Découverte du dernier Festival Séries Mania où elle a reçu la mention spéciale du Jury, London spy est tout sauf une simple série d’espionnage. La preuve.
Une superbe mâchoire dessinée, d’étranges yeux où toute la tristesse du monde semble flotter, le teint marmoréen… Alex, Edward Holcroft, semble céleste, irréel. Grandiose dans sa faiblesse face à Danny, il est un fantasme par excellence. Jeune homme torturé, il est un génie, voué à changer le monde. Autant de promesses que d’incompréhensions. Il est vierge de tout péchés, intouchable car si pur dans sa candeur. Malgré les fardeaux qu’il porte sans se plaindre, l’unique chose que désirait ce petit prince était une histoire d’amour.
London spy, c’est l’histoire de Danny (Ben Whishaw), un jeune homme romantique, torturé, qui tombe sous le charme d’Alex, énigmatique et asocial. Tout les oppose mais tous les deux sont en mal d’amour, ils trouvent du réconfort dans les bras l’un de l’autre. Lorsqu’Alex disparaît soudainement, Danny met tout en œuvre pour le retrouver. Il découvre qu’Alex était en réalité un agent travaillant pour le MI6. Danny plonge alors au cœur d’une colossale conspiration. [youtube id= »O1PEQkpKTLI »]
Une galerie des glaces
London Spy est une mini série britannique de 5 épisodes, parue en 2015, encore inédite en France. Elle ne compte encore qu’une saison à son actif. Avec une note de 83% sur Rotten Tomatoes, le site référence en matière de série, London spy est autant adorée qu’abhorrée. Elle allie le soap romantique au drame d’espionnage. Tom Rob Smith, créateur de la série, s’est inspiré d’un fait divers londonien remontant à 2010. Gareth Williams, espion, as du décodage de 31 ans, est retrouvé mort, en état de décomposition avancé dans un sac de sport. Un jeu sadomasochiste aurait mal tourné. Mais ceci est sans compter l’ombre du MI6 : Williams a probablement été assassiné.
L’ambiance est lente, pesante, les personnages sont avares de mots. La série est tissée de non-dits, de pauses contemplatives mettant en exergue une extra dimension fascinante. Lacune du scénario ou justement clairvoyance ? On se perd un peu dans son sous texte : entre ce dont la série semble parler et ce dont elle parle vraiment. Les multiples énigmes sont présentées avec mystères, créant un enchevêtrement d’illusions. L’esthétique émotionnelle laisse place à une frustration inhérente : on n’arrive jamais à lever le voile.
London spy est une véritable galerie des glaces : on tâtonne à l’aune de Danny. Il s’agit de distinguer où est le mensonge, ce qui se cache derrière les apparences. On se connaît réellement en dehors des mots, des informations glanées. Ce sont les moments, les gestes de tous les jours, le temps passé qui permettent de construire une vérité ineffable. Le secret d’Alex le confirme : voilà ce qu’est cette chose si précieuse. C’est un manifeste pour la fin des mensonges. Un propos un peu cliché sans doute au vue de cette fiction sophistiquée au réalisme décalé.
Pour Tom Rob Smith, Alex n’a jamais été supposé être vivant. La série ne fait pas de concession avec nos sentiments. C’est cependant sa présence fantomatique qui alimente l’histoire. On se demande tout au long de cette série : est-il mort ? On n’en a jamais la confirmation cartésienne. On le suppose, on suit Danny, tout en espérant, priant, pour qu’il ne le soit pas et qu’un twist du scénario nous donne raison. Il apparaît plus être un mécanisme symbolique qu’un véritable être humain. La quasi confirmation de sa mort tombe un peu comme un cheveu sur la soupe : si seulement on pouvait occulter cette révélation.
La question centrale de London spy selon son créateur est de savoir si Alex aime réellement Danny. Ce n’est donc pas une série d’espionnage à proprement parler, c’est un drame sur les relations abordées selon le prisme de l’espionnage. Tom Rob Smith n’avait pas envisagé de seconde saison dans la mesure où, dit-il, les deux relations principales meurent, la série se vidant de sa substance au cours des épisodes. Cependant devant le succès de la série, BBC Two va sans doute la reconduire.
Le monde de l’espionnage sert le propos : c’est le drame relationnel d’un couple gay. Le MI6 est utilisée comme une métaphore pour le thème social de la série. Les problématiques gays sont de mises avec par exemple cette scène, nous arrachant le cœur, où Danny apprend qu’il est séropositif. Selon le créateur, la version la plus intéressante de l’histoire est celle mettant en scène un couple gay. En effet, il s’agit d’une histoire d’amour attaquée par les stéréotypes. La vie de ces derniers est comme le Londres dépeint : ils sont observés en permanence, jugés. Mais malgré cette claustrophobie apparente, demeure toujours un petit monde intimiste qui n’appartient qu’aux jeunes couples. On pleure sur la vie de Scottie, ancien agent du MI6, condamné à vivre une moitié de vie lorsque le secret de sa sexualité éclate. Il n’y a pas une once de méchanceté dans ce personnage. Scottie, c’est aussi Alex en plus âgé.
Difficile de voir clair dans London spy. La série prend le temps de construire ses personnages puis de les faire évoluer. On admire la vénéneuse Frances Turner, Charlotte Rampling, froide dans son château austère. Finalement, on comprend que le véritable amour est indicible et il se subit. Une fois les apparences, les fioritures de l’illusion déconstruites, seule demeure la vérité. Cet amour mit en scène dans la série, il porte son lot de souffrance car il morcelle les personnages.
London spy est une formidable histoire d’amour universelle avant d’être homosexuelle. Elle met en scène ce jeune éphèbe, Alex, fantasme intangible de toute personne quel que soit son orientation sexuelle. C’est une réussite car elle réconcilie homosexuels et hétérosexuels, tous capable de s’identifier, de rêver. Elle parle de pudeur, de confiance. Elle oppose dans toutes leurs ambivalences un Edward Cullen espion – de quoi motiver ces dames et sieurs – face à ce Danny, doté d’un doux regard de chien battu où brille cependant une volonté d’acier.
Crédit: BBC Two