Dans cette quatrième saison, The bear s’éloigne des cuisines pour enfin confronter son héros à ses traumatismes.
C’est quoi, The Bear (Saison 4) ? La critique du restaurant tant attendue est enfin parue dans le Chicago Tribune – et elle est loin d’être élogieuse : elle pointe des « dissonances culinaires » et un « menu chaotique ». Toute l’équipe est affectée, à commencer par Carmy (Jeremy Allen White) et Richie (Eon Moss Bach). Sydney (Ayo Edebiri), elle, n’est pas vraiment surprise : elle accuse Carmy de se complaire dans le dysfonctionnement et la tension (elle n’a pas tort). En outre, l’oncle Jimmy (Oliver Platt) qui a financé l’établissement pose un ultimatum : The bear a environ deux mois (1 440 heures exactement – un compte à rebours est placé en cuisine) pour devenir rentable, faute de quoi il vendra le restaurant.
On ne change pas la recette
Quatrième service pour The bear, la série créée par Christopher Storer. Après une première saison plébiscitée par la critique et le public, les deux suivantes avaient rencontré un accueil plus mitigé notamment en raison d’un rythme plus contemplatif, d’une histoire qui peinait à progresser, d’une mise en scène parfois jugée « prétentieuse » , de différences notables entre drama et comédie. Bref, à peu près les mêmes critiques adressées au restaurant dans le premier épisode de cette nouvelle saison.
En apparence, The bear continue sur sa lancée, avec les mêmes qualités et les mêmes défauts que précédemment. L’histoire progresse lentement, les personnages secondaires ne servent pas à grand-chose (l’arc narratif centré sur Lisa, par exemple, consiste à savoir à quelle vitesse elle peut faire cuire des pâtes – ce qui n’est pas passionnant, à moins de travailler chez Lustucru), le gimmick du compte à rebours est éculé.
Mais The bear a toujours les mêmes atouts : des acteurs brillants (en particulier Jeremy Allen White et Ayo Edebiri), des guests magnifiques (Jamie Lee Curtis, Bob Odenkirk, Will Poulter…), une bande-son qui réunit R.E.M. Led Zeppelin, Bob Dylan ou Oasis, et des épisodes marquants. Cette saison, il y a un mariage (un épisode d’une heure) où les personnages se retrouvent… sous une table, et se confient leurs peurs et leurs angoisses ; ou le quatrième, filmé par Ayo Debiri et dédié à son personnage.
Mêmes ingrédients, saveur différente
« Est-ce que tu as parfois l’impression de revivre la même journée encore et encore ? » demande Carmy dans le premier épisode, en faisant référence au film Un jour sans fin. Au départ, cette saison a un air de déjà-vu. The Bear est menacé par un compte à rebours, Ritchie n’accepte toujours pas le remariage de son ex, Sydney n’a pas pris de décision quant à son avenir professionnel, Sugar est empêtrée dans les comptes du restaurant…

C’est frustrant, mais cohérent car cette stagnation fait écho à l’état d’esprit de Carmy lui-même, plus que jamais englué dans les mêmes schémas. Il hurle sur tout le monde, ressasse de vieilles conversations avec son frère décédé Mikey (Jon Bernthal), hésite à recontacter son ex-petite amie Claire (Molly Gordon), promet à Sydney que les choses vont changer, reste traumatisée par une famille dysfonctionnelle et une mère instable. Il fait même preuve d’une passivité inquiétante, comme s’il avait perdu le feu sacré qui, jusque-là, l’animait en cuisine.
Pourtant, c’est dans ce statu quo que la série et son héros trouvent le déclic nécessaires au changement. Est-ce la critique mitigée dans la presse ? Les souvenirs de Mikey qui se bousculent ? Le choc d’avoir affronté le chef qui l’a malmené au cours de sa formation (dans la saison précédente) ? Sa rupture avec Claire ? La discussion avec Sydney qui lui reproche de se complaire dans le chaos ? Peut-être tout à la fois. En tous cas, Carmy prend conscience que si les choses doivent changer, il doit commencer par se changer lui-même. Une prise de conscience latente tout au long de la saison, qui va aboutir à une décision cruciale en fin de saison.
Cuisine et résilience
The bear a toujours été une série paradoxalement lente dans la progression des intrigues mais intense avec le rythme effréné en cuisine, la férocité des dialogues et surtout sa portée émotionnelle. C’est encore plus le cas cette fois-ci, la série s’éloignant de la cuisine pour se concentrer sur le drame humain. A ce stade, plus besoin de se demander s’il s’agit d’un drame ou une comédie, cette saison ne laissant guère de doute : c’est un drame.
Sydney prend davantage d’importance, non seulement parce qu’elle doit décider d’accepter ou non une offre d’emploi d’un concurrent, mais aussi parce qu’elle est partagée entre son envie d’échapper à l’ambiance toxique de The bear et sa fidélité à ceux qui sont devenus des amis. Toutefois, s’il lui cède du terrain (à l’écran et en cuisine), c’est Carmy qui reste au cœur de l’histoire.

The bear le confronte enfin au nœud du problème : le suicide de Mikey. Une blessure que la famille en général et Carmy en particulier ne parviennent pas à surmonter, au point de l’avoir étouffée dans les non-dits et l’agressivité pendant trois saisons entières. La question a toujours été sous-jacente, le moment est venu de l’aborder frontalement. Avec un effet boule de neige, en raison de l’impact sur Carmy et sur toutes les relations. Voire sur The Bear elle-même, qui fait un choix étonnant mais finalement nécessaire, en toute fin de saison… En attendant la cinquième, qu’on imagine très bien comme la conclusion de l’histoire.
Moins « culinaire » que les précédentes, cette saison de The bear délaisse les fourneaux pour permettre à ses personnages d’avancer. De la stagnation mortifère des premiers épisodes aux trente dernières minutes où les prises de conscience libèrent les tensions accumulées, la série devient explicitement ce qu’elle a toujours été. Ce n’est pas l’histoire d’un jeune chef ambitieux cherchant à ouvrir un grand restaurant, c’est l’histoire d’un homme névrosé et enfermé dans son passé.