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On regarde ou pas ? La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé de Xavier Dolan (Canal +)

Avec La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, le cinéaste Xavier Dolan livre un thriller familial psychologique dense et perturbant. 

C’est quoi, La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé ? En 1991, Mireille Larouche avait pour habitude de tromper ses insomnies en pénétrant par effraction chez ses voisins pour les regarder dormir. Mais une nuit, Laurier Gaudreault, un ami de son frère Julien, s’est réveillé…  En 2019, des années après avoir coupé les ponts avec sa famille, Mireille (Julie Le Breton) revient à Montréal alors que sa mère (Anne Dorval) est mourante. Thanatologue réputée, elle devra embaumer le corps et elle retrouve à cette occasion ses frères Julien (Patrick Hivon), Denis (Éric Bruneau) et Elliot (Xavier Dolan), ainsi que de la femme de Julien, Chantal (Magalie Lépine-Blondeau). Mais son retour fait remonter à la surface un  passé douloureux, directement lié à cette nuit fatidique survenue presque trente ans auparavant.

L’essentiel

C’est la deuxième fois que Xavier Dolan adapte une pièce du dramaturge Michel Marc Bouchard. Après Tom à la ferme au cinéma en 2019, le réalisateur québécois (à qui l’on doit aussi des films comme Mommy, Laurence Anyways et J’ai tué ma mère) s’attaque cette fois-ci au format de la série avec La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, diffusée sur Canal+.

De cette pièce en huis clos dans une salle de thanatopraxie, Dolan tire un drama psychologique intense en cinq épisodes d’une heure, où plusieurs acteurs qui avaient joué dans la pièce originale reprennent leurs rôles. Avec davantage d’espace en termes de lieux et de temps, la série creuse ainsi les personnages tout en faisant monter la tension dans cette sombre histoire de famille dont personne (spectateurs inclus) ne ressortira indemne. 

On aime

Tout au long de la série, on retrouve les caractéristiques marquées de l’œuvre de Dolan. Les années 1990, des décors chargés, une réalisation léchée, l’attention portée aux détails, des dialogues forts, des personnages féminins emblématiques, les traumatismes familiaux… Des éléments que le réalisateur a parfaitement adaptés à la construction sérielle. Et quiconque est familier de ses films comprendra pourquoi il s’est penché sur l’histoire de cette famille où tout le monde porte le poids d’un événement survenu trente ans auparavant. 

Que s’est-il passé en octobre 1991 à Val-de-chutes, la nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé ? Quelle tragédie a bouleversé la famille au point que chacun en soit encore marqué ? Chaque épisode dont le titre commence par « La Nuit où… » nous donne peu à peu les clés : du passé au présent, on navigue entre la nuit fatidique où Laurier Gaudreault a joué un rôle de premier plan et les conséquences trente ans après. Mireille a coupé tous les liens avec sa famille et souffre de nymphomanie, Denis est un accumulateur compulsif qui ne se remet pas de son divorce, Julien est piégé dans un mariage malheureux et déteste sa sœur, Elliot est une épave qui se détruit par la drogue et l’alcool. Bref, une famille en souffrance, enfermée dans son malheur et que la mère a tenu à bouts de bras, où seule la pétillante Chantal allège un peu l’atmosphère.

Portée par des acteurs absolument formidables (mention spéciale à Julie Le Breton et Patrick Hivon), l’histoire est extrêmement forte, entre tragédie familiale et thriller psychologique.  Tout n’est pas entièrement noir, il y de brefs éclats de lumière, mais c’est fondamentalement anxiogène. D’un côté,  la caméra qui suit minutieusement les gestes ou les visages des personnages , les décors surchargés comme autant de tableaux ; de l’autre, les secrets, les remords, les rancœurs, les non-dits, la solitude et le mal-être des personnages.  Tout est tendu mais feutré, jusqu’à une explosion à la Festen dans le quatrième épisode, entre Mireille et Julien.  Une confrontation brutale et inévitable mais peut-être aussi cathartique, qui peut soit tout ravager, soit sauver ce qui peut encore l’être…

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On aime moins

En réalité, ce que l’on aime dans La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, c’est précisément ce qui pourra rebuter certains spectateurs : le style marqué de Dolan, une narration qui prend son temps, la noirceur de l’histoire. 

Comme on l’a déjà dit, Xavier Dolan s’est emparé de cette histoire qui semble déjà concentrer plusieurs de ses thèmes de prédilection pour y réunir tout ce qu’on aime (ou pas…) dans son travail. De sorte que la série n’est pas faite pour ceux qui sont totalement réfractaires à son œuvre cinématographique. 

C’est aussi une série qui s’accorde l’espace nécessaire pour installer son ambiance, poser le contexte, distiller les indices et développer ses personnages par petites touches. Ce qui est certainement nécessaire et contribue à faire monter la tension, mais cette lenteur peut décourager certains spectateurs – en particulier dans le premier épisode. Il faut accepter de laisser la lave couver sous la surface, avant que ne survienne l’éruption dévastatrice.

Et puis, il y a le sujet au cœur de la série : l’histoire d’une famille dysfonctionnelle en lambeaux, dont tous les membres sont en souffrance et se déchirent à cause d’un secret vieux de près de trente ans. Même si l’on devine vite ce qui s’est passé lors de la fameuse nuit du titre, la tension et le malaise restent prégnants, y compris dans les séquences plus légères. Même les moments en apparence plus gais  (comme une séquence de karaoké) sont chargés d’un sous-texte dérangeant, lorsqu’on se donne la peine de les décrypter. 

On regarde si… on est fasciné par les histoires familiales dignes d’une tragédie grecque, entre drama et thriller ; on est prêt à se laisser porter par un récit fort sur le plan psychologique ; on adore Xavier Dolan. 

On ne regarde pas si… on cherche une histoire légère et feel good ; on veut une série qui privilégie l’action plutôt que les sentiments et tourments des personnages ; on est sensible sur certains sujets psychologiquement lourds.

La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé.
5 épisodes de 55′ environ. 
Sur Canal+ – disponible sur MyCanal.

About author

Traductrice et chroniqueuse, fille spirituelle de Tony Soprano et de Gemma Teller, Fanny Lombard Allegra a développé une addiction quasi-pathologique aux séries. Maîtrisant le maniement du glaive (grâce à Rome), capable de diagnostiquer un lupus (merci Dr House) et de combattre toutes les créatures surnaturelles (vive les frères Winchester), elle n'a toujours rien compris à la fin de Lost et souffre d'un syndrome de stress post-Breaking Bad
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