Jesse Armstrong met un point final à sa série Succession, avec un ultime épisode qui scelle le destin des Roy. Attention, spoilers.
C’est quoi, Succession ? À la tête d’une des plus riches et puissantes familles du monde, dirigeant un empire médiatique, Logan Roy est prêt à tout pour se maintenir au sommet et étendre son entreprise. Mais lorsqu’il envisage de céder les rênes et de choisir son successeur, les relations se tendent entre ses quatre enfants. De trahisons en changement d’alliances, de tractations économiques et politiques en jeux d’influence, ce sont aussi les relations conflictuelles et les traumatismes familiaux qui vont entrer en jeu et remettre en question l’avenir de la société – et des Roy.
SPOILERS
C’était un final attendu et, un peu comme avec Game of Thrones, on se demandait qui allait s’asseoir sur le trône – ou plutôt sur le siège de PDG de la compagnie WayStar – Royco. Cette fois, pas de Bran en vainqueur inattendu, pas de fondu au noir à la Soprano, mais une réponse claire, nette et précise… et finalement secondaire. Car l’élément essentiel n’est pas tant de savoir qui prend la succession de Logan Roy (dont la mort est survenue de façon inattendue dès le troisième épisode de cette saison), mais plutôt comment s’achève le parcours chaotique de ses enfants. Et non seulement Succession se termine en scellant le sort de chacun, mais en plus la série enfonce le clou en explicitant son message dévastateur (si message il y a).
L’avant-dernier épisode nous avait laissé dans une situation qui semblait limpide, et on se dirigeait vers un affrontement entre Kendall et Shiv. Le premier avec l’ambition de prendre le contrôle de l’entreprise et de la maintenir entre les mains des Roy et la seconde, alliée à Lukas Matsson (Alexander Skarsgard) et acceptant l’offre d’achat de GoJo dans le but d’occuper le poste de directrice générale. Rappelons que le troisième larron, Roman, s’est grillé en fondant en larmes au moment de lire l’éloge funèbre de Logan, se décrédibilisant en public. Quant au frère aîné, Connor, il n’a jamais vraiment fait partie de l’équation…
Si l’ultime épisode commence par se focaliser sur les manœuvres de Shiv et Kendall afin d’obtenir la majorité des voix au conseil d’administration, on retrouve aussi Roman dans un état psychologique particulièrement fragile. Mais ne nous y trompons pas : si la fin de Succession montre quelque chose, c’est bien la manière dont tous les rejetons de Logan Roy sont détruits émotionnellement et psychologiquement. Dans Succession, tout fonctionne toujours selon deux grilles de lectures : l’intrigue autour de la direction et du rachat éventuel de l’entreprise d’un côté, les émotions des personnages principaux de l’autre. Le moindre changement dans la hiérarchie de l’entreprise, la moindre suspicion de trahison, la moindre petite phrase altère directement l’état émotionnel de Kendall, Shiv et Roman. Et c’est sur cette dynamique qu’appuie la série dans un final magistral qui prend des airs de montagnes russes.
Des dialogues acides et irrésistibles, une ironie mordante, des situations tournées en dérision, des personnages à la limite du duo comique avec Tom et Greg… mais au final, Succession n’est pas une comédie noire cachée derrière la tragédie familiale, mais bien un drame familial déguisé en comédie noire. Une tragédie grecque qui parle du malheur des enfants de Logan Roy. Connor, l’aîné, exprime ainsi dans une séquence qui commence comme une scène de comédie et qui s’achève en drame, comment il a appris à vivre sans l’amour de sa famille et n’attend plus rien de personne. Quant aux trois autres, plus proches de leur père (pour le meilleur et surtout pour le pire), ce sont trois âmes brisées qui ne pourront pas se remettre de la mort d’un père qu’ils ont autant aimé que détesté. Trois enfants pour qui la succession de l’entreprise est l’ultime validation, la seule chose qui donnerait un sens à leur vie en tant que rejetons de Logan Roy. Trois enfants qui n’ont pas pu tuer (métaphoriquement) leur père avant qu’il ne les tue.
Concrètement, la fin de Succession est une … succession de moments terriblement durs. Parfois, il semble que Kendall, Shiv et Roman puissent trouver un terrain d’entente voire une réelle complicité (comme la scène chez leur mère, où les trois se serrent les coudes pour couronner Kendall) ; rapidement tout bascule et la rivalité et surtout les rancœurs reprennent le dessus. Lors d’une des toutes dernières scènes, dans les bureaux de WayStar juste avant le vote décisif, la vérité la plus vile, la plus mesquine et violente éclate. C’est le déchirement de la fratrie qui condamne la famille à perdre la société, au profit de GoJo… et de Tom Wambsgans en tant que leader. Ou plutôt, en tant que « fusible » ou homme de paille (prêt à « sucer la plus grosse b… », selon les propres mots de Shiv).
Reste Kendall, seul et désenchanté dans l’ultime séquence, très forte, qui conclut parfaitement Succession. Dans le désespoir final de Kendall, il y a un immense vide qu’il n’a jamais su combler ; dans l’implosion de Roman, la prise de conscience qu’il ne sera jamais à la hauteur des attentes de son père ni mêmes des siennes ; dans la démission de Shiv, la résignation face à la réalité. Et au-delà du contexte de la succession dans le monde des grandes entreprises ou du contexte économique des happy fews qui ne savent plus quoi faire de leur argent, Succession est bien l’histoire tragique d’une fratrie détruite, incapable de vivre avec un père écrasant et incapable de vivre sans lui.
Avec cette ultime saison passionnante et magistralement construite, et en point d’orgue ce chapitre final qui scelle le sort de la WayStar Royco et surtout des Roy, Succession nous offre une conclusion totalement maîtrisée, d’une redoutable intelligence et surtout d’une force émotionnelle incroyable. Toujours portée par des acteurs exceptionnels (en particulier Jeremy Strong, Sarah Snook et Kieran Culkin), sous-tendue par un humour acide souvent aussi malaisant qu’irrésistible, Succession s’achève en tragédie existentielle. Pas un des enfants Roy ne sort indemne de la lutte pour le contrôle de l’entreprise familiale ; pas un ne sort indemne de la disparition de leur père. Familles, je vous hais.
Succession
Saison 4 – 10 épisodes de 60′ environ.
Sur Amazon Prime Video via le pass Warner.