L’atmosphère fantastique et la richesse de la mythologie de Carnival Row séduisent, en dépit d’un récit parfois un peu fastidieux.
C’est quoi, Carnival Row ? Une guerre a contraint la fée Vignette (Cara Delevingne) à fuir son pays pour se réfugier dans la ville néo-victorienne de Burgo, à l’instar d’autres créatures mythologiques. Mal accueillis, victimes des préjugés et de discrimination, les trolls, faunes et autres farfadets ont du mal à s’intégrer. C’est notamment le cas de Mr Agreus (David Gyasi), un puck qui a fait fortune et qui vient d’emménager juste en face de la demeure de la riche Mademoiselle Imogen (Tamzin Merchant). Lorsqu’un tueur en série s’en prend aux êtres surnaturels, la police ne semble guère s’en préoccuper et seul l’inspecteur Rycroft « Philo » Philostrate (Orlando Bloom) tente de résoudre l’affaire. Son chemin croise celui de Vignette, son ancienne compagne qu’il n’a jamais cessé d’aimer ; son enquête va également mettre au jour les secrets de son passé…
Une ville victorienne aux accents steampunk ; un univers magique avec des faunes, des trolls et des fées ; un tueur en série ; une romance impossible ; des intrigues politiques ; Orlando Bloom et Cara Delevingne dans les rôles principaux ; Guillermo Del Toro en tant que producteur (bien qu’il ait renoncé à réaliser la série, faute de temps) : Carnival Row, série de Amazon Prime désormais disponible en version française, a de quoi susciter la curiosité. Or, si le résultat n’est peut-être pas tout à fait à la hauteur des promesses, les quelques lourdeurs du récit sont compensées par l’esthétique et l’univers de la série.
Carnival Row tire son épingle du jeu grâce à son atmosphère, immersive et visuellement enthousiasmante. La métamorphose de Prague, devenue la ville de Burgo, est impressionnante : sous la brume épaisse de ce monde gothico-steampunk, on pénètre dans les salons feutrés de maisons bourgeoises néo-victoriennes ou on arpente les ruelles malfamées où se côtoient fées, faunes, centaures, gobelins … et humains. Riche en détails, la mythologie de la série emprunte à de nombreux registres familiers, classiques ou plus contemporains : outre aux légendes celtiques, on pense à Lovecraft, au Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, à Dickens, à un conte dévoyé des frères Grimm, mais aussi à Penny Dreadful, The Alienist ou (tiens donc!) au Labyrinthe de Pan de Guillermo Del Toro. S’y ajoutent des effets spéciaux globalement convaincants et l’excellent travail de Nick Dudman (nominé aux Oscars pour la saga des films Harry Potter) sur le maquillage et les prothèses des acteurs interprétant les créatures mythologiques.
En fait, le principal défaut de Carnival Row vient des deux premiers épisodes. Assez confus, ils mettent en place le contexte et les personnages, mais aussi la quasi-totalité des intrigues de la saison. Et elles sont nombreuses ! On y découvre notamment la fée Vignette, réfugiée à Burgo après la destruction de son pays suite à la guerre ; le meurtre d’une fée et les débuts de l’enquête de Philo ; l’accueil ambigu que réservent Imogen et son frère Ezra (Tamzin Merchant et Angrew Gower) à leur nouveau voisin, le puck Mr Agreus (David Gyasi) ; une faction de fées terroristes ; les discours du ministre des Affaires étrangères Absalom Breakspear (Jared Harris, formidable), défenseur des droits des créatures mythologiques ; la situation familiale complexe de ce dernier et l’enlèvement de son fils… Ces arcs narratifs ne manquent pas d’attrait mais, juxtaposés sans hiérarchisation ni cohérence apparente, ils sont difficiles à appréhender et on a l’impression d’être face à un puzzle dont on aurait du mal à emboîter les pièces.
Si l’on persévère, on finit par trouver une petite étincelle et un net regain d’intérêt dans le troisième épisode, long flash-back racontant l’origine de la relation entre Philo et Vignette. C’est à ce moment-là que les différents arcs narratifs trouvent un équilibre. Les intrigues se suivent alors avec un certain plaisir, au point que l’on pardonne aisément certaines facilités et de grosses ficelles narratives. Si la romance entre Vignette et Philo s’avère touchante et traversée par cette force qu’ont toutes les amours impossibles, elle n’en reste pas moins prévisible ; l’histoire concernant Mr Agreus est une succession de clichés ; l’enquête criminelle se résout sur un enchaînement de rebondissements précipités.
Carnival Row exploite aussi la situation des êtres fantastiques à Burgo pour marteler un propos politique. Au parlement, deux factions s’opposent : certains députés défendent les droits des réfugiés mythologiques qu’ils pensent capables de s’intégrer, d’autres les considèrent comme des monstres trop différents et trop sauvages pour s’acclimater. Rejetées, les créatures fantastiques sont contraintes d’occuper des postes subalternes de domestiques ou de se livrer à la prostitution ou à des activités illégales pour survivre, subissent le mépris même lorsqu’elles s’élèvent dans la société. L’absence de subtilité du propos a quelque chose d’agaçant : à croire que les scénaristes jugent le public incapable de saisir d’emblée la résonance actuelle de la métaphore. C’est bien dommage mais, heureusement, cela n’enlève rien à la force et à la conviction du propos – on a la faiblesse de croire aux vertus qu’un discours de tolérance et d’humanisme, fût-il parfois maladroit…
Dans Carnival Row, il faut laisser à la magie le temps d’opérer. Si l’on pardonne une mise en place un peu laborieuse et quelques clichés, on est vite récompensé par une atmosphère spectaculaire et une mythologie riche et originale. Et Carnival Row se suit finalement sans déplaisir, dès lors qu’on parvient à se laisser porter par l’histoire. Cette saison s’achève en outre sur un cliffhanger intrigant et efficace, qui ouvre la porte à une deuxième saison déjà commandée par Amazon.