Ce 20 Septembre, s’est éteinte une femme au coeur de la naissance de la « Beat generation ». Carolyn Cassady est décédée à l’âge de 90 ans, emportant avec elle et ses souvenirs, son témoignage d’une époque troublée par la fin de la Seconde guerre mondiale et les débuts de la gouvernance rigide du Président républicain Eisenhower.
Des écrivains aux personnages, la réalité est mince
Carolyn a été la femme de Neal Cassady, ami de Jack Kerouac qui lui inspira le personnage de Dean Moriarty dans son roman emblématique « On the road ». Elle a vécu, à travers son mari, aux côtés de légendes littéraires qui ont formé sans le savoir un mouvement dont découlera plus tard la philosophie hippie. Elle fut également, et avec le consentement de Neal, l’amante de Kerouac qu’elle aimait pour sa douceur et sa sensibilité. A l’opposé de la violence de son mari, héros tragique mort en 1968 et souvent décrit comme un menteur, un voleur et un séducteur. Elle décrivait elle-même leurs rapports sexuels comme « sauvages » mais ne manqua jamais de préciser, dans chaque interview qu’elle accorda par la suite, l’ambivalence de sa personnalité. Tantôt homme travailleur, bienveillant et passionné, tantôt être indompté, attiré par la vitesse et guidé par ses désirs sexuels.
Neal Cassady est un héros malgré lui. Il influença de sa personnalité charismatique et de ses théories utopiques tout son entourage. Il fut l’ami intime – et même l’amant – des célèbres écrivains Jack Kerouac et Allen Ginsberg. C’est lui qui leur inculqua sa soif de voyages et qui les introduisit au plaisir de la conduite dans les grands espaces américains. A travers la vitesse et l’écoulement des kilomètres, Neal voyait une façon de mieux vivre et de transcender l’idée qu’il se faisait de la liberté. Il était également un alcoolique notoire, accro à toutes sortes de drogues qu’il partageait régulièrement avec ses amis aussi bien qu’en compagnie d’inconnus. Il n’occupe ses emplois que peu de temps, investissant régulièrement dans ses départs aussi improvisés que prolifiques. Il a tout de même écrit quelques poèmes et un début d’autobiographie mais il ne connaitra jamais le succès littéraire de ceux qu’il a inspiré. Notamment celui, retentissant, de son proche ami Jack Kerouac.
Jack Kerouac est un écrivain américain, connu notamment pour « On the Road », roman quasi-autobiographique issu de ses nombreux carnets de voyages qu’il aurait écrit en à peine trois semaines. Il y raconte donc ses diverses traversées des Etats-Unis ainsi que ses nombreuses rencontres. Notamment celle de Dean Moriarty (Personnage inspiré par son ami Neal) qui lui inculquera une philosophie libertaire et une passion pour la route. Ce roman est considéré comme le manifeste de la « beat generation » et est l’emblème d’un nouveau style d’écriture inventé par Kerouac : la prose spontanée. Il écrit frénétiquement, sans ponctuations, ne se relisant jamais. Ce qui lui valu d’ailleurs de nombreuses critiques lors de la parution du livre. Néanmoins ceci permet un style vif, aiguisé et vrai, où l’auteur livre directement ses pensées et ses souvenirs au lecteur, sans artifices. Le rythme est en effet trépidant et on avance dans le roman comme le héros parcourt les kilomètres, simplement ralenti par les merveilleuses rencontres que celui-ci a la chance de faire. La notion de voyage est d’ailleurs toujours associée à l’idée d’espace et de liberté. En opposition aux périodes sédentaires, où le héros, comme l’écrivain dans sa propre vie, se sent enfermé et a bien des difficultés à trouver sa place. Le départ et le voyage sont alors les remèdes aux conventions sociales et aux valeurs traditionnelles que l’écrivain – et par extension son héros – rejette. Il permet de trouver un sens à son existence. Dans cette quête incessante, Sal, le narrateur, use à outrance de l’alcool et des drogues. Comme le fit d’ailleurs Jack Kerouac tout au long de sa vie qui s’acheva en 1969, un an après la mort de son ami Neal Cassady. L’écrivain, à l’image de son personnage, cherchait à donner un sens à son existence, et il s’essaya à de nombreuses religions et en particulier au bouddhisme. Il vanta, dans sa vie et ses ouvrages, l’importance de l’amour et du plaisir charnel. Tout comme son ami Allen Ginsberg le fait dans ses poèmes.
Allen Ginsberg était également un des fondateurs de la « beat generation ». Il est représenté dans le roman « On the road » sous les traits de Carlo Marx en référence à ses idéaux proche du communisme. Il fut également l’amant des deux hommes et un fervent défenseur de la cause homosexuelle aux Etats-Unis. C’est un célèbre poète, dont l’œuvre la plus connue « Howl », un long poème en prose fut retiré de la vente à cause du vocabulaire cru employé. Jack et Neal y sont d’ailleurs explicitement mentionnés. Ce poème est également un emblème de la « beat generation » et une invitation au voyage et au renouveau des valeurs sociales. A l’image de son ami Kerouac il revendique une écriture spontanée, abordant les thèmes de la paix, de la désillusion sociale et écrivant de façon très évocatrice. Son combat contre la guerre du Vietnam lui valut d’être considéré par le FBI comme une menace pour la sécurité intérieure. On lui attribue la paternité du slogan « Flower Power » repris par le mouvement hippie. Il est mort en 1997 d’un cancer du foie, sans doute résultant de ses excès d’alcool.
« On the Road » apparaît comme la bible du mouvement beat, et on y croise des personnages inspirés aussi bien qu’inspirants. En le lisant, on comprend comment Jack Kerouac a créé une véritable légende autour de son groupe d’amis en mixant réalité historique et fiction. Le livre est une invitation au voyage et à la découverte du « sens » de la vie. Il suggère également l’usage excessif de drogues et d’alcool, comme une quête des sens vers une véritable découverte de soi. Même si ces excès furent à l’origine de nombreux problèmes de santé pour l’écrivain. Kerouac a inspiré Sal, le narrateur. Allen a inspiré Carlo. Et Neal a inspiré Dean, qui a plus tard inspiré Jim Morrison. La vraie force de ce livre est de puiser suffisamment dans la réalité pour renforcer la fiction, et inversement la fiction permet de servir la réalité élevant Jack, Neal et leurs compagnons en véritable héros, figures quasi-mystiques et créateurs d’un nouveau mouvement : la beat generation. C’est sans doute ce parfum de légende qui fit que le roman de Carolyn Cassady « Off the road » ne rencontra pas le succès espéré. Elle y dépeignait une réalité trop plate et moins encline au rêve. Comme quoi, on ne recherche pas forcément la vérité, mais parfois une version embellie de celle-ci.
Mais qu’est ce donc que la « beat generation » ?
Le mouvement s’est créé à partir du roman « On the road » de Jack Kerouac. Il est alors devenu malgré lui, et sans le vouloir, le héros et le plus grand représentant de la contre-culture aux Etats-Unis. Il supporta mal le succès et en devint aigri. Ce qui est prévisible, car l’anonymat est une des valeurs de Kerouac, qui montre dans son roman, à travers les rencontres de Sal que l’on peut trouver du bon dans chacun, et que l’on a des choses à découvrir et à apprendre de chacune de nos rencontres. Les autres, leur diversité, et leurs enseignements sont les pavés de la route vers la connaissance de soi. Et pour réunir suffisamment de pavés pour arriver jusqu’à cette connaissance le voyage est le meilleur allié.
Dans les idéaux beat, on retrouve la quête des grands espaces et de la nature à l’état sauvage. L’idée de liberté est également sublimée. C’est une contre-culture, allant à l’encontre des nombreux codes de la rigide société américaine d’Après-guerre. Ces voyages se font en voiture, allégorie de la vitesse et de la quête de sensation forte, comme le sont également les différentes drogues qui permettent et soutiennent la recherche du « sens » de l’existence à travers la connaissance de soit. Les « beatniks » sont évidemment, non-matérialistes. La « possession » est d’ailleurs contraire aux idéaux du mouvement, sous toutes ses formes. Le partage est essentiel, comme on le découvre dans le voyage de Sal à travers les Etats-Unis. Neal Cassady partageait bien sa femme avec son ami Jack. On commence à comprendre pourquoi cette philosophie a autant inspiré le mouvement hippie qui en découle dans les années 60. L’autre point commun entre les mouvements, est le pacifisme et le rejet des convenances sociales. Dans une période de guerre froide, avec notamment la guerre du Vietnam, les représentants de la « beat generation », Allan Ginsberg en tête, se sont dressés contre leur gouvernement, prônant la paix et l’importance de l’amour. Le thème de l’amour est très cher aux beatniks, mais si le sentiment est très présent et sublimé, il n’est pas pour autant teint d’exclusivité. Le plaisir charnel était pour ces hommes au centre de la vie, et ne devait pas se teindre de jalousie ou de limites. La plupart étaient donc bisexuels et pratiquaient le sexe en groupe. Cette approche du sexe renforce l’idée, largement dominante, que la liberté la plus totale est essentielle.
Tout comme Ernest Hemingway avait porté la génération perdue (Lost generation) de l’entre deux guerres, les écrivains Jack Kerouac et Allen Ginsberg ont créé la « beat generation », sorte de transition vers le mouvement hippie. Ce sont les créateurs d’un style littéraire, la prose spontanée, ainsi que d’un style de vie, la liberté et le voyage comme voie vers la connaissance de soi. Le mouvement a été ensuite rejoint par le célèbre Bob Dylan, et puise beaucoup de ses inspirations dans la musique et notamment le Jazz. Un style musical qui puise lui aussi ses racines dans l’idée et l’idéal de liberté. On sait quel succès le mouvement hippie a eu. On sait moins qui en est l’héritier ? Avec l’absence de guerre, la diplomatie mondiale a sans doute tué les mouvements pacifistes. Peut être que la réalité a finalement fini par reprendre le pas sur la fiction et sa part de rêves. D’ailleurs, à l’époque les romans se réclamaient de la poésie, et la poésie elle même avait du succès. En tout cas, quand on pense à Jack ou Neal (Ou sal et Dean) et leurs idéaux de liberté et d’espace, on a l’impression de vivre dans une époque beaucoup trop plate où la réalité n’est plus évité par la quête de liberté mais par une pauvre virtualité numérique. Et même là, nos libertés sont menacées. Peut être que finalement la guerre a prit une autre forme : espionnage, terrorisme, chômage, dettes … Et on a sans doute encore besoin des écrivains pour nous emmener loin de la réalité et pour transcender nos conditions actuels. Avec la mondialisation et l’uniformisation de la culture, on voit peu de contre-cultures émerger et nous inciter à penser différemment. Nos héros contemporains se font attendre, peut être sont-ils encore en train de vivre avant de raconter. On les attend.