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On a (re)vu pour vous : True Detective (Saison 2 – HBO)

Après une première saison unanimement acclamée, la saison 2 de True Detective a déçu. A l’occasion de sa diffusion sur Canal Plus, retour sur les raisons d’un échec.

Immense succès, la première saison de True Detective avait séduit le public et la critique. Un superbe casting, une écriture ciselée, une mise en scène audacieuse avaient converti la série de Nic Pizzolatto en phénomène de l’année 2014. Dans ces conditions, la saison 2 était attendue avec impatience. Elle a pourtant été fraîchement accueillie : très critiquée et boudée par le public, son échec a même tué dans l’œuf une suite éventuelle. Pourquoi un tel échec ? Quelles erreurs ont été commises ? Est-ce vraiment le naufrage unanimement dénoncé ?

C’est quoi, True Detective (Saison 2) ? Gérant municipal de la petite ville industrielle de Vinci, en Californie, Ben Caspere est retrouvé mort, assassiné alors qu’il s’apprêtait à inaugurer une ligne de chemin de fer à grande vitesse. Cela n’arrange pas les affaires de Frank Semyon (Vince Vaughn), un escroc qui comptait sur le chantier pour sortir de la criminalité… Pour résoudre l’affaire, une unité spéciale est mise sur pied : l’enquête est confiée à Woodrugh (Taylor Kitsch), agent impliqué dans un scandale sexuel et qui a découvert le cadavre ; Ray Velcoro (Colin Farrell), un policier corrompu de mèche avec Semyon ; et Antigone Bezzerides (Rachel McAdams),  du bureau du shérif du comté, hantée par un passé douloureux. L’investigation s’annonce complexe, et elle va mettre au jour la corruption politique et les malversations mafieuses qui gangrènent la ville de Vinci. 

Il existe en vérité de nombreuses différences entre les deux saisons de True Detective, en partie imputables au caractère anthologique de la série ; mais elles présentent aussi plusieurs similitudes. Sur le plan artistique et du point de vue de la réalisation, il n’y a rien à redire : on a largement souligné les qualités de la première saison, et la suite s’inscrit dans la même lignée. Le soin apporté aux détails, la profondeur de l’image, le travail remarquable effectué sur la photographie font de True Detective une série de haute volée, maîtrisée dans tous les aspects visuels. Les premiers plans sont extrêmement léchés, les vues panoramiques superbement filmées donnent de l’ampleur au décor, l’image possède une texture et une épaisseur capables de créer une atmosphère particulière et immersive.  Le cadre n’est cependant pas le même : on a quitté les marais humides et glauques de la Louisiane pour le soleil sec d’une Californie urbaine et poussiéreuse. Une atmosphère qui se traduit à l’écran par le jeu des couleurs, moins froides, où domine le jaune.

La première saison avait notamment marqué les esprits grâce à une scène spectaculaire et hallucinante (épisode 4) : un plan-séquence de 6 minutes, sans interruption, montrant une fusillade au cours duquel  un Rust Cohle (Matthew McConaughey) totalement défoncé prend d’assaut la planque de malfrats, tandis que son coéquipier (Woody Harrelson) déboule en voiture pour venir à son secours. La saison 2 n’est pas en reste, cette fois avec une séquence désignée sous le nom de « massacre de Vinci » : une scène de 9 minutes divisée en trois actes, qui illustre une violente fusillade entre forces de l’ordre et trafiquants de drogue. Sans doute moins originale car moins esthétisée, cette séquence immersive et réaliste n’en est pas moins efficace : filmée avec maestria, elle renvoie aux plus grands films de genre. Et que dire du final, succession de rebondissements où l’action le dispute à l’émotion dans un registre onirique, cette fois totalement inédit pour True Detective ? Si elle ne bénéficie pas du même effet de surprise, True Detective saison 2 maintient donc un niveau de qualité technique stupéfiant, réinventant les classiques du cinéma pour les adapter au format télévisé. La saison 2 est peut-être même supérieure sur ce plan : la précédente donnait parfois la sensation de regarder un long film découpé en épisodes, tandis que celle-ci respecte davantage la structure sérielle. 

Autre point fort de True Detective saison 1 : deux héros marquants, bien écrits et remarquablement interprétés. Woody Harrelson est formidable, et sa prestation est d’autant plus à saluer qu’il a su trouver la sobriété et la juste mesure pour incarner Hart, un personnage plus réaliste et moins charismatique que celui dévolu à Matthew McConaughey. C’est toutefois ce dernier qui a produit la plus forte impression, en tirant le meilleur du personnage de Rust Cohle, flic marginal désenchanté, magnétique et fascinant au point qu’un seul épisode a suffi à l’élever au rang des grands héros de séries télévisées.

Difficile de soutenir la comparaison avec ce duo magistral ; True Detective saison 2 s’en tire pourtant avec les honneurs. S’ils n’arrivent pas à la cheville de Cohle, les héros sont pourtant solidement construits et au moins aussi complexes, en dépit de quelques traits un peu trop convenus. Les acteurs sont, là encore, excellents : on n’en attendait pas moins de Colin Farrell dans le rôle de Velcoro, et Rachel McAdams et Taylor Kitsch (respectivement dans la peau de Bezzerides et Woodrugh) ne déméritent pas. Mais la vraie surprise vient sans doute de Vince Vaughn, qui s’était éloigné du registre dramatique pour s’enferrer dans des comédies loufoques, et qui prouve ainsi qu’il a les épaules pour porter un personnage dramatique avec une intensité inattendue. Chaque acteur apporte une épaisseur à son personnage, s’appropriant avec aisance toutes ses failles et ses faiblesses. Parce qu’il faut bien reconnaître que les héros de la saison 2 sont aussi perturbés que leurs prédécesseurs : Velcoro est hanté par un meurtre commis des années plus tôt et par sa relation ambiguë avec son fils ; Woodrugh se perd dans des liaisons qui lui servent à enfouir son homosexualité refoulée ; Bezzerides a un problème avec la sexualité en général, suite à un traumatisme d’enfance ; et Seymons est rattrapé par son passé de mafieux, en dépit de toutes ses tentatives pour se racheter une conduite.  Et encore, on vous la fait courte…

Réalisation somptueuse, personnages solides, casting à la hauteur, intrigue riche… Et pourtant, malgré tous ces atouts, quelque chose n’a pas fonctionné dans cette saison 2. La belle machine s’est grippée, perdant en route des spectateurs conquis par la première saison. Que s’est-il passé ? A posteriori, c’est en fait la construction du récit en elle-même qui est en cause.

Dans les deux cas, la narration est complexe et entremêle plusieurs récits. La saison 1 se présente en fait comme un long flashback : de nos jours, Cohle et Hart sont interrogés par les affaires internes sur l’enquête qu’ils ont menée des années auparavant. Le récit se déploie donc sur 4 lignes distinctes – les versions de Cohle et Hart, dans le passé et dans le présent. Le procédé maintient le suspense en soulevant de nombreuses interrogations : pourquoi les deux témoignages sont-ils différents ? Quel est l’objet de l’enquête des affaires internes ? Et bien sûr, qui est le tueur qu’ont traqué les deux inspecteurs, et ont-ils seulement résolu l’affaire ? Le récit égare volontairement le spectateur tout en gardant une cohérence de fond. Les épisodes et les points de vue se mélangent avec fluidité, pour aboutir à une conclusion satisfaisante, bien qu’elle laisse à dessein quelques zones d’ombre.

La saison 2, en revanche, se concentre sur une seule ligne temporelle – le présent – mais expose quatre perspectives : celles de Woodrugh, Semyon, Bezzerides et Velcoro. Cette fois, il ne s’agit pas de versions différentes des mêmes évènements, mais d’axes narratifs parallèles, centré sur les histoires personnelles des protagonistes. Et voilà justement le problème : l’absence de convergence. Les deux récits de la saison 1, pourtant souvent contradictoires, ne cessaient de se rejoindre et de se croiser parce que les héros se focalisaient sur l’affaire, leurs drames personnels ne servant que de toile de fond. Ici, les quatre personnages sont focalisés sur leurs problèmes personnels et l’affaire criminelle – qui devrait tenir lieu d’intrigue centrale reliant entre eux tous les points – passe au second plan. Elle n’émerge que ponctuellement et ne prend toute son ampleur qu’en fin de saison. Sans point de jonction concret, les multiples trames risquent alors de perdre le spectateur, déstabilisé par l’absence de colonne vertébrale, d’un tronc solide auquel toutes les ramifications finiraient par se rattacher. C’est sur ce point précis que True Detective, malgré d’évidentes qualités, perd objectivement de sa force et égare quiconque s’attendait à une simple variation sur la première histoire.

Boudée par le public, attaquée voire lynchée par la critique, la saison 2 de True Detective est certes en-dessous de la première. Les faiblesses structurelles du récit finissent par perdre le public et mettent au jour une écriture trop diluée. Pour autant, elle ne méritait pas une telle sévérité : petit bijou esthétique, complexe et exigeante, True Detective saison 2 reste un excellent thriller, nettement supérieur à bien des séries policières moins ambitieuses et plus convenues. Encore marqués par l’exceptionnelle qualité de la saison 1, les fans en attendaient sans doute un peu trop. Oubliez Cohle, oubliez Hart : laissez une nouvelle chance à True Detective. Elle le mérite largement.

True Detective Saison 2à partir du 5 Octobre sur Canal Plus Séries

Crédit photos : HBO

About author

Traductrice et chroniqueuse, fille spirituelle de Tony Soprano et de Gemma Teller, Fanny Lombard Allegra a développé une addiction quasi-pathologique aux séries. Maîtrisant le maniement du glaive (grâce à Rome), capable de diagnostiquer un lupus (merci Dr House) et de combattre toutes les créatures surnaturelles (vive les frères Winchester), elle n'a toujours rien compris à la fin de Lost et souffre d'un syndrome de stress post-Breaking Bad
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