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On a vu pour vous… Patria, les plaies béantes du pays basque espagnol

La série espagnole Patria est une fresque puissante qui replonge dans les souffrances causées par le terrorisme de l’ETA.

C’est quoi, Patria ? Il y a des années que Bittori (Elena Irureta) a quitté son village du pays basque après l’assassinat de son mari Txato (José Ramón Soroiz), abattu par un membre de l’ETA. En 2011, lorsque l’organisation annonce la fin de la lutte armée, elle décide de retourner sur place pour lever toutes les zones d’ombre sur la mort de son époux. Les secrets et traumatismes du passé refont surface, Bittori rouvre de vieilles blessures jamais cicatrisées – en particulier face à Miren (Ane Gabarain), autrefois sa meilleure amie, dont le fils Joxé Marti (Jon Olivares) purge une peine de prison pour son appartenance à l’organisation.

Sous une pluie battante, un homme quitte son domicile et part travailler. Soudain, des coups de feu retentissent ; par la fenêtre, sa femme Bittori aperçoit un corps étendu sur le sol.  Elle se précipite dans la rue, étreint le cadavre de son mari, hurle et appelle au secours  mais personne ne vient, par peur des représailles de l’ETA. C’est la scène, brutale et choquante, qui referme le premier et le dernier épisode de Patria

Série produite par HBO et diffusée en France sur Canal +, Patria est tirée du best-seller éponyme de l’écrivain Fernando Aramburu. En fouraillant dans les plaies béantes laissées par le conflit basque, Patria est un récit à portée politique qui reflète trente ans de terrorisme, mais c’est aussi le drame bouleversant de deux femmes ordinaires dont les vies ont volé en éclats.   

En 2011, lorsque l’ETA annonce l’abandon de la lutte armée, Bittori se rend sur la tombe de son mari Txato, abattu par un membre de l’organisation. Elle lui annonce qu’elle va retourner dans la petite ville où s’est déroulé le drame, en partie pour défier ceux qui l’ont rejetée mais aussi pour chercher des réponses. Une décision qui va raviver des tensions, en particulier avec sa voisine et ancienne amie Miren dont le fils, ex-membre de l’ETA, est en prison. Que s’est-il passé entre les deux femmes ? Le fils de Miren est-il l’homme qui a exécuté Txato ? Que sait donc sa sœur Arantxa (Loreto Mauleón), incapable de parler après un accident vasculaire cérébral qui l’a laissée lourdement handicapée ? Pourquoi ces deux familles, autrefois si proches, se haïssent-elles ? 

Miren et Bittori, autrefois proches comme des sœurs.

L’adaptation ne déstabilisera pas ceux qui ont lu le roman : elle lui est tellement fidèle que c’est presque une mise en images littérale, au point d’en être parfois maladroite. Certains expédients s’avèrent moins inspirés à l’écran que sur le papier – par exemple, les monologues de  Bittori sur la tombe de son mari ou certains dialogues, retranscrits à la virgule près. C’est le point faible de l’adaptation, parfois un peu mélodramatique. 

En revanche la structure du récit fonctionne de façon saisissante : c’est grâce à d’incessants allers-retours entre passé et présent que nous découvrons l’histoire de ces deux femmes et que nous comprenons leur vécu et leurs réactions. Le tout, avec des transitions claires et fluides entre les deux périodes (et un maquillage étonnant de réalisme) et une mise en scène sombre mais magnifique. Dans ce pays basque espagnol (Saragosse, San Sebastian et ce village dont on ignore le nom), on est loin de la carte postale : les rues grises et le ciel plombé traduisent  un sentiment permanent de méfiance et de tension, dans une communauté déchirée et encore sous la mainmise de l’ETA, même après la renonciation à la lutte armée. 

Le meurtre de Txato, scène de fin du premier épisode.

L’un des partis pris de Patria, c’est précisément de ne pas prendre parti. Aucun manichéisme et une neutralité particulièrement dérangeante lorsque la série écarte toute diabolisation des terroristes. Le regard est totalement ambigu sur l’action de l’ETA, l’une des questions les plus perturbantes à laquelle s’intéresse la série étant celle de la responsabilité des deux camps. A la violence des attentats, l’État répond par une répression brutale, des arrestations arbitraires, le mépris des droits fondamentaux, l’étouffement de la culture basque, l’humiliation et la torture des prisonniers. Il y a les indépendantistes et il y a l’État que la série renvoie dos à dos, et les victimes collatérales au milieu.     

Bitturi a perdu son mari et s’est engluée dans une dépression dont elle ne souhaite pas sortir ; d’une certaine manière, Mirren a aussi perdu son fils, engagé dans la lutte armé puis emprisonné. Le traumatisme est différent mais, dans les deux cas, l’empathie est totale et dérangeante puisqu’on adopte alternativement la perspective de la veuve d’une victime et de la mère d’un terroriste. Et si tous les acteurs sont formidables,  Ane Gabarain et surtout Elena Irureta portent la série sur leurs épaules. La première campe une Miren glaçante et sclérosée dans sa douleur, la seconde est magistrale dans le rôle de Bittori, avec son mélange paradoxal d’apathie, de colère refoulée et de détermination. 

Quel rôle a joué le fils de Miren dans le drame ?

Ne nous y trompons pas : dans Patria, il y a surtout des victimes.  Des gens qui ne sont pas particulièrement politisés, ne sont ni des indépendantistes ni des unionistes, mais  anéantis par les événements. C’est surtout cette histoire que raconte Patria, à travers ces deux femmes mais aussi leurs enfants qui ont tous réagi différemment au drame. Deux familles banales, extrêmement proches et complices (elles se connaissent depuis toujours, leurs enfants ont grandi ensemble), dont les vies sont déchirées, détruites, ravagées  par quelque chose qui les dépasse et sur lequel elles n’ont aucune prise.

Patria est une série impressionnante, qui relate trente ans de guerre au pays basque et  les blessures qu’elle a occasionnée sur la population. Des plaies encore à vif en Espagne, la série ayant suscité la polémique avant même son lancement, simplement à cause de son affiche (en tête de cet article). Mais derrière le propos politique et social, Patria est avant tout un drame humain, poignant et édifiant. Une de ces histoires qui vous hante, bien après avoir refermé le livre ou éteint votre écran. 

Patria (HBO)
8 épisodes de 60′ environ. 
Le 23 Novembre sur Canal +.

About author

Traductrice et chroniqueuse, fille spirituelle de Tony Soprano et de Gemma Teller, Fanny Lombard Allegra a développé une addiction quasi-pathologique aux séries. Maîtrisant le maniement du glaive (grâce à Rome), capable de diagnostiquer un lupus (merci Dr House) et de combattre toutes les créatures surnaturelles (vive les frères Winchester), elle n'a toujours rien compris à la fin de Lost et souffre d'un syndrome de stress post-Breaking Bad
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