Les derniers épisodes de Better Call Saul clôturent l’une des plus belles séries de ces dernières années, en s’appuyant sur des personnages incroyables et une narration visuelle magistrale.
C’est quoi, Better Call Saul (Saison 6) ? Le plan élaboré par Saul (Bob Odenkirk) et Kim (Rhea Seehorn) pour discréditer Howard a mal tourné : piégé dans la guerre entre cartels, ils sont emportés dans une spirale irrésistible qui va conduire à la suite que l’on connaît. A savoir: la disparition de Kim dans des circonstances que l’on découvrira, la rencontre de Saul Goodman avec un certain Walter White, sa fuite sous l’identité de Gene… Jusqu’au moment où une succession d’événements va à nouveau bouleverser sa vie dans la clandestinité et nous amener jusqu’au dernier acte de l’histoire de Jimmy / Saul / Gene.
Nous avons rencontré Saul Goodman dans la deuxième saison de Breaking Bad : un avocat ringard, grande gueule et sans scrupule, censé apparaître dans seulement quelques scènes. Soyons honnêtes : peu d’entre nous auraient parié sur Better Call Saul, après avoir vu la première saison. Or, la série a au moins égalé Breaking Bad en qualité, en racontant l’évolution de Jimmy / Saul / Gene dans une sorte de spirale descendante – comme un voyage « désinitiatique ». Avec, en point d’orgue, cette sixième saison remplie d’émotions et de références à Breaking Bad (avec notamment l’apparition de Walter White et Jesse Pinkman).
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S’il faut saluer le travail des auteurs qui ont su construire une histoire phénoménale autour de Saul -alors qu’au départ, le personnage semblait presque sortir d’un sketch comique – il est clair que cet anti-héros ne serait rien sans Bob Odenkirk. Jimmy McGill, Saul Goodman et – dans une moindre mesure – Gene Takavic sont au fond l’expression des différentes ambitions et des différentes natures d’un personnage incroyablement multiforme et profond que l’acteur a su incarner dans toutes ses nuances. Mais il faut aussi souligner le talent indécent du reste du casting – et notamment la géniale Rhea Seehorn.
Dans la première saison, Jimmy est un avocaillon pathétique, un gratte-papier sans envergure, un petit arnaqueur – mais aussi un type fragile, qui a bon fond, sans une once du cynisme de Saul. Son frère Chuck (Michael McKean), l’un des personnages gigantesques de la série, le définit parfaitement lorsqu’il explique : « Il n’y a rien de mauvais chez Jimmy, seulement une tendance à faire des choses terribles avec des buts qui paraissent presque nobles » . C’est exactement ça : pour Jimmy, la fin justifie presque toujours les moyens, et la fin est presque toujours quelque chose de moralement acceptable.
Pour faire basculer Jimmy en Saul, il fallait un moteur, un complice, quelqu’un prêt à chuter avec lui. De façon inattendue, ce rôle est joué par Kim, un autre personnage magistral. Celle qui, dans les premières saisons, semblait représenter la voix de la morale et de la raison capable de contrôler les pulsions de Jimmy, se métamorphose d’épisode en épisode. Surtout dans les deux dernières saisons : l’enchaînement époustouflant d’événements qui caractérise une grande partie du dernier acte , ce plan visant à détruire Howard pour une vengeance à laquelle elle est prête à tout sacrifier, part d’elle. Et Jimmy est même réticent, mais trop attaché à Kim pour refuser. L’effondrement de Kim, quand tout s’écroule et qu’elle avoue qu’elle ne « reconnaît plus » Jimmy, représente la descente aux enfers de celle qui était un roc, dans l’univers de Better Call Saul.
C’est avec l’absence de Kim comme point d’équilibre dans la vie de Jimmy que Saul prend définitivement le dessus, se développe, devient le personnage que l’on a rencontré dans Breaking Bad. Le Saul qui habite une maison kitschissime avec un trône en or, un dressing rempli de costumes colorés à vous donner des crises d’épilepsie, qui fréquente des prostituées, qui vit constamment avec une espèce de sentiment de toute-puissance mégalo. Et qui, inévitablement, suite aux événements vécus avec Walter White et Jesse Pinkman, se retrouve obligé de fuir. Tandis que les forces de l’Ordre perquisitionnent sa villa criarde, que ses crimes sont révélés, il s’enfuit dans le Nebraska et devient Gene Takavic, un employé triste et anonyme d’une chaîne de boulangerie à Omaha. Terrifié à l’idée d’être reconnu, ce « troisième Jimmy » se déplace prudemment, avec méfiance, en noir et blanc, évite toute forme de surexposition… jusqu’à ce que Saul revienne lentement mais sûrement. Mais la surprise, le rebondissement final et totalement inattendu, c’est la réémergence de Jimmy et de son idée bien particulière de la justice – dans des circonstances que nous ne dévoilerons évidemment pas.
Ce qui est frappant, dans Better Call Saul, c’est la manière dont la série est capable de faire avancer l’histoire et de faire évoluer ses personnages… en restant statique. Un objet, un gros plan sur un visage en dit beaucoup plus que les dialogues. Ce peut être une chaussure abandonnée, un regard de Mike Ehrmantraut (fantastique Jonathan Banks), ou souvent des angles inhabituels pour communiquer des sensations au spectateur. C’est un aspect sur lequel les auteurs jouent souvent visuellement : des plans étranges, déséquilibrés, uniques, pour transmettre des sentiments de tension. Les personnages écrasés dans un coin de l’écran, ou des angles de caméra curieux et inattendus… tout cela fait partie du style visuel de Better Call Saul, où une fourmi sur une glace peut être aussi importante que les actions du héros, quand il s’agit de raconter son évolution.
La sixième saison de Better Call Saul offre une conclusion magistrale à une série qui ne l’est pas moins. Ce n’était pas évident au départ puisque l’histoire allait s’inscrire dans un récit d’événements et de personnages déjà construits dans Breaking Bad. Mais portée par une écriture redoutable, une réalisation sublime et surprenante, et des acteurs irrésistibles, Better Call Saul a su faire entendre sa petite musique, raconter sa propre histoire, donner de l’ampleur à Jimmy / Saul / Gene jusqu’à en faire un des personnages d’une richesse et d’une complexité époustouflantes. That’s Saul, folks.
Better Call Saul (Saison 6)
13 épisodes de 55′ environ.
Disponible sur Netflix.