Il y a quelques années, à l’occasion de la diffusion sur Arte de la mini série En immersion, nous avions parlé séries et écriture sérielle avec son réalisateur Philippe Haïm.
Avant que l’actualité séries ne reprenne de plus belle, nous avions envie de vous partager un échange que nous avions eu il y a quelques années avec le réalisateur Philippe Haïm pour la sortie de sa mini série En immersion sur Arte. Parce que ses propos nous semblent toujours pertinents, nous en partageons une partie aujourd’hui.
C’était quoi ? Officier de police sans ambition, Michel Serrero découvre qu’il a contracté une maladie neurologique irréversible. Le même jour, un de ses collègues l’humilie une fois de trop. Michel se révolte soudain et passe pour la première fois de sa vie à l’action. Il entre en immersion pour combattre Guillaume Leanour, jeune « chef d’entreprise ». Trafiquant, ce dernier lance sur le marché la première drogue synthétique consommable dans une cigarette électronique.
En immersion est une vraie proposition mais qui n’est pas nécessairement accessible.
Ne pas être forcément accessible est quelque chose que je revendique. Le rôle d’un artiste n’est pas de plaire aux autres. Il y a beaucoup de gens qui font des choses pour nous plaire et ça se voit. Un peu comme quand on se rend à un rendez-vous avec qui une femme qui se serait trop maquillée, trop habillée, qui cherche à te plaire en en perdant du coup son charme et sa spontanéité. On voit des films et des séries sont faites pour nous plaire et ça échoue parce que « ce n’est pas une manière naturelle pour dire bonjour que de faire de l’œil à quelqu’un« . Et c’est là que réside le combat pour des gens comme moi. Le rôle d’une chaîne est de faire de l’audience. Mais nous, ça, ce n’est pas notre problème. Notre objectif n’est pas de faire pour plaire ou alors on n’a pas compris ce que c’est qu’être artiste. Je ne connais aucun artiste que j’aime qui ait fait quelque chose pour me plaire. Il n’y a que les mauvais artistes qui veulent plaire à tout le monde. Les gens en ont assez qu’on leur fasse de l’œil. Les gens veulent des artistes, ils ont du respect pour quelqu’un qui dit « je suis différent. Ça vous plaît ou pas, vous n’êtes pas obligé de venir mais je suis différent. J’ai un point de vue. Je le rate ou pas, mais je l’ai ». C’est ce choc là entre l’organisation de la création dans les télé et leur nécessité d’avoir des artistes qui est redoutable. La limite est très fragile.
Juste un bémol ! C’est bien d’avoir des œuvres mais encore faut-il les proposer « correctement » au public. La programmation doit jouer correctement son rôle. C’est difficile de construire et maintenir dans une mini série l’aspect « série » quand on sait que ce sera diffusée comme un film.
Tout à fait. Ça devrait être pensé au départ plutôt que de dire on verra quand ce sera fini. Pour maintenir cet aspect « série », ça se fait par une grammaire intérieure. En ne se souciant pas de la programmation mais en ayant une rigueur d’écriture qui implique qu’on n’est pas dans un film.
Qu’est ce que c’est pour vous « une série » ?
Une série c’est avant tout une écriture et une forme. Donner un point de vue visuel à une histoire ne nuit pas à l’histoire. L’opposé c’est la série qui a une écriture visuelle incroyable mais à l’écriture pauvre, déjà vue, une dramaturgie simplifiée. Pour moi, une série réussie est une série qui m’émeut par son écriture et sa forme. La différence entre un film et une série va plutôt se jouer sur l’écriture car la durée d’une série impacte l’écriture de manière monumentale. Dans un film, on raconte une histoire sur grand maximum 3 heures; une série qui dure 4-5 saisons, c’est 60 heures. Breaking Bad vide les entrailles d’un gars durant des dizaines et des dizaines d’heures. Et on a tout. Une écriture remarquable et une mise en scène signée, repérable entre 1000.
Faire un film ce n’est pas faire une série, les mots ont un sens. Etes-vous d’accord avec ça?
Je vais vous donner une image. Ça ne viendrait à l’idée de personne dans mon travail de confondre « zoom » et « travelling ». De même qu’un « polar » ce n’est pas un « thriller ». Et c’est de la responsabilité de tous de ne pas véhiculer des bêtises.
Comment conjugue-t-on cette exigence de qualité avec la nécessité d’industrialiser une fiction pour qu’elle revienne dans des délais « cohérents »?
Aujourd’hui, tout est fait pour que la mise en scène de nos fictions soit négligée. Les cadences de travail sont infernales. Ce n’est plus une question de temps mais une question de format. On dit aujourd’hui qu’on a « x » temps pour faire un 90 minutes ou « x » jours pour un 52 minutes. Ça ne peut pas marcher comme ça car quand on fait une série, on le droit de douter, de se tromper. Et dans ces cas là, c’est au réalisateur de se battre. Si on ne se bat pas, on dit oui à tout. Si on veut que nos séries reviennent dans des délais raisonnables sans altérer la qualité, il faut doubler son équipe ce qui permet d’avoir plus de temps de travail.