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Peut-on souffrir des guerres de ses parents ? Est-on héritier des crimes de l’histoire ?

Avec son roman Ne tirez pas ! Mireille Abramovici interroge le poids de l’histoire à travers un impossible amour. Une écriture claire, juste, émouvante. Nous sommes au début des années 1970. Nina et Mike sont comme deux comètes dont les trajectoires n’auraient jamais dû se croiser, mais dont la collision est inévitable.

  Günther, sous son prénom d’emprunt Mike, jeune Allemand, fils de nazi, fuit la demeure maternelle droit devant lui, là où le nom de son père, Franz Reinhardt, ne dira rien à personne. Nina, jeune juive, fille de déportée, journaliste dans un quotidien de gauche français, est chargée d’enquêter sur un ancien nazi. Nina et Mike se rencontrent et… s’aiment.

Pour cadre : le Nord de l’Allemagne, ses plagesdésertes hors saison, de rares cerfsvolants. Et Mike, égaré fuyant la responsabilité historique du père et de tout un peuple. Mike piégé face à Nina, la jeune journaliste rescapée de la Shoah. Tous deux se cherchent au cœur des ténèbres, désirant l’aube fiévreuse, le retour des gestes d’amour malgré le fardeau du passé. Ce livre est un véritable plaidoyer pour la conscience, pour la passion, pour la mémoire. Tout au long de sa vie, Mireille Abramovici s’est engagée pour que la vie soit meilleure. Elle a notamment été la présidente du groupe Cinéluttequi militait auprès des immigrés, des exploités, des délaissés. 

   L’écrivaine, Mireille Abramovici, était monteuse de films, principalement de documentaires, et réalisatrice. Elle avait une véritable science du langage cinématographique qu’elle exerçait avec un talent de musicienne. Cette musicalité, ces couleurs, elle les a appliquées dans son art littéraire. Après avoir recherché avec obstination les traces de son père en filmant ses derniers pas, depuis Drancy jusqu’à la forêt silésienne (film dor de tine2001), elle s’est investie dans un récit d’une rare émotion, à l’encre rouge (Les Impressions nouvelles, 2014), évocation de la trajectoire de ses parents musiciens, roumains, de Bucarest vers Paris, puis Monaco. 

   Ne tirez pas ! (La Chambre d’échos, 2017), troisième volet de sa démarche, est une ouverture au monde : un roman comme une réconciliation avec l’histoire, achevé au cours des dernières semaines de sa vie. « Pourvu que j’arrive à terminer ce livre », c’est que Mireille Abramovici disait en souriant. Rongée par le cancer, empêchée par la chimiothérapie, elle avançait la souris de l’ordinateur de ses deux mains. Ce livre Ne tirez pas ! Mireille Abramovici l’a terminé et le laisse en héritage.

 

PROPOS DE MIREILLE ABRAMOVICI

 Je n’ai aucun souvenir de mon enfance. Ma vie a démarré dans ma cinquième année, lorsque je suis entrée au pensionnat de Jeunes Filles de l’avenue de Neuilly.

   Après une jeunesse apparemment sans désir, j’ai trouvé une raison de vivre en rencontrant mon compagnon, Jean-Denis Bonan, avec qui j’ai participé aux évènements de mai 1968. Écrivain, peintre, poète et cinéaste,  il m’a  initiée au monde de l’art. Ma conscience s’est alors aiguisée. Notre fille Julie est née peu après. Je suis devenue monteuse de cinéma et de télévision, gardienne de l’histoire. Autodidacte, j’ai découvert émerveillée le rapport à l’image, l’obsession de la justesse du raccord, le travail à la fois méticuleux et désordonné de la fabrication du film. Je me suis confrontée au récit, au rythme, à la magie de l’ellipse. J’ai tout avalé : documentaires, fictions, spots publicitaires. Je suis fière de dire que les réalisateurs me présentaient comme « la Stradivarius du montage ». 

   Dans cette activité heureuse et curieuse, une douleur diffuse est apparue de plus en plus régulièrement. L’image de mon père fusillé par les nazis 10 jours avant ma naissance a commencé à m’envahir sous la forme de  songes éveillés ou  de cauchemars. Pour évacuer cette obsession, j’ai mis en scène un rêve d’enfance. Comme un mal incurable, une profonde tristesse a continué à me submerger. 

   En 2001, j’ai réalisé un autre film : dor de tine,dans lequel je me suis rapprochée de mon pèreCertains critiques diront que j’ai fait ressurgir mon père du néant. J’ai cru avoir accompli le geste qui devait me calmer à jamais. Rien n’y fit, la douleur était toujours là.

   Je ne suis pas destinée au malheur, mais j’ai toujours su que le bonheur n’est pas cinégénique. Je ne suis pas douée pour le chant, la danse, la peinture, mais j’aime l’image comme une pensée, la musique comme une voix, le mot comme un tableau. Alors j’ai décidé d’écrire, écrire comme je monte ou comme je fais des films.

   Trois années d’immersion totale dans un silence habité, pour aboutir au deuxième volet de ma réflexion, mon premier récit, à l’encre rouge(2013). J’ai voulu que  l’écriture chasse la peur qui me hantait, non pas comme un médicament apaisant, mais comme une victoire contre le mal. J’ai souhaité que le mot remplace l’innommable.

   J’ai découvert que mon père, « le juif Abramoviciaccusé d’être un grand trafiquant », a été poursuivi par la Sipo SD à travers toute l’Europe. Cette fois-ci j’ai voulu mettre à nu les ficelles de ce réseau tentaculaire, de cette organisation du crime. J’ai désiré rencontrer ces hommes pervertis, et tenter de déjouer leur plan d’assassinat.

Souvent, je me plais à imaginer que je ne suis que le pâle reflet d’une vie enfouie, disparue. Cette intemporalité ne m’effraie pas, au contraire, elle me rassure. Elle me permet de baigner mon récit dans un espace-temps libéré des contraintes du réel. Ce fut, dans ce travail d’écriture, mon plus grand moteur.

   À la suite du film dor de tine et du récit à l’encre rougemon roman Ne tirez pas !représente le troisième volet de ma trilogie. Une histoire fort documentée, dans un possible inventé. Le déroulement du récit, enserré dans un passé historique qui enferme mes personnages, me conduit à dépouiller les archives allemandes, portugaises, françaises, et à me bercer de la littérature de mes aînés. 

   Avec mon héroïne, Nina, je découvre et fais découvrir cette Allemagne des années 70. Nina, je la connais, c’est un double de moi même.

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