Série coup de poing, Ne dis rien est un récit passionnant et sans concession du conflit nord-irlandais s’étendant sur plusieurs décennies.
C’est quoi, Ne dis rien ?En 2001, Mackers (Seamus O’Hara) est un chercheur universitaire qui travaille sur le Belfast project, étude consacrée à la période dite des « Troubles » et à l’IRA. Il interroge plusieurs protagonistes de l’époque, en particulier Dolours Price (Hazel Doupe). Avec sa sœur Marian, elle a pris part aux événements auprès de l’Armée républicaine irlandaise. Des années 1970 jusqu’à nos jours, Dolours raconte son parcours, les actions auxquelles elle a participé sous le commandement de Gerry Adams (Josh Finan) et de son lieutenant Brendan Hughes (Anthony Boyle), le fonctionnement interne de l’IRA mais aussi ses regrets et son amertume.
C’est la période dite des « Troubles », à savoir la guerre ouverte qui opposa pendant plus de deux décennies l’IRA à l’armée britannique, qui est au cœur de Ne dis rien. Basée sur le best-seller du même titre, écrit par le journaliste Patrick Radden Keefe, la série disponible sur Disney+ raconte de manière rigoureuse et précise le parcours de plusieurs dirigeants de l’IRA et de certaines de ses victimes, tous ses protagonistes principaux ayant réellement existé. A travers eux et à travers les faits réels relatés, c’est une analyse brute des causes et des conséquences de cette période noire de l’Histoire britannique et irlandaise.
Un récit en flash-back pour raconter l’IRA
Ne dis rien commence en 1972, par une scène-choc : l’enlèvement de Joan McConville, une jeune veuve qui élève seule ses dix enfants et à qui on ne connaît aucune affiliation ou activité politique. Un soir, un groupe d’hommes cagoulés fait violemment irruption chez elle et la kidnappe, sous les yeux de sa famille. On ne la reverra jamais vivante. Cet événement servira de fil rouge à la série. L’histoire est alors structurée sous forme de flash-backs, à partir d’un long entretien que Dolours Price accorde, trente ans plus tard, à un chercheur du Boston College. Celui-ci explique travailler sur le projet Belfast, qui consiste à interroger des personnes impliquées des deux côtés du conflit, sous couvert de l’anonymat pour éviter toute représailles.
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Ne dis rien raconte alors le parcours de Dolours et de sa sœur Marian. Adolescentes,influencées par l’activisme politique de leur famille appartenant à l’IRA, elles ont participé à des marches de protestation, avant de se radicaliser face à la répression brutale des autorités britanniques. En 1971, elles rejoignent la branche de Belfast de l’IRA, recrutées par deux des dirigeants, Gerry Adams et Brendan Hughes. Au fil du temps, les missions confiées aux deux sœurs sont de plus en plus dangereuses et violentes – jusqu’à un attentat meurtrier et leur incarcération, dans des circonstances particulièrement éprouvantes. Dans le même temps, l’IRA devient de plus en plus impitoyable et paranoïaque, ses dirigeants étant obsédés par la recherche de « traîtres à la cause » et n’hésitant pas à exécuter sommairement n’importe qui au moindre soupçon.
La série est portée par un casting de haute volée, sans aucun acteur en demi-teinte. Toutefois, l’essentiel repose sur les épaules des actrices interprétant les sœurs Price. Dans les flash-backs, on retrouve Lola Petticrew (Dolours) et Hazel Doupe (Marian), toutes les deux sont absolument brillantes et capables de montrer toutes les nuances des héroïnes, de la détermination au doute en passant par la colère et le désespoir. Maxine Peake est exceptionnelle dans le rôle d’une Dolours adulte, tourmentée par les décisions qu’elle a prises dans le passé, rongée par les regrets et la culpabilité, et qui prend conscience que toute cette lutte a été infructueuse et vaine, vue avec du recul..
Une série qui accuse les responsables sans concession
La plus grande réussite de Ne dis rien, c’est la manière dont elle parvient à porter un regard sans concession et pourtant sans prendre parti. Elle montre les brutalités des deux côtés, ouvertement et sans rien faire pour préserver le spectateur ni orienter son opinion. L’IRA comme les autorités britanniques font preuve de violence voire de barbarie, dans une escalade effarante de cruauté et de brutalité ; tous les personnages ont toutefois une motivation et la certitude d’être du « bon côté » du conflit. Impossible de ne pas avoir de l’empathie pour Dolours, par exemple, notamment face au traitement qui lui est réservé en détention.
Violente et sans compromis, basée sur des événements et des personnages réels, Ne dis rien n’hésite pas à accuser et pointer du doigt ceux qu’elle estime responsables – dont Gerry Adams. Bien qu’on nous répète à la fin de chaque épisode que le futur leader du parti politique Sinn Fein ait toujours catégoriquement nié toute implication au sein ou aux côtés de l’IRA, la série affirme clairement le contraire. Elle le dépeint comme un cynique brutal et rusé, qui justifie toujours ses actes sans en assumer les conséquences, abandonnant et reniant les membres de l’organisation sous ses ordres.
Et au milieu, entre IRA et armée britannique, entre protestants et catholiques, la population est prise en otage dans cette guerre qui la dépasse. Sous le joug de ce Say nothing qui donne son titre à la série, injonction qui condamne à mort ceux qui la transgressent (ou sont soupçonnés de l’avoir fait). A l’instar de la fameuse Joan McConville, dont la disparition pèse toujours, en arrière-plan du récit.
Série éminemment politique, Ne dis rien est aussi un travail de mémoire nécessaire. Une analyse passionnante et éprouvante du conflit Nord irlandais, dont les conséquences se font encore sentir aujourd’hui et qui a laissé de nombreuses cicatrices et blessures. Et il faut du courage pour oser s’attaquer à un sujet aussi délicat de manière frontale. Avec intelligence et un sens aigu de la construction du récit, la série parvient non seulement à montrer la violence et la complexité du conflit, mais aussi à exposer les faits sans prendre parti, en laissant le spectateur tirer ses propres conclusions.
Ne dis rien
9 épisodes de 50′ environ
Disponible sur Disney+.