Après sa victoire contre Aleksandar Kovacevic (6-3, 6-2, 7-6), alors qu’il quittait le court Philippe-Chatrier, Djokovic a écrit en cyrillique sur la caméra, là où le vainqueur appose généralement sa signature : « Le Kosovo c’est le cœur de la Serbie ! Stop à la violence. »
Ce lundi 29 mai, après son entrée en lice à Roland-Garros et après sa victoire face à Aleksandar Kovacevic (6-3 ; 6-2 ; 7-6), Novak Djokovic, au lieu d’apposer une traditionnelle signature sur l’objectif de la caméra du court Philippe-Chatrier, a choisi de faire passer un message politique en écrivant :
« Le Kosovo est le cœur de la Serbie. »
Il a ensuite justifié son acte en conférence de presse.
Tout en précisant qu’il n’était pas un politicien et qu’il n’avait pas l’intention de s’engager dans des débats politiques, Djokovic, en tant que Serbe, a tenu à s’exprimer face à ce qui se passe au nord du Kosovo (actuellement lieu d’affrontements entre manifestants serbes et forces de l’OTAN). Il a souligné qu’en tant que personnalité publique et fils d’un homme né au Kosovo, il se sentait responsable et qu’il voulait montrer son soutien à toute la Serbie : « C’est un sujet très sensible. Je suis très touché en tant que Serbe par ce qu’il se passe au Kosovo et par la façon dont notre peuple a été pratiquement forcé de quitter nos municipalités (…). En tant que fils d’un homme né au Kosovo, je sens une responsabilité additionnelle à donner mon soutien à notre peuple et à toute la Serbie. » Il a également déclaré : « Je ne sais pas ce que l’avenir réserve au peuple serbe et au Kosovo, mais il est tout à fait nécessaire de leur apporter notre soutien. »
Le joueur de tennis a insisté sur son opposition aux guerres et conflits, une position qu’il a toujours exprimée publiquement :
« Je suis vraiment désolé de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Le Kosovo est notre foyer, notre forteresse, la plus grande bataille s’y est déroulée, les monastères les plus importants s’y trouvent. »
Dès sa première victoire dans un tournoi du Grand Chelem à l’Open d’Australie en 2008, Novak Djokovic avait affirmé haut et fort que le Kosovo était la Serbie. Cette position n’est pas nouvelle pour lui.
Un message politique, militant : que dit la Charte de la Fédération française de tennis ?
La question qui se pose est celle de savoir si ce message de Novak Djokovic, à connotation politique, pourrait être considéré comme une violation de la charte de Roland-Garros et de la Fédération française de tennis (FFT). Celle-ci n’interdit pas à proprement parler l’expression d’une opinion politique. En effet, la charte prévoit, dans son article 2.5.2, que « Tous les acteurs du tennis doivent considérer comme un devoir moral le refus de toute forme de violence et de tricherie ». Sont mentionnées en particulier « les opinions religieuses ou politiques », mais cette mention est incluse dans une formule qui vise, comme forme de violence, « les discriminations » de toutes sortes (fondées sur le sexe, les apparences ou capacités physiques, …), dont les discriminations fondées sur « les opinions religieuses ou politiques », ce qui, stricto sensu, ne signifie pas que le texte interdit par lui-même l’expression d’une opinion politique. Maintenant les exemples fournis de formes de « violence » ne sont donnés qu’ « À titre non exhaustif »…
L’article 2.2.4 de la même Charte d’Éthique de la FFT indique par ailleurs : « Les champions de tennis doivent avoir conscience de l’impact de leur image, de leurs gestes ou paroles auprès des individus et en particulier des plus jeunes. Ils doivent adopter en compétition, en public et devant les médias une attitude exemplaire. » Ce texte peut-il être interprété comme renfermant une restriction à la liberté d’expression du joueur ? La Fédération française de tennis, en tant qu’organisatrice du tournoi de Roland-Garros, peut-elle restreindre la liberté d’expression, qui plus est par une Charte d’Éthique ? Que dit la loi, et plus particulièrement le code du sport, s’agissant des « manifestations sportives » (titre III du Livre III) ? « Les fédérations sportives, ainsi que les organisateurs de manifestations sportives (…), sont propriétaires du droit d’exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu’ils organisent » (art. L. 333-1 du code du sport). Et par la suite, l’article L.333-4 énonce nettement :
« Les fédérations sportives, les sociétés sportives et les organisateurs de manifestations sportives ne peuvent, en leur qualité de détenteur des droits d’exploitation, imposer aux sportifs participant à une manifestation ou à une compétition aucune obligation portant atteinte à leur liberté d’expression ».
La Charte de la FFT ne mentionne pas directement une restriction à la liberté d’expression, en interdisant notamment tout message politique. Rien de comparable avec, par exemple, l’article 50.2 de la Charte olympique qui prévoit :
« aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique ».
Quant à savoir si le joueur Serbe pourrait être sanctionné, Novak Djokovic a indiqué : « Si on me donne une amende ou quelque chose du même genre, je n’aurais aucun regret (…) parce que ma position là-dessus est très claire (…) Je ne sais pas si je vais être sanctionné, mais je ne me retiendrai pas, je le referai ».
Mardi soir, la FFT a semblé vouloir en rester là, en indiquant simplement dans un communiqué : « Les débats qui traversent l’actualité internationale s’invitent parfois en marge du tournoi, c’est compréhensible ».
Devoir de neutralité contre liberté d’expression ?
Ce mercredi matin 31 mai, sur France 2, la ministre des Sports et des Jeux Olympiques et Paralympiques, Amélie Oudéa-Castéra, ex-directrice de la Fédération française de tennis, a déclaré : « cela est inapproprié », « il ne faut pas que cela recommence ». Elle a estimé qu’il y avait atteinte au « principe de neutralité du terrain de jeu ». Et de préciser : « Quand on porte des messages que sont la défense des droits de l’homme, des messages qui rapprochent le peuple autour de valeurs universelles, le sportif est libre de le faire », alors que le message de Novak Djokovic « est militant, très politique ».
Ismet Krasniqi, le président du Comité olympique du Kosovo, a également réagi : « Novak Djokovic a encore une fois promu la propagande des nationalistes serbes et il a utilisé une tribune sportive pour le faire. Les nouvelles déclarations d’après-match faites par une telle personnalité publique sans aucun sentiment de remords ont pour conséquence directe d’augmenter le niveau de tension et de violence entre les deux pays ». Dans une lettre adressée au Comité international olympique (CIO), il estime que le message de Novak Djokovic viole « le principe fondamental de la charte du CIO sur le point de neutralité politique » et réclame une procédure disciplinaire et des sanctions contre l’athlète.
Le système sportif serait ainsi politiquement neutre, justifiant une limitation à la liberté d’expression protégée par l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières. (…). », le tout sans préjudice de « restrictions ou de sanctions légales » précise le texte.
Alors, le message écrit de Novak Djokovic susceptible d’une sanction ou pas ? Et sur quel fondement ?