L’écrivain Bret Easton Ellis développe son univers et ses obsessions dans une série atypique, sur la forme comme sur le fond.
C’est quoi, The Deleted (par Bret Easton Ellis) ? Trois jeunes gens apparemment sans aucun lien entre eux, ont mystérieusement disparu à Los Angeles. L’évènement affecte directement un petit groupe : drogués, accro au sexe et à leurs téléphones portables, ces jeunes adultes au physique parfait sombrent peu à peu dans la paranoïa. Ayant fui une mystérieuse secte, fragilisés par les expériences troubles qu’ils ont vécus, ils sont rattrapés par leur ancien leader Logan, dont ils cherchent à se libérer – physiquement et psychologiquement…
The Deleted est une série lancée par Firstscreen, plateforme qui propose ses programmes sur divers réseaux digitaux, au premier rang desquels figure YouTube. En s’associant à Bret Easton Ellis, écrivain renommé et sulfureux à qui l’on doit notamment les romans American Psycho ou Moins que zéro, Firstscreen s’offre un joli coup de pub, mais démontre également que les plateformes comme Amazon ou Netflix ne sont plus les seules susceptibles d’attirer à elles les noms prestigieux. Et The Deleted, pour le meilleur ou pour le pire, prouve également que les créateurs peuvent mettre à profit ce mode de diffusion pour repousser les limites d’une éventuelle censure, sans se soucier des classifications de contenu.
Cela, Ellis l’a bien compris. Fer de lance de la Génération X, il met en scène dans ses romans des jeunes urbains matérialistes, dépravés et vaniteux, mais conscients de l’être et assumant totalement leurs déviances et leurs travers. Critique envers une société dont il dénonce le mercantilisme et les obsessions malsaines, Ellis navigue entre anticipation sociale, dystopie pessimiste et cynisme, sur fond de drogue, sexe, cupidité et vacuité d’un certain idéal social. Des éléments caractéristiques qu’il a parfaitement transposés à l’écran, donnant peu ou prou la même chose à ses spectateurs qu’à ses lecteurs. En l’occurrence, du sexe, de la drogue, des scarifications et une secte obscure probablement teintée d’eugénisme, cherchant à engendrer des êtres supérieurement beaux, ou bien une communauté basant son culte sur l’acte sexuel. (ou les deux : après avoir vu 5 épisodes, on n’est toujours pas sûr…).
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Si la qualité d’une série se mesurait au nombre de paires de fesses et de coïts montrés à l’écran, The Deleted ferait sans aucun doute partie du top 5. Pas un seul épisode sans scène de sexe – hétéro, gay ou lesbien ; à deux ou plus si affinités. Les personnages de The Deleted – tous des mannequins en puissance – passent le plus clair de leur temps à moitié nus, alanguis dans les décors épurés de lofts minimalistes sur les hauteurs de Los Angeles, où ils se droguent, envoient des textos et couchent ensemble. On serait toutefois plus dans l’érotisme que dans la pornographie, les séquences restant très esthétiques bien que sans ambiguïté ; mais justement, l’acte sexuel est filmé de telle manière qu’il apparaît presque comme mécanique, dénué de sensualité et même de provocation. La répétition engendre une certaine monotonie, voire une tristesse, dans cette succession de coïts systématiques et vides de sens. Seul se détache le personnage de Breeda, interprétée par la sculpturale ex-playmate Amanda Cerny : contrairement aux autres, incapables de freiner leur appétit sexuel machinal, elle assume ses désirs avec volupté. Mais The Deleted reste pourtant moins sulfureuse qu’il n’y paraît : elle fera peut-être parler en raison de ses scènes de sexe, mais celles-ci sont justifiées dans la mesure où elles jouent un rôle central dans l’histoire.
L’histoire, justement, est donc celle d’un groupe de jeunes gens qui ont fui « l’Institut », sorte de secte dirigée par un dénommé Logan, qui semble être directement à l’origine de leur besoin quasi-animal de sexe, et de leur addiction à la drogue. Avec la disparition de plusieurs de leurs anciens camarades, leur peur et leur paranoïa s’accroissent, d’autant qu’ils semblent démunis puisque leur plan consiste uniquement à se cacher, tout en évitant de communiquer par téléphone portable…
L’intrigue tient en ces quelques lignes, elle ne se développe guère au fil des premiers épisodes. Dans d’autres circonstances, ce serait évidemment un défaut mais il est clair qu’ici, les rebondissements ne constituent pas le cœur de la série. Plus évocatrice et allusive que démonstrative, The Deleted instaure une ambiance très particulière. A la réalisation Ellis ne démérite pas : l’utilisation des gros plans, les mouvements constants de la caméra, la musique onirique, la lumière crue et la juxtaposition des séquences créent un univers surréaliste, presque fantasmagorique – à l’image du physique de ses protagonistes, tellement parfait qu’il en devient absurde. Contemplative, The Deleted est envoûtante… ou barbante et prétentieuse, selon qu’on adhère ou pas à ce parti pris.
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Dans le premier cas, The Deleted est vite captivante. Des épisodes d’à peine 12 ou 13 minutes lui permettent d’assumer son esthétisme excessif et sa lenteur, tout en distillant quelques indices et en apportant à chaque conclusion une nouvelle pièce du puzzle. Les questions sont nombreuses : qui est Logan ? Qu’est-ce que l’Institut ? Quelle est sa finalité ?
Le sous-texte, en revanche, est nettement plus facile à décrypter – notre obsession pour le sexe et la vacuité d’une société qui survalorise les critères physiques est évidente, et éminemment cohérente avec les thèmes récurrents dans l’œuvre de Bret Easton Ellis.
Du sexe ! De la drogue ! Une secte ! En théorie, Bret Easton Ellis a réuni dans The Deleted tous les ingrédients du scandale propres à attirer un public en mal de sensations fortes et adepte d’un certain voyeurisme. Ne vous y trompez pas : avec son cynisme habituel, c’est bien ce qu’il dénonce. Il faut voir la tristesse, la monotonie et l’ennui derrière la luxure et la dépravation, l’angoisse et l’insécurité de ces jeunes paumés. Avec une forme assumée mais qui ne fera pas l’unanimité, The Deleted a au moins le mérite de la cohérence et de l’originalité. Bret Easton Ellis est en tous cas fidèle à sa réputation : les fans de l’écrivain le suivront sans aucun doute ; ceux qui sont réfractaires à son œuvre auront plus de mal…
The Deleted – Firstscreen.
8 épisodes de 13’ environ