Si Louis(e) sera bien la première héroïne transgenre, Alexia dans Paris (Arte) était également un très beau personnage transgenre.
Paris c’est quoi? 24h dans la vie de parisiens, 24h qui vont changer leur vie à tout jamais, d’une danseuse de cabaret en passant par des membres du personnel de la RATP, jusqu’au Premier ministre.
Grande force de Paris: son casting. A la manière de films comme Magnolia ou de comédies légères comme Love Actually, la distribution de ces histoires joue beaucoup dans l’attachement ou non aux personnages. Et comme dans toute bonne série qui se respecte les personnages sont centraux, il est nécessaire de bien soigner celles et ceux qui les campent. Et ici, on serait bien en peine de choisir lequel tire le plus son épingle du jeu. Mais sans doute très nettement tout de même, Sarah-Jane Souvegrain (Alexia) ne manque pas de sortir du lot, déjà par son rôle de danseuse de cabaret transgenre, mais aussi par l’intensité que la comédienne vue dans Ainsi soient-ils lui donne. Quel beau rôle pour une comédienne, et quel pari aussi ! Aborder la question des transgenres est un pari risqué et peu couru (à part dans l’excellente Hit and Miss, dans Orange is the new black ou dans le soap Amour gloire et beauté), parfaitement relevé ici. C’est le personnage pivot, celui par lequel s’ouvre et referme la série. Un échange rapide en fin de premier épisode résume bien le traitement du personnage:
» Tu es quoi? (lui demande le fils du premier ministre en découvrant qui est vraiment Alexia)
– Je suis moi! »
Tout simplement !
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Lors de la 16ème édition du Festival de la fiction télé de la Rochelle a été présentée Paris. Nous avions pu discuter avec Sarah-Jane Sauvegrain qui campe Alexia.
Qu’est ce qui vous a séduit dans ce projet atypique?
Sarah-Jane Sauvegrain: J’aime ça, les projets atypiques. C’est aussi le cas sur l’autre série dans laquelle j’ai joué, Ainsi soient-ils. Faire une série sur des prêtres, c’était pas gagné d’avance et j’y suis très attachée. Dans Paris, tous ces personnages et ces destins qui se croisent, renvoient à une sensation que j’ai à Paris. Celle de croiser des gens que je ne connais pas du tout mais qu’il m’arrive parfois de recroiser deux ou trois fois par jour. Car Paris c’est une grande ville certes, mais c’est finalement assez petit.
Je trouve la série bien ficelée et mon personnage fait un peu office de lien dans cette toile d’araignée de relations humaines. Quand j’ai lu le scénario, je me suis dit qu’il y avait beaucoup de choses à jouer. Il y a des situations de stress, de l’argent en jeu, des vies en jeu ; il y a une histoire avec mes parents qui ne m’acceptent pas du tout, ce petit garçon que je recueille et mon frère qui fait la guerre en Irak et qui reviendra plus tard dans la saison.
Quand on est une femme et qu’on reçoit un scénario dans lequel on est un transgenre, on se dit quoi?
S-J.S: C’est vrai que ça fait un peu bizarre (rires). Et puis Gilles (Bannier) m’a tout de suite rassurée, il a su me prendre par les sentiments et m’a expliqué que c’est parce que je suis très féminine qu’il m’a choisie. Il faut dire que j’aime tout ce qui est à contre-emploi et quand il faut composer. Je ne connaissais pas les transsexuels avant et j’aime beaucoup quand je prend un rôle faire des recherches. Je suis donc allée chercher ce qui pouvait me toucher chez eux, j’en ai rencontré. Je me suis rendu compte que ce n’était pas seulement le cliché qu’on imaginait. Certains sont bien sûr plus dans l’excès mais d’autres sont assez invisibles et ne sont juste pas en accord avec ce que la nature leur a donné, comme prisonniers dans un corps. Ils vont alors prendre leur vie en main et décider de choisir eux-mêmes leur destin. Ce qui bien entendu ne se fait pas sans souffrance car il y a toute une transformation physique qui s’opère en raison de la prise d’hormones. Dans mon cas dans la série, ça se traduit par un début de poitrine, la prostate se retire et devient de plus en plus petite (dans la série, ça fait 3 ans que j’en prends). C’est donc quelque chose de très perturbant à vivre car quand on se regarde dans la glace, on peut finalement se demander ce qu’on est. C’est par le regard d’un enfant que mon personnage décide d’y aller « et d’emmerder » tout le monde. La seule chose qui me blesse c’est que mes parents n’acceptent pas ma situation.
Justement, la scène où le jeune garçon vous découvre allongée sur le lit, endormie et laisse apparaître votre poitrine, puis votre sexe d’homme, n’est sans doute évidente à appréhender à la lecture du scénario, ni facile à jouer…
S-J.S: Je portais une prothèse bien sûr mais il a fallu la faire et on passe par des choses très intimes. Gilles Bannier a très bien su me mettre à l’aise. Il a filmé ça de manière légère et jamais crue. J’ai eu une grande confiance en lui sur cet aspect là. Mais c’est certain que sur le plateau, j’étais assez gênée par la situation et par la prothèse que je portais devant tous les techniciens présents.
Il y a par moment dans la série, notamment dans vos scènes de cabaret, des moments presque oniriques.
S-J.S: Oui c’est tout à fait ça. Il y a par la suite des situations qui viennent se lier et se délier dans ce cabaret. Je suis amenée à plusieurs reprises à y chanter. J’ai interprété ces chansons mais, si ma voix est grave quand je parle, cela donnait durant le chant par moment, des notes très aiguës. Or on voulait dès le départ que l’ambiguïté soit posée. C’est donc Hervé Salters (le compositeur de toutes les chansons) qui me double. C’est une excellente idée en soi car ça met le doute dès le départ et il n’y pas besoin d’expliquer la situation.
Il y a aussi beaucoup de nostalgie qui passent dans les chansons que je chante, ces ritournelles qui renvoient aussi à un vieux Paris; une époque où les femmes chantaient dans les cabarets, à un Paris qui a disparu. Et en même temps, il y a de la modernité avec le décor, on est contemporains, on est en accord avec notre temps. Paris rend hommage à ce passé là de la ville tout en avançant vers la modernité.
Faire une série chorale en seulement 6 épisodes est loin d’être un pari facile. Chacun doit avoir ce qu’il faut à défendre, ne pas passer pour des personnages gadget, juste bon à servir les autres. Pour y arriver, Virginie Bracq a eu recours à un procédé très malin dans Paris : les personnages sont tous d’une manière ou d’une autre connectés les uns aux autres. Les « rebondissements » tiennent d’ailleurs beaucoup à cet état de fait puisque le but est justement de savoir comment chaque personnage va être relié à un ou plusieurs autres. Les éléments s’emboîtent à merveille, parfois peut-être de manière un peu gratuite mais ça n’est jamais dommageable. Les éléments de l’intrigue sont assez fluides, les personnages vraiment bien caractérisés ET étoffés ce qui est loin d’être négligeable. N’oublions pas non plus que chaque personnage porte en lui son lot de doutes, de souffrances, d’errance ce qui contribue un peu plus encore à les rendre attachants.
Enfin, Virginie Bracq a été vraiment intelligente de choisir de raconter son histoire sur le mode d’une chronique, d’une journée dans la vie de ces gens. Certes, on n’évite pas le syndrome 24 (il se passe vraiment pas mal de choses en une journée) mais, à la différence de la série américaine, quand la série démarre, les éléments qui vont faire vivre nos personnages sont déjà là, et quand elle se termine, ils se poursuivent. Elle évite ainsi soigneusement la course folle en avant visant à boucler à tout prix toutes les histoires à la fin du 6ème et dernier épisode, ce qu’on pouvait craindre légitimement en début de série (la fiction française en est coutumière). Elle se contente de les laisser vivre. Elle termine certains éléments et laissent d’autres se poursuivre. Sans terminer toutes les histoires, la fin de la série n’en demeure pas moins satisfaisante car elle sait terminer un cycle, notamment celui d’Alexia.