah d’obédience chiite qui résidait en Arabie-Saoudite. En 2014, il fut condamné à mort pour « sédition », « désobéissance au souverain » et « port d’arme » par un tribunal de Riyad spécialisé dans les affaires de terrorisme. Il était connu pour ses critiques incisives du régime saoudien. En 2012, dans une prêche, il dénonçait le manque de sécurité et la multiplication des arrestations de membres de la minorité chiite.

Le pays des Saoud était selon lui coupable d’ « oppression, meurtres » et de « violations de l’honneur des femmes ». Il fustigeait un régime prônant la violence et qui disait vouloir utiliser « le fer d’abord ». Malgré sa dissidence, il appelait à lutter « non par la violence, mais par notre détermination, par nos croyance, et par notre fermeté. Nous avons la détermination de vaincre le régime saoudien ».

Si le prédicateur était considéré comme terroriste par l’Arabie-Saoudite, la monarchie craignait aussi que ses discours n’étendent l’influence du chiisme dans ce pays où 90% des habitants, ainsi que l’ensemble des dirigeants, sont sunnites. Il était considéré par les Saoud comme un relais de l’Iran en Arabie-Saoudite.

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Chiisme et sunnisme
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Pour comprendre en partie les tensions qui règnent entre ces deux courants de l’Islam, et qui secouent le Moyen-Orient, il faut revenir à leurs origines. 
A la mort du prophète Mohammed en 632 à Médine, sa succession n’est pas été planifiée. C’est finalement Abu Bakr, son gendre, qui lui succède en tant que calife (« khalifa »). Puis, le quatrième calife, Ali Ibn Abi Talib (cousin de de Mohammed et époux de sa fille Fatima) est suspecté du meurtre de son prédécesseur Uthman et son élection est remise en cause. Par la suite, il est assassiné par Mu’awiya, gouverneur de Syrie qui se proclame calife et fonde la dynastie des omeyyades (661-750).
 De là part la scission entre sunnites et chiites.

Les sunnites: Ils soutiennent Mu’awiya et sont attachés aux traditions de la sunna (qui désigne l’ensemble des paroles attribuées à Mohammed). Ils se considèrent comme les successeurs de Mu’awiya.

Les chiites: Eux se considèrent comme les descendants d’Ali et ne reconnaissent pas les trois premiers califes. Ali est pour eux le « premier imam ».
 Ils attendent la venue du dernier imam, le « Mahdi », croyance que ne partagent pas le sunnites.

Sunnisme et chiisme au Moyen-Orient. Crédit: le géoscope

Sunnisme et chiisme au Moyen-Orient. Crédit: le géoscope

 

Quelles rivalités entre l’Arabie-Saoudite sunnite et l’Iran chiite?

Selon Thierry Coville, chercheur à l’IRIS (institut de relations internationales et stratégiques), il se joue une véritable « guerre froide » entre les deux Etats. Selon lui, la question religieuse « est instrumentalisée par l’Iran et l’Arabie saoudite pour atteindre des objectifs de géopolitique ». 

Les tensions actuelles, qui trouvent leurs racines dans une opposition « religieuse », s’expliquent donc par plusieurs autres facteurs:

  • La guerre en Syrie et en Irak

L’un des principaux points de discorde réside dans le soutien iranien (avec des milices chiites et quelques milices sunnites peu nombreuses) aux forces armées irakiennes dans la lutte contre Daech. L’Iran est aussi un allié du régime de Damas, ce qui déplaît fortement à l’Arabie Saoudite. En effet, le gouvernement syrien est en majorité alaouite, une branche du chiisme. La pétromonarchie voit dans le maintien au pouvoir de Bachar El Assad une conséquence directe de l’aide financière et stratégique apportée par l’Iran. Cela entraîne une persistance de la mouvance chiite dans la région, et fait donc barrière au fait d’asseoir en Syrie et en Irak un pouvoir sunnite supportant l’Arabie Saoudite.

  • La révolte au Yémen

Pour Michel Makinsky, chargé d’enseignement sur l’Iran et l’Islam à l’école supérieure de commerce et de management de Poitiers, la monarchie perse s’est aussi vue reprocher d’avoir encouragé et déclenché la révolte houtiste au Yémen pour y installer un pouvoir chiite. L’Arabie Saoudite craint, selon M. Makinsky, un « encerclement » chiite. C’est pour contrer et limiter cela qu’elle s’est engagée avec une coalition de pays arabes dans une intervention militaire dans le pays en mars 2015.

Yémen, les forces en présence. Crédit photo: Huffington Post

Yémen, les forces en présence. Crédit photo: Stratfor via Huffington Post

  • L’accord sur le nucléaire iranien

L’accord signé par l’Iran et le P5+1 (Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Chine, Russie+ Allemagne)  n’a bien évidemment pas trouvé le soutien du royaume. Celui-ci craint que l’Iran se dote de l’arme nucléaire pour accroître son influence au Moyen-Orient. L’Arabie-Saoudite a sans doute été, avec Israël, le plus ferme opposant à cet accord. Les deux pays craignent que celui-ci ne soit pas respecté et que l’Iran les attaque à l’aide d’armes nucléaires.

  • La baisse des prix du pétrole

L’Arabie Saoudite encourage la surproduction de pétrole afin d’en faire chuter les prix (le prix du baril tourne actuellement autour de 36$). Si certains pensent qu’il s’agit principalement de rendre moins rentables les exploitations américaines qui produisent de plus en plus d’or noir (et viennent d’autoriser l’exportation de leur pétrole brut, ce qui pourrait en faire un acteur bien plus présent sur le marché), l’Iran voit là une manoeuvre américano-saoudienne pour empêcher son économie de tirer des revenus de ses importantes ressources pétrolières, et ainsi bloquer le « grand retour de l’Iran » (amorcé par l’accord nucléaire précédemment évoqué) qui est en marche selon Olivier Hanne, auteur de Géopolitique de l’Iran.

Pétrole Arabie Saoudite

 

Une précédente rupture diplomatique en 1988

Si la rivalité semble actuellement à son apogée, ce n’est pas la première fois que l’Arabie-Saoudite rompt ses relations diplomatiques avec l’Iran. En 1987, 275 pèlerins iraniens meurent lors d’affrontements entre manifestants et police saoudienne lors du Hadj (le pèlerinage à la Mecque). Les « hajji » exprimaient leur opposition à Israël ainsi qu’aux Etats-Unis qui avaient fait entrer leur marine de guerre dans le Golfe.

A Téhéran, l’ambassade saoudienne est occupée, et celle du Koweit est brûlée. En 1988, à l’image de ce qui se déroule en ce moment, la rupture est annoncée par le roi de l’époque Fahd Ben Abdul Aziz Al Saoud. 
En 1997, lorsque le président Mohammed Khatami accède au pouvoir en Iran, il tente d’apaiser les relations avec le pays voisin. Les relations diplomatiques reprennent. Mais la rivalité fondamentale pour exercer le leadership demeure.

Réactions étrangères

Les américains, qui craignent de voir s’affronter les deux Etats militairement tentent de calmer le jeu et de contourner une escalade dans la violence. Si les rivaux s’affrontent sur des territoires étrangers (Syrie, Irak, Yémen,…), un conflit plus direct déstabiliserait un peu plus cette zone déjà en proie au chaos. C’est pourquoi les Etats-Unis veulent conserver le fragile équilibre qui subsiste. Ainsi, John Kirby, porte-parole du département d’Etat (américain) appelle « le gouvernement à respecter les droits de l’homme et à garantir des procès honnêtes ».
 Il demande à ce que l’Arabie Saoudite autorise « l’expression d’opinions dissidentes pacifiques ».

John Kirby

John Kirby, porte-parole du département d’Etat américain

La chef de la diplomatie européenne Federica Mogherini s’est dite préoccupée par les exécutions perpétrées par l’Arabie Saoudite. « Le cas spécifique du cheikh Nimr al-Nimr soulève de sérieuses inquiétudes sur la liberté d’expression et le respect des droits civils et politiques de base, qui doivent être préservés dans tous les cas, y compris dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ».

Enfin, le secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki Moon, s’est dit « profondément consterné par ces exécutions ».

Maïlys Khider

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