Si l’association des mots série et Woody Allen fait rêver sur le papier, Crisis in Six scenes n’est malheureusement pas à la hauteur des attentes.
C’est quoi, Crisis in Six scenes ? A la fin des années 1960 à New York, Sidney J Munsinger (Woody Allen) est un écrivaillon frustré qui mène une petite vie tranquille avec sa femme Kay (Elaine May), thérapeute de couple. C’est alors que surgit Lennie Dale (Miley Cyrus), jeune activiste radicale opposée à la guerre du Vietnam, recherchée par le FBI. Kay, qui l’a connue lorsqu’elle était enfant, s’enthousiasme pour le militantisme de la jeune femme et décide de l’héberger et de l’aider à se cacher. Ce n’est pas du tout du goût de son mari, paniqué à l’idée d’être arrêté pour avoir aidé une fugitive… [youtube id= »bd67q2gRDcg »]
Cinéaste prolifique, Woody Allen est sans conteste un réalisateur-culte. Sa filmographie nous a habitués au meilleur (Manhattan, Annie Hall, Match Point ou Café Society) comme au pire (Celebrity, Scoop, La Malédiction du scorpion de Jade), mais il possède indéniablement, un ton et un regard particuliers qui ne laissent pas indifférent : en général, on adore ou on déteste, sans demi-mesure.
Comme le dit bien son titre, Crisis in Six Scenes est composée de 6 épisodes, de 22 minutes environ. Dès les premières images, on retrouve tout ce qui fait la patte de son auteur : bande-son jazzy, environnement new-yorkais, dialogues aux punch-lines irrésistibles, circonvolutions verbales, humour teinté d’ironie, situations absurdes, personnages féminins forts et personnages masculins névrosés, angoisses existentielles, autodérision, image dominée par des couleurs sombres… Aucune surprise de ce côté-là : on voulait du Woody Allen, on est servi.
Et pourtant, même ses plus fervents partisans devront en convenir : il y a quelque chose qui ne fonctionne pas dans Crisis in six scenes. On dit souvent de certaines séries qu’elles donnent l’impression d’un film découpé en épisodes : ici, la comparaison est à prendre au pied de la lettre. De l’aveu même de Woody Allen, Crisis a été pensée comme un film en 6 parties. C’est justement le nœud du problème : le réalisateur s’en est tenu à cette conception, négligeant de revoir la structure de son œuvre pour l’adapter au format télévisé. Or, les contraintes ne sont pas les mêmes, tant en terme de rythme que de construction.
Crisis in six scenes est remplie de bonnes idées. Il y a des fulgurances dans les dialogues (les séances de thérapie menées par Kay sont formidables – avec en bonus un guest français inattendu…), et une autodérision délicieuse. Certains passages sont hilarants : lorsque le réalisateur se lâche – notamment dans le dernier épisode – les scènes d’hystérie collective frôlent le génie… Mais sur d’autres points, ce qui pourrait marcher dans le cadre d’un long-métrage plombe la série. Le rythme, par exemple : pour le format, les séquences sont trop longues, remplies de conversation redondantes qui entravent la narration et l’enchaînement des scènes. La musique ne s’intègre pas au récit, elle est posée sans nuance et sert seulement de transition, comme dans une sitcom des années 1980. Les épisodes eux-mêmes n’ont pas de réelle conclusion, l’action est simplement laissée en suspens. L’interprétation, assez moyenne, n’arrange rien.
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Le plus ironique, c’est que Woody Allen souligne lui-même le peu d’illusions qu’il nourrit quant à Crisis : lorsque son personnage explique à son coiffeur qu’il envisage d’écrire une série télé, celui-ci lui rétorque « Oh je vois, l’histoire habituelle de la famille dysfonctionnelle, avec une épouse cynique et des enfants insolents qui harcèlent le mari. Ce genre de trucs. Vous avez raison : faites ce qui marche, tenez-vous en aux clichés. » C’en est presque vexant dans la façon dont l’échange illustre le peu de considération que le réalisateur accorde aux séries télévisées et le mépris dans lequel il tient les téléspectateurs. On en vient vraiment à se demander pour quelle raison il s’est fourvoyé dans un exercice qui, de toute évidence, n’avait pas grand intérêt à ses yeux.
Le scénario en lui-même n’est pas follement original : ce n’est jamais qu’une variation sur le thème du personnage marginal qui vient bouleverser le quotidien petit-bourgeois du héros. Malgré tout, il aurait pu faire merveille, en particulier avec un personnage tel que celui incarné par Woody Allen, taillé pour la comédie : écrivain raté que même ses rares admirateurs croient mort, c’est un type complètement névrosé et réactionnaire dont les convictions sont mises à mal par la jeune activiste, et qui se trouve alors en porte-à-faux vis-à-vis de ses proches, enthousiasmés par le vent de rébellion qu’elle fait souffler sur leur petit univers étriqué. On pouvait espérer qu’un tel scénario se doublerait d’une peinture de l’époque à la Mad Men, avec un héros de la vieille école confronté à l’irruption de la société moderne dans son existence. Mais là encore, Crisis in six scenes passe à côté et se borne à enchaîner paresseusement quelques péripéties – parce qu’il faut bien faire progresser l’histoire…
Au final, les choses sont claires : Woody Allen ne regarde pas la télévision. Ou, du moins, il ne regarde pas de séries télévisées. Et c’est bien dommage, autant pour lui que pour son public. Y aurait-il consacré un minimum d’attention, il aurait saisi les opportunités qui s’offraient à lui. En particulier dans le format de la sitcom, susceptible de dynamiser l’ensemble pour lui donner un rythme cruellement absent. En repensant la construction de son scénario, Woody Allen aurait pu faire d’un film raté une série réussie. Crisis in Six Scenes reste une comédie sympathique, mais sans grande portée. Le résultat est surtout extrêmement frustrant. Et après Vinyl, il prouve une fois encore qu’un grand réalisateur de cinéma n’est pas forcément un grand réalisateur de série…
Crisis in Six Scenes (Amazon) – 6 épisodes de 22 minutes environ.
Crédit photos : Amazon