Le 17 février, un attentat à la voiture piégée a été perpétré dans la capitale Turque, faisant 28 morts et 61 blessés. Le Premier ministre, Ahmet Davutoglu, impute l’attentat au PKK, une organisation Kurde à laquelle le gouvernement mène une guerre ouverte depuis des décennies. Mais pourquoi cette violence, qui sont les Kurdes et que réclament-ils ? Eclairage sur un conflit aux conséquences multiples.
Ces violents affrontements entre les autorités turques et la minorité Kurde, présente au sud-est de la Turquie ne sont pas nouveaux. Ils témoignent de l’extrême tension qui sévit en interne, dans un pays qui aspire pourtant à rejoindre l’Union européenne.
Un peuple à cheval sur plusieurs états
Les Kurdes, composés majoritairement de musulmans sunnites mais également de chrétiens et autres courants religieux minoritaires (alévis, yézidis…) représentent aujourd’hui la plus grande nation dépourvue d’état. Sa population vit en effet à cheval entre la Turquie, l’Irak, l’Iran et la Syrie.
Pour comprendre cette répartition, il faut revenir à l’époque de la Première Guerre mondiale : les Alliés victorieux à l’issue de la guerre signent en 1920 le traité de Sèvres qui prévoit, pour le Proche-Orient, d’instituer un « territoire autonome des Kurdes ». C’était sans compter l’intervention de Mustapha Kemal qui instaure, sur les ruines de l’empire Ottoman, une République Turque en 1923. Celui qui prit le nom d’Ataturk, père de la nation Turque, souhaite une entité indivisible : il dénie aux Kurdes une identité propre, bannit leur langue et les juge partie intégrante du peuple Turc. Ainsi parvient-il à impacter la décision des Occidentaux, ce qui aboutira au Traité de Lausanne. En vertu de ce traité, les Kurdes, dont la population est évaluée à environ 40 millions de personnes se voient alors répartis entre quatre états distincts.
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Le PKK : ennemi principal de la Turquie
Les velléités d’autonomie, sans cesse exprimées par les Kurdes ne se sont depuis jamais éteintes. En 1984, Abdullah Ocalan fonde le PKK, d’inspiration marxiste-léniniste, dans le but de défendre les intérêts Kurdes ; le parti est listé depuis par la communauté internationale comme étant une organisation terroriste.
Les défenseurs de la cause Kurde constituent donc l’ennemi n°1 du Président Erdogan, qui réitérait encore dans ses voeux pour 2016 sa volonté de « poursuivre », et de « nettoyer les villes et les campagnes » de l’organisation.
Les intérêts contradictoires de Erdogan
Ainsi, le Président est pris en étau entre des intérêts contradictoires : combattre les Kurdes tout en montrant un visage lissé à l’adresse de l’Union européenne, en vue d’une potentielle intégration. En outre, la communauté internationale considère les Kurdes comme un allié de choix dans la lutte contre l’organisation Etat islamique (OEI). Présents en Syrie, les Kurdes se sont illustrés en ce sens, en combattant les djihadistes avec acharnement et en sauvant de leurs griffes certaines de leurs villes – avec une armée composée en partie de femmes, fait suffisamment rare pour être souligné.
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Ainsi, en parallèle, la Turquie s’emploie à combattre ce peuple, tout en se disant en lutte contre l’OEI. Une pluralité d’intérêts qui s’entrechoquent donc…
Si Erdogan, dans un souci de crédibilité, veut apaiser ses relations avec les Kurdes, ces derniers restent néanmoins encore aujourd’hui victimes de harcèlement judiciaire et de condamnations arbitraires. En outre, des attentats survenus récemment sur le sol Turc a éveillé quelques soupçons dans une partie de l’opinion publique.
Succession d’attentats
En effet, en octobre 2015, la Turquie a connu l’attentat le plus sanglant de son histoire, au cours d’une manifestation pour la paix à laquelle avait appelée des organisation de gauches pro-kurdes. Bilan : 106 morts, et la mise en cause à peine voilée du Président. L’attentat survenait en effet dans un contexte institutionnel particulier : le parti AKP, parti de Erdogan, avait perdu sa majorité absolue aux élections législatives de l’été passé. Cette défaite était due au succès remporté par une formation pro-kurde. Dans l’impossibilité de former une coalition, de nouvelles élections étaient prévues pour novembre. Soit trois semaines après la survenance de ces attentats meurtriers…
En juillet 2015, un scénario du même type se produisait dans la ville de Suruç. 32 jeunes socialistes, venus aider à la reconstruction de Kobané ont péri dans un attentat imputé à l’OEI. Et de la même façon, le gouvernement s’est vu accuser de complicité.
Et la suite ?
L’attentat perpétré le 17 février contre des militaires ne va donc pas aller dans le sens d’ une amélioration des relations entre la Turquie et sa minorité Kurde. La lutte que se livrent les deux ennemis se manifeste également en Syrie, où le gouvernement Turc vise en priorité les positions Kurdes (PYD) qui se battent sur le territoire.
Cette détestation emporte donc des conséquences qui vont bien au-delà du seul sort des Kurdes de Turquie. Il est temps que Erdogan, acteur-clé du conflit syrien, cesse de mener plusieurs guerre de front et fasse la lumière sur des positions pour le moins équivoques. D’autant que les réfugiés Syriens sont toujours plus nombreux à affluer vers sa propre frontière, fuyant un conflit qui ne finit pas de s’envenimer.