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Le printemps de l’art arabe

Encore considérée comme émergente, la scène artistique en provenance du monde arabe est pourtant en pleine évolution. Longtemps bridée par les dictateurs régionaux, la culture arabe se libère peu à peu. C’est même avec quelques années en avance sur « le printemps arabe », que le phénomène prend ses racines. Explications.

En janvier 2011, alors que le dictateur Zine el-Abidine Ben Ali chutait, Lotfi Bouchnak  mettait la révolution tunisienne en chansons. Un artiste qui se révèle le premier engagé à créer le buzz autour de ses titres. Et aujourd’hui, même s’il reste beaucoup de chemin à parcourir pour offrir une démocratie digne de ce nom au peuple tunisien, Lotfi Bouchnak se dit optimiste face aux menaces sur la création artistique nationale. Dans un entretien à l’AFP, en marge du festival musical marocain Mawazine, il explique, malgré les rumeurs à son encontre, qu’il ne cessera de « défendre la révolution tunisienne, et ce malgré les menaces que font désormais peser les mouvements salafistes sur la création artistique ». Défense dans laquelle s’engage l’une de ses compatriotes, Linda Abdellatif. Exposante au Salon National des Jeunes Artistes Plasticiens Tunisiens qui s’est déroulé à Tunis du 7 au 30 juin dernier, la plasticienne a trouvé sa façon d’exprimer la vie au pays, à travers une œuvre intitulée « Pro-jection ». Tableau composé de personnages au visage rond et difforme, et au regard ironique. Chacun portant une idée forte : « constitution », « démocratie » ou « chaos ». Une toile qui se veut comme « une projection du contexte socio-politique actuel. Les longues jambes multiformes et craquelées (étant) un peu à l’image du pays actuellement ». En voici l’analyse faite par l’artiste elle-même, vendredi dernier, lors d’un entretien avec l’agence de presse nationale tunisienne (TAP).

 

Graffiti réalisé par Keiser dans une rue du Caire, en Egypte. Crédit photo : Keizer

Un engagement que d’autres artistes régionaux ont pris. Libérer leur art pour coller à une réalité pas toujours aussi rose qu’on aimerait le penser. Toujours en Tunisie, on note que la population s’est découverte une réelle possibilité de création artistique dans les rues, avec le graffiti. Désormais omniprésent par le biais de jeunes activistes et artistes comme Sk-One ou Meen One (ici leur portrait), le graffiti se fait porteur de messages et révèle toute sa profondeur. Que l’on soit d’accord ou pas avec les retombées de la révolution, ce qui compte c’est d’avoir enfin la possibilité d’afficher ses idées. Les Libyens quant à eux, ont fait revivre le Rap. Malgré un attentat manqué contre la représentation américaine en 2012 et les démonstrations de force de salafistes agressifs, les artistes se produisent à l’occasion des meetings politiques, des cérémonies de remise de diplôme ou des célébrations familiales. Lors de la révolution libyenne, cette musique a été le mode d’expression privilégié des insurgés qui, jusque là, avait été censuré par Mouammar Khadafi. Le maalouf, musique traditionnelle andalouse très répandue en Afrique du Nord, faisait également partie de la censure. Le régime l’avait tout simplement qualifiée d’élitiste, de pratique réservée à l’intelligentsia et donc en opposition à la musique populaire, porteuse de message positifs, retraçant les victoires du pouvoir en place. À l’époque, de très nombreuses œuvres anglaises et françaises avaient été détruites. D’autres « simplement » retirées des programmes scolaires empêchant les étudiants de s’inspirer du modèle occidental. De l’Ennemi. Pianos, guitares, batteries électriques autrefois brûlés en place publique retrouvent leur noblesse. Symbole de cette « renaissance », après 42 ans d’une vie culturelle inexistante, les Tripolitains ont pu découvrir en novembre dernier l’art vidéo !

L’un des groupes de cette scène encore naissante, « Good against Bad », fondé en 2006.

Mais l’émergence d’un art arabe, d’ampleur régionale puis international a bel et bien débuté avant les révolutions populaires.

C’est en fait à partir des années 2005-2006 que les artistes méditerranéens ont fait une entrée remarquée dans le marché de l’art international. Au niveau régional, on constate que les États du Golfe y ont largement contribué de part leur esprit de conquête, d’initiative culturelle. Entre la création de foires d’art contemporain à Dubaï et Abu Dhabi en 2008, et l’installation de grandes maisons de ventes telles que Christie’s ou Sotheby’s, la région a agit comme un levier afin que les œuvres d’artistes venus du Liban, de Syrie, d’Égypte, d’Iran, etc, puissent enfin accéder au marché. Bien entendu, la participation de ces nouveaux artistes aux grands rendez-vous du secteur s’explique également et en grande partie par la présence, dans les mouvements révolutionnaires de 2011, de très nombreux intellectuels, écrivains, artistes, ainsi que d’une part significative de la jeunesse. Curieuse, indignée, libérée.

 

Aujourd’hui, la mobilité des écrivains, des artistes et des intellectuels arabes a contribué à la constitution d’un champ culturel arabe, y compris dans la remise en cause de l’autorité et de la censure. À ce titre là, on peut dire qu’il s’agit d’un petit pas pour le monde culturel international, mais d’un grand pour le monde arabe.

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