Feud explore la rivalité entre Bette Davis et Joan Crawford, dans un Hollywood où le spectre de l’âge est implacable envers les actrices…
C’est quoi, Feud ? L’actrice Joan Crawford (Jessica Lange) traverse une mauvaise passe : ruinée, isolée dans sa somptueuse propriété de Los Angeles, elle subit, impuissante, le déclin de sa carrière. L’ancienne légende n’est plus de première jeunesse, et les rares rôles qu’on lui propose ne l’intéressent pas. Elle décide alors de se créer un rôle sur mesure, en adaptant au cinéma le thriller psychologique “Qu’est-il arrive à Baby Jane ?” Pour lui donner la réplique, son choix se porte sur Bette Davis (Susan Sarandon). Le film se met progressivement en place, mais la rivalité entre les deux actrices menace d’exploser à tout moment et de faire du tournage un cauchemar…
Il y eut un temps où les Reines d’Hollywood, nimbées d’un halo de mystère et de glamour, avaient quelque chose d’inaccessible. Pour les nostalgiques de cet âge d’or du cinéma, les stars actuelles sont dépourvues de cette aura ; les légendes ont disparu. Feud exhume le tournage du film Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? (1962) pour exposer la rivalité intense qui opposa deux icônes de ce cinéma d’antan : Joan Crawford et Bette Davis. Deux mythes, deux déesses du grand écran qui consommaient chacune deux paquets de cigarettes et deux litres de whisky par jour. Deux égos surdimensionnés à la carrière impressionnante, luttant contre l’oubli auquel les condamnait leur âge dans un monde d’apparence. Deux femmes fortes et déterminées, dont l’affrontement orchestré par les studios était d’autant plus inévitable qu’elles avaient trop en commun pour ne pas se détester.
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Le pilote entre directement dans le vif du sujet, avec deux actrices témoignant pour un documentaire dans les années 1970. Kathy Bates et Catherine Zeta-Jones incarnent respectivement Olivia de Havilland et Joan Blondell, autres stars interviewées sur la rivalité entre les deux vedettes de Baby Jane. Elles nous préviennent d’emblée : l’inimitié entre Davis et Crawford atteignit des « proportions bibliques ». C’est à partir de cette déclaration que Feud met en place ses deux héroïnes et les transporte sur le tournage du film qui va marquer l’acmé de leur rivalité. Avec pour décor un Hollywood classique de carte postale : mise en scène, esthétique, lumière, photographie, costumes, maquillage et musique sont autant d’éléments d’une finesse exquise qui immergent immédiatement le spectateur dans une ambiance glamour et délicieusement rétro. Sans oublier le générique, sublime.
Feud est une série de Ryan Murphy, showrunner prolifique à qui l’on doit plusieurs séries marquantes de ces dernières années comme Nip / Tuck ou l’anthologie horrifique American Horror Story. Ces deux séries ont maintes fois mis en avant le principal défaut de leur créateur : une tendance à l’outrance et à la confusion. Elles finissaient par se perdre dans des intrigues hétéroclites, des rebondissements improbables et une surenchère indigeste. Mais Murphy semble toutefois s’être amendé, notamment dans sa série American Crime Story, centrée sur l’affaire OJ Simpson. Dans ce cas précis, il s’est appuyé sur un scénario déjà écrit, une histoire documentée et un cadre déterminé, qui l’ont sans doute détourné de ses excès. Par chance, Feud semble prendre le même chemin et, pour l’instant, son intérêt ne repose pas sur des cliffhangers de folie, des crêpages de chignons hystériques ou du racolage facile, mais sur la tension croissante entre les deux héroïnes dans une atmosphère de manipulations sournoises. Ce dernier aspect est particulièrement mis en avant dans le deuxième épisode, Jack Warner (Stanley Tucci) et le réalisateur Robert Aldrich (Alfred Molina) envenimant les rapports déjà tendus entre les deux femmes et jouant sur leurs égos fragiles à des fins publicitaires.
Mais l’esthétique impeccable et un scénario maîtrisé ne seraient rien sans l’interprétation phénoménale de Jessica Lange et Susan Sarandon, deux actrices tellement convaincantes que dans certaines scènes, on a du mal à les distinguer de leurs modèles… La première est sidérante de justesse dans la peau d’une Joan Crawford amère et détruite, la seconde est au moins aussi spectaculaire dans le rôle d’une Bette Davis aussi acerbe et insolente que l’originale. Elle est totalement stupéfiante dans une des meilleures scènes du pilote : celle où Davis, acclamée, casse son image en se grimant de façon grotesque pour son rôle. Cette petite séquence traduit peut-être à elle-seule tout le propos de Feud : une actrice, sous le feu des projecteurs, qui fait un bras d’honneur à Hollywood.
Car au fond, tel est le vrai sujet de Feud : deux actrices méprisées qui tentent désespérément de renouer avec la gloire, dans une industrie cruelle et sexiste qui n’accepte pas de voir vieillir ses stars. Un thème traité avec d’autant plus de finesse que la série ne cesse de jouer sur la mise en abîme. D’abord parce que Feud répond à Baby Jane, dont elle retrace le tournage : c’est la tragédie de deux femmes au bord de la folie, victimes de leur soif de reconnaissance et d’amour. Mais aussi et peut-être surtout parce que deux actrices emblématiques de 67 et 70 ans incarnent deux actrices emblématiques matures, qui s’accrochaient pour poursuivre leur carrière dans une industrie dominée par la testostérone. Et un demi-siècle plus tard, le sujet est encore d’actualité puisque de nombreuses actrices affirment avoir été écartées d’un rôle en raison de leur âge…
Avec style et finesse, Feud retrace la rivalité entre les actrices Bette Davis et Joan Crawford. Mais plus encore, la série est un grand cri d’amour et une prise de position en faveur des grandes actrices, malmenées par une industrie qui les méprise et les jette au rebut dès les premières rides. De l’interprétation à la réalisation en passant par l’esthétique, la construction du scénario ou la subtilité du sous-texte, la série fait jusqu’ici un sans-faute. Déjà renouvelée pour une saison 2 (consacrée au mariage de Charles et Lady Di…), Feud s’annonce comme une des grandes séries de l’année.
Feud – FX.
8 épisodes de 55’ environ