Touchant, drôle, effrayant… Le monde de l’entreprise peut être tout cela à la fois. Les films qui en parlent aussi.
Sorti depuis le 5 avril sur les écrans Corporate est une plongée glaçante et traumatisante dans les méandres du monde de l’entreprise, avec Lambert Wilson et Céline Salette. Sujet souvent traité au cinéma, le monde du travail est en grande majorité abordé sous l’angle du social : Ma petite entreprise, Ressources humaines, Violence des échanges en milieu tempéré, La Loi du marché, Deux jours une nuit.. Pourtant, il existe toute une catégorie de films qui choisissent un ton différent pour aborder le sujet : satire grinçante, thriller étouffant ou comédie perchée.. Petite revue rapide de trois films originaux et réussis en la matière.
99 Francs, de Jan Kounen
En 1997, Jan Kounen fait une entrée fracassante dans le monde du cinéma avec le doigt d’honneur Dobermann, film complètement barré et violent dont le personnage central, incarné par Vincent Cassel, boit, se drogue, et baise comme il l’entend. Dix ans plus tard, le réalisateur revient avec 99 Francs, film complètement barré et psychédélique, dont le personnage central, incarné par Jean Dujardin, boit, se drogue et baise comme il l’entend.
Adaptation du roman éponyme de Frederic Beigbeder (paru en 2000), autobiographie assez fidèle de l’expérience de l’auteur dans le monde de la publicité, 99 Francs se moque de la société de consommation, en parlant de ceux qui en font la promotion au grand public. Cyniques, cokés jusqu’aux cheveux, lubriques, mais aussi intelligents, sensibles, doués et victimes d’une industrie de la publicité qui ne croit ni en ce qu’elle vend, ni en ceux à qui elle s’adresse, les protagonistes du film sont hauts en couleur.
Pour le rôle principal, Jean Dujardin, à l’époque roi de la comédie naïve et légère, et qui ici prend des risques en jouant un enfoiré de première à qui l’on a envie de mettre des baffes à chaque seconde qui passe. Son tour de force est de nous rendre son personnage, Octave Parango, presque attachant dans la seconde moitié du film. Autour de l’acteur, un casting de seconds rôles de luxe : la sulfureuse Vahina Giocante, la belle Elisa Tovati, le trop rare Patrick Mille (aujourd’hui réalisateur) et le très (très) regretté Jocelyn Quivrin, disparu en 2011. Véritable festival visuel, le film oscille entre satire acide et comédie déjantée, et connaîtra un solide succès critique, un moindre succès public, avec 1,2 millions de spectateurs. Frédéric Beigbeder deviendra par la suite réalisateur, et dirigera la suie de 99 Francs en 2016, une adaptation de son livre Au Secours Pardon, appelé L’idéal, avec Gaspard Proust dans le rôle-titre.
A lire aussi : 3 films de genre français à (re) regarder de toute urgence
Le Couperet, de Costa-Gavras
En 2005, le cinéaste Costa-Gavras s’attaque à la violence du monde du travail. Dans une « social-fiction », un quadragénaire au chômage depuis 3 ans désespère et finit par assassiner un à un les candidats à un poste pour lequel il espère être embauché. Après la dictature (Z, 1968) les totalitarismes soviétiques (L’Aveu, 1970) et nazis (Music Box, 1989), le racisme dans l’Amérique profonde (La Main Droite du Diable, 1989) ou encore le rôle de l’Église pendant la Seconde Guerre mondiale (Amen, 2002), et avant le capitalisme forcené (Le Capital, 2012) le réalisateur dénonce une autre forme de violence, celle qui écrase l’individu par la place centrale que prend le travail dans la représentation sociale.
Dans le rôle de Bruno Davert, chômeur à la dérive, un très impressionnant José Garcia (qui gagnera une nomination au César du Meilleur Acteur dans la foulée), loin de ses rôles de trublions habituels. Face à lui, Karin Viard en épouse dévouée, et les Rolls Royce Olivier Gourmet et Yolande Moreau. Thriller glaçant, car au final, pas si loin de la réalité, le Couperet annonce, avec 3 ans d’avance, les dégâts incommensurables que la crise économique fera au marché du travail, et par extension à ses éléments les moins capables de s’adapter. A l’origine livre du prolifique auteur Donald Westlake (à qui l’on devait déjà les romans originaux des adaptations cinéma Le Point de Non-Retour par John Boorman et Payback avec Mel Gibson), Le Couperet démontre dans le sang l’impasse dans laquelle notre système économique peut se trouver. Puissant.
A lire aussi : Coup de Projo… sur des films politiques français
La personne aux deux personnes, de Nicolas et Bruno
Esprits éclectiques à l’humour décapant, Nicolas et Bruno se font connaître entre 1997 et 2000 avec deux formats courts diffusé pendant les dernières années de Nulle Part Ailleurs. Amour, gloire et débat d’idées est une parodie d’une télénovelas vénézuélienne passée à la moulinette de l’humour Canal, tandis que Message à caractère informatif est une pastille hilarante détournant des films d’entreprises tous plus ringards les uns que les autres, créant l’univers d’une entreprise fictive appelée la COGIP. Avec ça et l’adaptation pour la chaîne cryptée de la série culte The Office (Le Bureau en 2006, qu’ils écrivent et réalisent, avec François Berléand en place du Ricky Gervais de la série britannique originale), il semblait évident que le passage au long métrage allait se faire sur une pastiche du monde du travail (le duo est également derrière les scénarios de 99 Francs et de l’Idéal).
Ce sera l’inénarrable La Personne aux Deux Personnes, ovni sorti en 2008, sorte de version longue et originale de Message à caractère informatif doublée d’un scénario totalement WTF. Le pitch ? Gilles Gabriel, chanteur des 80’s en plein come-back, est tué dans un accident de voiture causé par Jean-Christian Ranu, comptable à la COGIP. Seulement, l’esprit du chanteur se réincarne dans le corps de l’employé à la vie réglée comme du papier à musique. La cohabitation de deux personnes aussi différentes dans une même corps ne sera pas de tout repos.
Alain Chabat (par ailleurs producteur du film via sa société Chez Wam), tout en nuque longue et gomina, incarne le chanteur ringard. Face à lui, l’immense Daniel Auteuil, qui rappelle qu’il a connu ses premiers succès dans des comédies (Les Sous-Doués et les Sous-Doués en Vacances), et qui se transforme en caricature d’employé modèle des années 70, se dévouant corps et âmes pour la COGIP. Autour d’eux, Marina Foïs en boss froide et frustrée, François Damiens, ou encore Joey Starr et Frederic Beigbeder.
Pour les fans de Message à caractère informatif, de l’humour Canal et d’Alain Chabat, le film est une pépite. Montrant un monde de l’entreprise complètement ubuesque, il n’en est pas moins juste quand il décrit les mécanismes de domination qui s’y exercent. Avec son humour complètement décalé, une esthétique 70’s et 80’s en avance sur son temps, et un scénario qui ne fait pas dans la demi-mesure, le film sera une catastrophe publique (à peine 200 000 spectateurs). Il n’en reste pas moins pour beaucoup un film unique en son genre, traitant avec un style débordant de liberté et d’intelligence de l’absurdité du fonctionnement des grandes entreprises. Culte.