Toujours passionnante, la saison 3 de Gomorra rebat les cartes et renouvelle les enjeux en explorant un contexte plus riche et en introduisant de nouveaux personnages. Et en sacrifiant un de ses héros…
C’est quoi, Gomorra (saison 3) ? Un an après le final de la saison précédente, Genny Savastano (Salvatore Esposito) s’est installé à Rome d’où il gère ses affaires napolitaines. De son côté, Ciro (Marco d’Amore) s’est réfugié en Bulgarie où il travaille avec un boss local. Mais menacés par d’anciens partenaires et de jeunes mafieux ambitieux, les deux hommes vont à nouveau s’allier : réunis par les circonstances et leurs intérêts respectifs, Genny et Ciro sont déterminés à reconquérir Naples. Ils ne mesurent pas encore l’engrenage dans lequel ils s’engagent, ni les conséquences dramatiques qui vont en résulter…
Adaptation du best-seller de Roberto Saviano, Gomorra est un véritable phénomène en Italie, où elle bat des records d’audience (plus d’un million de spectateurs pour le premier épisode de la saison 3) et engendre accessoirement des polémiques récurrentes, en raison de l’image trop positive qu’elle donnerait de la Camorra. Au-delà des controverses, Gomorra s’est aussi imposée à l’international et la saison 3, diffusée sur Canal Plus, est largement à la hauteur des deux précédentes.
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Alerte : spoilers ! Il est en effet impossible de parler de cette saison 3 sans en révéler des éléments-clés: l’argument central commence après une ellipse d’un an, dans le deuxième épisode, tandis que le premier fait office de transition et conclut l’intrigue en suspens. A savoir, la mort de Pietro Savastano, abattu par Ciro, avec d’une part l’enterrement du Parrain au cours d’une procession kitschissime, et d’autre part la vendetta initiée par ses sbires. Ce qu’ils ignorent, c’est que Genny a armé le bras de Ciro ; après avoir l’aidé à s’enfuir, Genny réunit les familles mafieuses de Naples pour négocier un accord et éviter une guerre de succession.
Un an plus tard, tout en gardant la main-mise sur Naples, Genny s’est installé à Rome avec sa femme et son fils ; Ciro s’est réfugié en Bulgarie, où il organise le trafic de drogues et d’êtres humains pour un boss local. Mais la position des deux hommes est instable : Genny se méfie de la montée en puissance des autres clans et craint des représailles de son beau-père, Don Giuseppe (Gianfranco Gallo), qu’il a contribué à faire arrêter ; Ciro est confronté à de petits malfrats italiens et à leur leader Sangue Blu (Arturo Muselli), qui empiètent sur ses affaires. Lorsque Don Giuseppe est libéré, il compte bien se venger : il extermine le clan des Savastano et enlève sa fille et son petit-fils. Pour les sauver, Genny rentre à Naples et sollicite l’aide de Ciro. Les deux hommes concluent alors un pacte : ils vont éliminer leurs ennemis respectifs et reconquérir la ville. Mais ils n’en sortiront pas indemnes…
Plus que jamais, Gomorra s’appuie sur la dynamique complexe entre Genny et Ciro (magnifiquement interprétés par Salvatore Esposito et Marco d’Amore), dont le caractère s’affine par petites touches. Objet de toutes les polémiques, la force de Gomorra tient entre autres à la manière dont elle a humanisé ces deux personnages, au point de les rendre émouvants. Ils ont pourtant bien changé : désormais, ce sont eux, la vieille garde menacée par les jeunes criminels. En succédant à son père, Genny a mûri, mais il reste incapable de s’imposer sans un soutien extérieur. Quant à Ciro, il poursuit sa descente aux enfers : celui que l’on surnomme l’Immortel ne fait que survivre, pétri de culpabilité après la mort de sa fille, en quête d’une rédemption impossible.
En arrière-plan, certains personnages gagnent en importance – comme Don Giuseppe ou Scianel (Cristina Donadio) et Patrizia, femmes en quête d’indépendance. Apparaissent aussi de nouveaux protagonistes, en particulier Sangue Blu. Ce petit malfrat qui tente de se faire une place dans la criminalité napolitaine manque un peu de charisme ; jeune chien fou violent et imprévisible, il reste un ennemi d’autant plus redoutable qu’il tire vite les leçons de ses erreurs…
Cruelle et réaliste, Gomorra explore en outre d’autres versants de la Camorra, plus dérangeants que le trafic de drogues sur lequel elle s’était focalisée jusque-là : réfugiés jetés comme des ballots de linge sale à l’arrière des camions ; filles battues et forcées de se prostituer ; maltraitance d’enfants ou de personnes âgées victimes collatérales des guerres entre mafieux. Dans ce contexte encore plus sombre, les ressorts du récit restent les mêmes: le récit dense, violent et sans concession se poursuit, haletant, au gré des alliances et des trahisons, des fusillades, règlements de compte et exécutions barbares. L’une des forces du scénario tient à la manière dont les rebondissements surviennent de manière brutale et inattendue alors que, rétrospectivement, ils apparaissent comme la suite logique des événements. C’est le cas du final de cette saison : choquante, la scène est pourtant la seule conclusion possible à la spirale dans laquelle ont été emportés les protagonistes.
Totalement maîtrisée, dans un crescendo irrésistible, la narration s’appuie en outre sur une réalisation fantastique. Photographie sombre,couleurs éteintes ou vibrantes, musique atonale, dynamisme des scènes d’action ou au contraire plans fixes créant presque des tableaux maniéristes, dialogues intensifiés par l’alternance des gros plans, séquences paisibles pourtant chargées de tension car inévitablement suivies de scènes-choc comme le calme avant la tempête… Une dimension qui a toujours été l’un des points forts de Gomorra, et qui crée toute une atmosphère en parfaite adéquation avec le monde violent qu’elle dépeint.
Impressionnante de maîtrise, la saison 3 de Gomorra est un petit bijou, un drame mafieux aux accents Shakespearien qui ne cesse d’impressionner par la qualité de l’écriture, la réalisation et l’interprétation. Jusqu’à un final dévastateur, qui clôt indéniablement un chapitre. C’est d’ailleurs la grande question que pose la dernière scène : Gomorra surmontera-t-elle la disparition d’un personnage aussi emblématique ? Guagliò, stà senza penzier! On fait confiance à la série, qui n’a jamais déçu jusqu’ici.
Gomorra – Saison 3
12 épisodes de 50′ environ
A partir du 15 Février sur Canal Plus