Lors des élections législatives grecques du 25 janvier, un raz-de-marée électoral a porté au pouvoir le parti anti-austérité, récoltant 36,3% des suffrages. Pour disposer de la majorité absolue au Parlement, Alexis Tsipras a formé une coalition avec Pános Kammenos, leader du parti souverainiste grec. Les opposants pointent du doigt l’alliance douteuse avec l’ANEL et craignent une opposition à la Troïka qui pourrait se retourner contre le pays.
Ce lundi, Alexis Tsipras a fait la une du quotidien centriste grec Ta Nea. L’éditorial, intitulé « La vague » insiste sur la rupture avec quarante ans de bipartisme. Il s’agit de « la première élection qui dit “non” aux mémorandums d’austérité et certainement la première qui dit “oui” à une politique économique alternative ». Depuis ce séisme, tous les yeux sont tournés vers la Grèce et attendent les prochaines mesures du parti de gauche radicale. La mesure-phare du programme, l’annulation de la dette grecque, est particulièrement sous les feux des projecteurs.
Cependant, la marge de manœuvre du nouveau premier ministre pourrait être limitée par une alliance encombrante avec l’ANEL et par l’action conjuguée de l’Union européenne, de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international.
Un allié « contre nature »
Dimanche 25 janvier, Syriza a récolté 149 sièges. Il lui en a manqué pour atteindre la majorité absolue au Parlement et former un gouvernement. Alexis Tsipras s’est allié avec les Grecs indépendants de Pános Kammenos. Le rapprochement entre les deux hommes n’est pas nouveau. Il s’était effectué à l’occasion des élections législatives de 2012 mais n’avait pas permis de dégager une majorité.
Nombreux sont ceux à faire le procès du nouvel allié de Syriza. Il a été élu député à neuf reprises sous les couleurs de Nouvelle Démocratie, le parti conservateur d’Antoni Samaras. Puis, il a rompu en 2012 pour créer l’ANEL. Il est connu pour ses propos outranciers qui font régulièrement polémique. Sa dernière intervention datant de décembre a fait jaser, il affirme que « les bouddhistes, les juifs et les musulmans ne payaient pas d’impôts », contrairement à l’église orthodoxe, qui« risquait de perdre ses monastères ». Plusieurs personnes critiquent ardemment cette alliance à l’instar de Daniel Cohn Bendit qui explique dans un entretien donné à Libération que « jamais je n’aurais imaginé que la première alliance de Syriza se fasse avec Pános Kamménos, un homophobe, un antisémite et un raciste ».
Aujourd’hui, seule semble les unir la lutte contre l’austérité imposée par l’Union Européenne. L’ANEL est très proche de l’Eglise orthodoxe, pilier en Grèce, alors que Tsipras clame haut et fort son athéisme. L’immigration est aussi un sujet qui fâche. Pános Kamménos exige un contrôle sévère des frontières tandis que Syriza prône une politique d’immigration importante. Le fossé idéologique entre ces deux partis semble donc insurmontable.
Cette coalition pourrait être à l’origine de désaccords multiples susceptibles de porter atteinte l’efficacité de la politique menée par le gouvernement et de déstabiliser l’unité de Syriza, déjà hétérogène et fragile.
Une politique économique liée par la Troïka
Le plus gros dossier que doit régler Tsipras, celui de la dette publique, est aussi source de tensions depuis de nombreuses années. Dès 2010, l’Union européenne, la Banque centrale européenne et le Fond monétaire international se sont engagés à prêter plus 240 milliards d’euros à la Grèce en échange d’une cure d’austérité drastique. En mars 2012, le secteur privé a déjà accordé une remise de dette de 107 milliards d’euros. Malgré des mesures fortes comme la baisse de 20% des salaires, le pays ne parvient pas à sortir la tête de l’eau.
Le montant de sa dette est désormais pharaonique : il dépasse les 320 milliards d’euros, 180% du PIB du pays. Lourd handicap pour la croissance, la dette rend le pays particulièrement dépendant de ses créanciers car il est incapable de lever des capitaux seul. La souveraineté du pays et la latitude des actions de Syriza sont remises en cause. Les opposants à Syriza redoutent une mise à l’écart diplomatique de la Grèce.
Les pays détenteurs de la dette grecque n’ont pas tardé à s’exprimer et refusent catégoriquement toute annulation de la dette. Peter Altmaier, membre du cabinet d’Angela Merkel, écarte toute éventualité de modifier la politique en cours, puisqu’« elle fonctionne dans la plupart des pays européens, il faut s’y tenir ». Lors du forum économique de Davos, la chancelière a répété qu’elle attendait du gouvernement qu’il respecte les engagements pris jusqu’à présent.
La BCE réunie ce lundi a opposé une fin de non-recevoir à la volonté du parti de renégocier la dette colossale. « Il est absolument clair que nous ne pouvons approuver aucune réduction de la dette qui toucherait les titres grecs détenus par la BCE. Cela est impossible pour des raisons juridiques », a averti Benoît Coeuré dans une interview accordée au quotidien économique Handelsblatt. La politique économique sera difficile à imposer car en ces conditions, elle semble irréalisable.
La légitimité des économistes qui soutiennent Syriza peut être contestée. Ils ont contribué à dédiaboliser le parti auprès de la classe moyenne mais ce sont pour la plupart des universitaires qui n’ont pas l’expérience du terrain. Le Financial Times affirme que « très peu ont de l’expérience en entreprise ou dans une administration publique » : Yanis Varoufakis, le plus visible d’entre eux, n’a jamais exercé de responsabilités concrètes. Il est célèbre pour son blog et pour son intervention dans de nombreux médias.
Finalement, le gouvernement Tsipras a beaucoup à faire dans des conditions difficiles. Les prochains mois révéleront si les résultats seront à la hauteur des attentes.
Photo : CWI Reporter